Olivier David est un homme de dialogue à l’en croire, qui a souhaité soutenir « l’inquiétude » des étudiants face au projet de loi. Le terme d’inquiétude souligne déjà l’abyssal gouffre entre ses vues et la réalité sociale d’un mouvement qui a conquis toute la France, dépassant très largement le prétexte d’une loi supplémentaire portant atteinte à des acquis sociaux gagnés de haute et violente lutte. Qui pourrait mieux le savoir qu’un historien ? Refoulement et dénégation sont à mettre au compte de la personnalité troublée de ce président.

L’Alma Mater se présente toujours drapés d’une exigence démocratique pénible qu’elle peine – quand elle ne fait pas tout pour la briser – à mettre en œuvre. La faible représentativité du CA et la farce que constituent les élections étudiantes sont à ce titre illustratif d’une position quelque peu schizoïde, si pas schizophrénique.

Les étudiants de Rennes2 se sont donné les moyens de temps et de lieu, à savoir suspension des activités par le blocage et occupation de l’Université, pour élaborer collectivement un essai politique hétérogène aux structures de pouvoirs et modalités de représentation traditionnelles qui ont court dans les institutions françaises, et dont un historien, là encore, ne peut dénier aujourd’hui la faillite généralisée, en Europe comme ailleurs.

Ces conditions – blocage et occupation – sont sine qua non pour assurer à chacun la disponibilité nécessaire pour battre le pavé et prendre la parole dans ses nouveaux lieux où chacun peut s’essayer à reprendre la responsabilité politique qui lui incombe. L’histoire est sur ce point d’une rigoureuse régularité, mai 68 restant à cet égard paradigmatique. Il aura fallu un blocage généralisé de l’appareil de production (production des savoirs y compris) pour obtenir les restes lâchés par un pouvoir au bord de la faillite.

Passons sur ces rappels historiques, qui font peut-être déjà trop la leçon.

Olivier David termine son brillant communiqué par ces étonnantes lignes : « Malgré ces mesures [de police, ndlr], les décisions prises lors des assemblées générales étudiantes peuvent encore perturber significativement l’activité [la production du savoir, ndlr] du campus. En conséquence, une forte participation des étudiant.e.s aux assemblées générales est importante pour garantir l’expression du plus grand nombre ». A relire quelques lignes plus haut, ce qui a motivé l’intervention des forces de l’ordre, à savoir « d’assurer la continuité de service public d’enseignement et de recherche et de répondre aux attentes légitimes de la majorité des étudiant.e.s et des personnels », on s’émeut.
Olivier David donne-t-il crédit et légitimité à l’Assemblée générale des étudiants de Rennes2 ? A l’en croire, il appelle directement les étudiants à s’exprimer afin de garantir « l’expression du plus grand nombre » pariant sur les conséquences de cette règle numérique : le plus grand nombre dira non au blocage. La majorité silencieuse, à l’appel de son président, pourra sortir du bois et faire connaître sa volonté cachée jusqu’ici : CQFD, la volonté du président et de son équipe.

Ce communiqué a la délicatesse de démontrer comment dans les institutions homogènes aux structures de pouvoir traditionnelles, le principe est toujours le même. L’institution accorde crédit et légitimité à ses bénéficiaires tant qu’il reste fidèle à l’esprit de l’institution. L’exigence démocratique est garantie tant qu’elle reste dans les raies de ce qui est attendu d’elle : ne pas perturber le cours normal des activités de production. Lorsque celles-ci font un pas de côté, ne répondent plus comme des marionnettes à ce qu’on attend d’elles, elles sont disqualifiées temporairement. On utilise alors la force pour faire rentrer chacun dans le rang.

C’est le dernier temps qui donne à l’opération autoritaire son point de capiton. Autrement dit, une fois la mauvaise assemblée générale disqualifiée, ces corps parlants dispersés, le pouvoir requalifie et réinvestit la bonne assemblée générale de ses droits, en essayant de s’assurer qu’elle sera, cette fois, au bénéfice de son gouvernement.

Merci, cher Olivier David, de donner aux travaux de nombres d’historiens toutes leurs forces, en poursuivant la mise en œuvre des ressorts les plus simples de la gouvernementalité. Un historien, fidèle à l’histoire, assurée que rien ne puisse changer, fin connaisseur du terme même de révolution, à savoir le retour au même point.

Pour votre gouverne et vos équipes, nous ne sommes pas du parti de la révolution.
Nous sommes du parti de l’inédit et de la rupture.
Vous aurez comme tant d’autres votre place au panthéon de la police, nous ne l’oublierons pas.

Michel Foucault