“Le jeudi 31 mars 2016, comme des milliers d’autres personnes je suis parti manifesté contre le projet de loi-travail. Pour moi, comme pour tant d’autres, ce projet de loi n’est que le déclencheur d’un mouvement de révolte qui ne vise pas seulement à mettre en échec le gouvernement, mais plus largement à déserter et à combattre les promesses d’existence qui nous sont faites. C’est aussi pour cela que j’étais déterminé, comme des milliers d’autres personnes, à prendre et à occuper la place du Parlement. Il s’agissait de donner un souffle nouveau, plus fort et plus intense au mouvement. De reprendre une partie de cette ville et de cette vie que l’on s’acharne à nous confisquer.

Ce jour-là, je m’étais organisé pour assurer un soutien médical aux personnes qui risquaient d’être blessés par les forces de l’ordre. Je portais à ce titre un brassard blanc orné d’une croix rouge, mais je m’étais également équipé pour tenir au milieu des gaz : masque à gaz et masque de plongée. C’est ce qui a sauvé mon oeil.

Vers 16h en effet, lors d’une énième charge pour tenter de repousser la ligne de CDI (Compagnie Départementale d’Intervention) qui se dressait devant nous et prendre le Parlement, j’ai été touché de plein fouet par une grenade lacrymogène tirée en tir tendu. Cette grenade, qui n’avait pas explosé en l’air et qui contenait tout son chargement en palets, m’a percuté au niveau de l’oeil gauche. Le choc m’a fait tombé par terre, et j’ai perdu connaissance pendant plusieurs secondes, avant que je ne sois très vite pris en charge par les camarades qui se trouvaient autour de moi. Sans masque de plongée, la grenade m’aurait très certainement enfoncé l’arcade et j’aurais perdu mon oeil. D’où la nécessité de s’équiper…

Cette violence policière contre les manifestations, nous ne la découvrons plus. Depuis au moins le mois de juin 2012, où lors d’un camp anti-nucléaire, les gendarmes mobiles ont blessé 25 personnes en moins d’une heure (dont 3 qui ont perdu un oeil) ; depuis les vagues d’expulsions à la ZAD pendant lesquels des dizaines de personnes ont été mutilées par des tirs de flashball ou de grenades lacrymogènes, les manifestations en ville de soutien à la ZAD et bien-sûr Rémi Fraisse ; nous le savons, les forces de l’ordre mutilent et assassinent. S’en indigner nous ferait une belle jambe, vue la non-réaction de la “société française” face au meurtre d’un manifestant en octobre 2014. Lorsque l’on veut dépasser le simple cadre de la dénonciation non suivie d’actes de résistance, prendre la rue pour se réapproprier, un tant soit peu, nos espaces de vie est devenu en France un acte dangereux, voir mortel. Et il est tout à fait hors de question que nous désertions ces espaces d’organisation, de rencontres, et de lutte. En conséquence, face aux violences policières se préparer, s’organiser pour être prêt à tenir, à les mettre en échec et à ne pas se retrouver mutilé par les armes des forces de l’ordre est une nécessité. Il est devenu vital pour tout manifestant d’avoir sur lui dans ces moments-là un masque qui lui protège les yeux (évitez les petites lunettes, les masques de plongée sans nez sont parfaits pour ces situations) ainsi que le nez et la bouche (foulard ou mieux masque à gaz).

Après avoir été blessé, j’ai perdu connaissance, j’ai été évacué par des camarades puis amené à l’hôpital par les pompiers. Je m’en tire bien : aucune séquelle sérieuse à priori, juste la moitié du visage bien enflée et un bel oeil au beurre noir qui n’en fini pas se violacer au fil des jours… La solidarité a pleinement marché dans cette situation et j’ai été merveilleusement accompagné. Malgré tout, étant médic, je n’ai pas pu m’empêcher de noter un détail un peu désagréable : quand une personne se fait blesser, cela ne sert absolument à rien de s’agglutiner par dizaines autour d’elle. Assurez-vous qu’une médic soit présente et si possible un ami ou un proche aussi. Ensuite il suffit d’être à 2 voir 4 pour déplacer quelqu’un, rien ne sert d’être donc plus nombreux autour de la victime, laissez-lui de l’air…

Finalement, malgré cette blessure, je tiens à saluer la détermination collective de milliers de personnes, qui s’est exprimée durant cette journée. Avec ces avancées répétées contre leurs dispositifs, cette endurance qui a fait que nous avons bloqué pendant plus de 7 heures le noeud de communication du centre, cette joie de tous ceux qui sont restés sur place refusant de se faire dicter leur conduite par le pouvoir malgré les gaz et les blessés, Rennes était vraiment devenue magique. Ma détérmination à continuer cette lutte n’en est pas du tout sortie affaiblie, au contraire…

N’oublions pas nos camarades arrêtés qu’il va falloir pleinement soutenir. Il ne me reste alors qu’une seule question : quand est-ce qu’on y retourne ?”