Ici c’est Rennes, la bataille pour le parlement.

Rennes est magique, c’est ce qu’on pouvait lire sur les murs de la ville jeudi dernier, c’est surtout ce qui permet de qualifier ce 31 mars. La presse, elle, sans originalité, se contenta du champ lexical traditionnel : « état de siège », « camp retranché », « incidents à Rennes », « champ de bataille »… Ce que j’ai vu ce jour-là ce sont surtout des milliers de personnes qui refusaient de se faire confisquer la rue par un petit préfet de province formé en Corse. Ce dernier avait cru qu’il pouvait faire régner l’ordre dans les rues de Rennes, un jour de grève générale… Les autorités et la presse locale montaient en épingle les événements des semaines précédentes : une brigade de la bac remise à sa place, du matériel de défense (casque, lunettes de piscine, banderoles renforcées…) saisi dans une manif, une mairie assaillie par les manifestants, une affaire d’auto-réduction chez Lacoste, un blocage de métro…. En résumé, les ingrédients de tout mouvement social qui se respecte.

Le pari de ce petit préfet, c’était que l’on accepte de défiler sur les grands boulevards, hors du centre, que l’on ne rechigne pas à se faire confisquer le parlement, qu’il était prévu d’occuper le soir même. La chose étant d’autant plus absurde que le parcours imposé correspondait en tout point à celui du 11 janvier 2015, jour d’union nationale. La charge symbolique de ce refus de la part des manifestants était d’autant plus forte.

Dès le départ ce sont les jeunes, étudiants et lycéens qui prirent la tête du cortège. La chose avait été votée à l’AG de Rennes 2 et bon gré mal gré imposé aux syndicats. Ce jour-là, c’étaient les travailleurs qui rejoignaient le mouvement impulsé depuis les facs et les lycées, et non l’inverse.

Il aura fallu à peine cinq minutes de défilé conjoint pour que le cortège se sépare en deux. Le premier bifurque à gauche et fonce sur le centre ville, le deuxième prend à droite et continue sur les quais. En 20 minutes il n’existait déjà plus de cortège mais des grappes de personnes plus ou moins denses qui cherchaient à rentrer dans le centre ville. La dernière bouffée d’air a pu être enregistrée vers 12h15, jusqu’à 18h on ne pouvait plus respirer dans Rennes qu’un épais nuage toxique de lacrymogènes. Ce sont d’ailleurs les questions qui restent en suspend sur les unes de la presse locale : « trop de lacrymogène ? », « Pourquoi la police a-t-elle tiré autant de gaz ? ». Je n’ai jamais vu non plus autant de tirs de Flash Ball, on pouvait voir parfois jusqu’à 4 lanceurs de LBD 40 dans une seule ligne de policiers.

Après quelques assauts répétés sur les gardiens du centre ville, ceux qui avaient pris des distances avec le parcours initial, reformèrent un cortège, un instant, pour défiler à nouveau. C’est là que sur le parcours, il fut signifié à quelques CRS, qu’ils n’avaient pas à protéger le local du Parti Socialiste. Mais au lieu de courir devant la charge des manifestants qui leur demandaient de dégager, ils usèrent dans la précipitation de tout le matériel à leur disposition : grenades de désencerclement, flash ball et lacrymogènes. Nos projectiles ramassés dans les pots de fleurs environnant, ainsi que nos feux d’artifices, ne firent pas le poids face à leurs équipements. A mille personnes, on lâcha un peu le centre-ville pour une balade sur les boulevards avec pour objectif d’aller rechercher les quelques autres milliers de personnes, qui avaient fini leur parcours, afin de repartir à l’assaut du centre.

Même si les forces étaient dispatchées en plusieurs points, c’est dans la rue Jean Jaurès, qui donne sur le parlement, que les manifestants ont le plus insisté pour rappeler à la police que le centre-ville, et le parlement, étaient à eux. Les armes de distance utilisées de manière décomplexée, grenades OF incluses, ne permirent jamais d’aller au contact : nous étions sans cesse condamnés à refluer dès que l’on avait pu avancer un peu. Mais la vague de manifestants revenait inlassablement mettre la pression au dispositif. Et ce, malgré les tirs ininterrompus des policiers. Toutes les dix minutes on entendait et voyait quelqu’un crier et tomber, mais cela n’entamait en rien la détermination des assaillants.

C’est donc à deux pas de là qu’un hall d’immeuble se transforma en hôpital de campagne. Un habitant tenait la porte d’entrée pour l’ouvrir à ceux qui voulaient se réfugier ; les blessés y étaient pris en charge. C’est par ce même hall que toute une section de manifestants, dont une bonne partie de syndicalistes de Sud Solidaires, passa pour atteindre la rue parallèle et se retrouver de l’autre côté du dispositif policier. C’est ainsi que les CRS furent pris en sandwich entre insultes et projectiles pendant quelques heures.

Dans le chaos, le travail s’organisa tout de même un peu. L’entreprise dans laquelle les manifestants avaient investi, créa spontanément de nombreux postes que n’importe qui pouvait occuper le temps qu’il voulait. On pouvait devenir d’un moment à l’autre, bâtisseur de barricades, à l’aide des pavés, dépeceur de mobilier urbain pour en faire des projectiles ou des boucliers, teneur héroïque des nombreuses banderoles renforcées (7) pour protéger les assauts, jeteur de projectiles en tout genre, relanceur de lacrymogènes dans la Vilaine, infirmier, médecin, brancardier, applaudisseur, hueur, mégaphoneur, spectateur au cœur de l’actualité…

On fatigua un peu de rester dans cette rue qu’on n’arriverait jamais à prendre. Donc quelqu’un cria « à la gare ! », le cri fût repris par la foule, bien que certains comprirent et répétèrent « à la guerre ! ». On se dirigea vers la gare mais le cortège un peu fatigué ne devança pas l’arrivée de la police qui bloqua son accès. L’initiative fût avortée après une charge de poubelle, et le déploiement de la bac par l’arrière. On fît un repli tactique, pour se reposer un peu, mais ne surtout pas quitter la rue.

Puis, vers 17h, la place de la République, endroit d’où partent tous les accès au centre ville, se remplit à nouveau. En premier lieu, par une trentaine de lycéens armés d’une enceinte portative qui crachait du son. Ils foncèrent sur la police sous les cris, réclamant leur « apéro » tant espéré au parlement. Rebelote, les tirs de flash ball reprirent et les lacrymogènes gonflèrent à nouveau l’air. Puis un cortège de mille personnes réapparut pour soutenir les assauts des lycéens.

Ces mille personnes avaient d’abord prévu de se rendre à la fac pour faire une AG, où s’organiser pour espérer reprendre le parlement dans la soirée. Or les manifestants n’étaient que trop aimantés par le centre ville et ne pouvaient se résoudre à quitter la rue. Des panneaux de chantiers remplacèrent les banderoles renforcées, mais cela ne suffit pas pour gagner la bataille.

Beaucoup de spectateurs amusés restaient malgré la dangerosité des flash ball qui continuaient à faire tomber les jeunes de douleur. Lors des arrestations on pouvait voir les flics prendre du plaisir et se féliciter de piétiner et frapper à plusieurs des personnes isolées et déjà à terre. Cela démontra à quel type d’hommes nous avions à faire. Un jeune au mégaphone harangua la foule pour proposer de rentrer à la fac, étant donné le peu de moyens qu’il y avait à ce moment-là pour tenir la police à distance et s’en protéger. Un gars lui répondit « mais sors de ta fac mec, c’est ici que ça se passe ! ». Vers 18h30, la dispersion s’effectua, par la force des choses, un peu de fatigue, beaucoup de blessés et aussi peut-être l’heure du repas. Un gars cria « rendez-vous à la prochaine manif ! », une meuf lui répondit « mais c’est maintenant la prochaine manif. »

Depuis le début du mouvement contre la Loi Travail, la question de la violence policière revient après chaque manifestation. Faut-il rappeler qu’ils sont payés pour ça ? Les ordres donnés à la police étaient bien de faire rentrer tout ce petit monde à la maison par tous les moyens dont ils disposaient. Seulement, de manif en manif, nombreux sont ceux qui ont pris goût à la rue.

On aurait pu penser que le 31 mars signerait le déclin du mouvement – achevé par les vacances. En vérité le 31 en a sonné le début. Les événements auront eu raison des six dernières années de pacification des milieux universitaires, et on a pu voir ce jour-là dans les rues de Rennes, toute une génération politique en train de naître. Samedi soir, lors de la coordination nationale étudiante à la fac de Rennes 2, on vit apparaître en rouge sur le toit de l’université, les trois mots qui depuis le CPE ont accompagné tous les mouvements étudiants « VIVE LA COMMUNE ! »

La situation est excellente !