C’est toujours plus facile de parler de délinquance plutôt que de misère, d’émeutes plutôt que d’insurrections, de casseu.rs.ses plutôt que d’enragé.e.s. Pourquoi enlever du sens à des choses qui, pour une fois, en ont ?
Les modes d’actions peuvent différer -occuper pour appuyer sur pause et prendre le temps de constater les dégâts; dialoguer pour construire du neuf et avancer, parfois briser pour contester une violence quotidienne et respirer un peu- le motif n’en est pas moins commun : l’insoumission.
L’hégémonie culturelle actuelle voudrait que le contestataire n’ait ni conscience politique ni revendication : il casse, il détruit, il bloque … par plaisir. L’insoumission est pourtant révélatrice de désaccords, de refus, tout comme elle est porteuse de renouveau, d’alternatives et d’espoir.
Le langage est politique, l’action l’est aussi. Si le monde est absurde, ses contestations ne le sont pas. Nommer c’est qualifier, identifier, juger, et le bon sens voudrait que l’accusé ne soit pas juge.

Les enragés ouvrent le bal

Au cœur du désert, la lutte demeure la dernière dimension politique qui échappe au cynisme universel, à la dépression générale, au machiavélisme quotidien. Gouvernement unanimement détesté, dépassement des syndicats, haine assez générale du travail, émeutes lycéennes, désirs débordants : le mouvement de mars 2016 est apparu comme une bouffée d’oxygène dans un pays à l’asphyxie. Pourtant, au bout d’un mois, il peine à naitre véritablement, paralysé par ces petits bureaucrates obsédés par le contrôle de la lutte, ces vieillards de 19 ans tétanisés à l’idée que la normalité universitaire puisse être perturbée quelques heures, ces différentes polices syndicales plus ou moins subtiles. Pour continuer à faire vivre – et mieux, amplifier – les moments de grâce vécus les 9, 17 et 24 mars dans les rues de Nantes, il nous faudra de l’audace. L’audace de s’organiser par et pour nous même, de refuser de négocier, de briser les cadres. Pour y parvenir, les complicités sont partout : occupant-e-s de la ZAD, lycéens déter’, squatteurs, supporters, passants et même syndiqués dissidents. Cela commencera jeudi 31 mars, par l’occupation d’une place, puis deux, puis trois. Vers la Commune.

 »On ne les voit jamais sauf quand on a peur d’eux… »

On oublie trop souvent, si ce n’est toujours, les quartiers populaires. Ce texte n’a rien d’exhaustif, ne veut en rien représenter « les quartiers » mais est simplement une mise au point pour ces « étudiant.e.s propres sur eux.elles et non violent.e.s qui s’en vont grossir les rangs des bureaucrates et des marchand.e.s », qui pissent sur la jeunesse enragée, la jeunesse audacieuse, la jeunesse talentueuse, à longueur de réunions, de tracts et de blabla militants. Pourtant, la flamme de l’insurrection est portée dans chaque manifestation de chaque ville par des individualités, des petits groupes, organisés ou non, provenant majoritairement des quartiers populaires. Ces quartiers sur lesquels on crache à longueur de JT, journaux et journées. Études après études : les quartiers ceci, les quartiers cela, règlements de comptes par ci, trafics par là… Ou comment les classes dominantes tournent et retournent les problèmes qui leur sautent à la gueule sans jamais rien y comprendre. Ce n’est bien sûr, pas dans leurs intérêts. Leur volonté est de détruire toute forme de révolte et de les montrer du doigt à la moindre occasion : ils nous disent « regardez illes brûlent des voitures, regardez illes caillassent une bagnole de keuf, regardez illes dealent du shit, regardez ces pauvres, regardez ces arabes et ces noir.e.s… ». Au travers des médias, au travers des bouches à merde de politicien.nes les habitant.e.s des quartiers sont montré.e.s clairement comme un vulgaire troupeau qui faut remettre dans le droit chemin dès qu’il s’égare de la route, déjà tracée pour lui. A entendre toutes ces conneries on finirait par croire qu’il n’y a qu’une masse homogène où le sang et la drogue règnent en loi générale. Mais il n’en est rien, allez le découvrir par vous même et vous serez grandement étonné.e.s…
Ce sont sur les quartiers que le pouvoir teste de nouveaux dispositifs, de nouvelles techniques, de nouvelles armes pour réprimer, tabasser, humilier et tuer en toute impunité. Ce sont les nouvelles colonies de l’État. Toutes ces lois de merde qu’on se prend dans la gueule, qui nous oppriment et nous asservissent ont d’abord, et depuis trop longtemps, touchés les quartiers populaires (souvent dans l’illégalité). Mais bon, ça va, tout le monde s’en tape : « ce ne sont que des pauvres et des étrangers mal intégrés » dans notre chère République.
Les violences sociales, les violences économiques, les violences policières sont quotidiennes, persistent et s’intensifient. Combien de mutilé.e.s par la police dans les quartiers ? Combien d’assassiné/e.s par la police dans les quartiers ? Combien d’hommes de femmes, d’enfants sont humilié.e.s jour après jour par le pouvoir, la police, la justice et son système capitaliste ?
Ça suffit, et nos frères et sœurs se révoltent, en ont ras le cul qu’on leur marche dessus dans l’indifférence générale. A tout ceux.celles qui pensent que ces actes de révolte sont dépolitisés et n’ont rien de légitime dans nos manifs : « allez vous faire voir ». Réjouissons nous d’être ensemble et de marcher côte à côte et de dépaver avec solidarité ! L’étudiant est-il un être abject ?

L’étudiant est-il un être abject ?

Pendant que les plus audacieux de nos darons arrachent avec style des chemises de managers ou jettent des marteaux sur des lignes de CRS, et que nos petits frères retournent sans pression des voitures pour bloquer leurs lycées, l’étudiant s’enferme pendant des semaines dans un processus difficile à déchiffrer pour les profanes : l’Assemblée Générale. Enfermé dans des amphithéâtre poussiéreux, l’étudiant ergote pendant de longues heures sur un alinéa de projet de réforme, encerclé par des trotskystes cadavériques et des futurs cadres socialistes. Des votes obscurs concluent ces Assemblées Générales qui ont fait fuir depuis longtemps les plus sains d’esprit. « L’Assemblée est souveraine ! » proclament à l’envi les bureaucrates, sauf quand il s’agit de dépasser en parole et en acte le cadre strict du champ mental aride d’un futur permanent syndical : tout est bon pour remettre en cause les désirs légitimes des révoltés.
Il n’y a cependant aucune fatalité : l’étudiant peut sortir de sa condition abjecte en attaquant ici et maintenant à ce qui le détruit, et en se débarrassant des gestionnaires de lutte.

Désertons le désastre

Aucun observateur, pas même le plus bête syndicaliste de l’UNEF ni le plus solidaire des professionnels de la militance, ne peux affirmer le contraire ; nous plier à l’exigence de nous concentrer sur une énième réforme du code du travail – comme on parlerait de la dernière chanson à la mode ou de la destination idéale pour l’excursion estivale – est une tentative misérable de retenue du désastre autant qu’un chantage auquel nous ne pouvons pas nous plier.
Nous n’avons personne à convaincre, nous avons déjà trop perdu de temps avec cela, à subir des assemblées générales interminables, chantant les louanges de la massification du mouvement et la conscientisation des masses comme prérequis stérile.

Nous irons donc à l’essentiel. Nous ne parlerons pas de réforme, nous ne parlerons pas de travail, nous ne parlerons pas d’étudiant.e.s (car c’est une notion creuse et vide de sens) et par dessus tout, nous ne parlerons plus de compromis ni d’assemblées générales.
Nous avons déjà dû supporter ce temps des compromis trop longtemps, ce temps misérable qui nous fait croire que dans la défaite se cache la victoire. Il n’est rien de cela. Il n’y a dans ces promesses qu’un désert construit sur les piliers du défaitisme politique de la gauche – et des gauches – depuis trente ans.

Il s’agira ici de prendre acte de la catastrophe, de la misère politique étudiante comme génome de la misère ambiante, parce qu’elle est le produit du Spectacle qui l’entoure autant qu’elle le nourrit et le fait perdurer. Celles et ceux qui partout n’en peuvent plus de vivre sur la planche mitée du Vieux Monde avec la corde au cou du travail comme perspective d’avenir ont déjà renoncé aux promesse de vivre mieux dans une misère améliorée. Nous voulons reconnaitre au milieu de ce désastre, qui ne nous a jamais satisfait et ne nous satisfera jamais, les ami.e.s et compagnons avec qui nous désirons nous retrouver, conspirer, mettre à sac cette vie de merde car nous faisons partie de ceux-là.

Si nous voyons ici, dans la désertion du désastre ambiant, une porte de sortie dessinant une ligne de crête, c’est parce que nous ne croyons pas tout déjà perdu et sommes convaincus qu’il y a des amitiés à aller trouver loin des promesses de la célébrité politique et du marchandage de la misère avec les forces en puissance.
Occuper un amphithéâtre n’est qu’une excuse, il va désormais falloir nous retrouver partout ailleurs.