L’illusion de la démocratie directe

Un référendum n’est en rien l’expression d’une démocratie directe, bien au contraire. Qui décide du moment, de la question, de celles et ceux qui peuvent voter ? Le référendum est un dispositif qui par essence est détenu par un pouvoir vertical et concentré. Si les décisions étaient discutées autrement, à la base et entre égaux, il n’y aurait jamais besoin de référendum… C’est d’ailleurs un dispositif qui exprime bien l’infantilisation dans laquelle l’Etat maintient ses citoyens : répondez juste par oui ou par non, puis fermez-la.

Nous avons déjà connu des référendums lors de luttes locales, à Caen. En avril 2006, la fac est occupée depuis un bon mois par des centaines de personnes qui y vivent pleinement et expérimentent d’autres manières de vivre et de s’organiser. Assemblées populaires, blocages de périph et de gare, occupations de bâtiments administratifs, affrontements avec la police, sabotages et manifs de rue se multiplient non seulement contre le Contrat Première Embauche, mais contre la précarité, et de plus en plus clairement pour toujours plus de gens contre cette société en général. Le 10 avril, le gouvernement retire le CPE. Les grévistes continuent la lutte, et refusent de s’arrêter en si bon chemin. Dès le lendemain de l’annonce gouvernementale, des heurts ont encore lieu avec les flics. La direction de l’Université, avec l’appui des pouvoirs publics, organise finalement un référendum : pour ou contre le blocage de la fac. Le refus du blocage étant vainqueur, l’assemblée générale de lutte abdique et les bâtiments sont vidés et rendus à leur usage normal, sauf une annexe tenue malgré tout jusqu’à l’été. L’Université a alors repris sa fonction. Le mouvement s’est peu à peu épuisé, coupé de ce qui faisait sa force : un arrêt de la routine en tenant un lieu de vie et d’organisation commun ouvert à tous et à toutes.

La stratégie était simple : non seulement limiter la question de la lutte à une modalité de son organisation, à savoir l’occupation des bâtiments universitaires, mais en plus s’adresser qu’aux étudiants et étudiantes, contrôle des papiers à l’appui pour voter. Or, la force de cette lutte était justement que s’y croisaient étudiants et étudiantes, lycéens et lycéennes, travailleurs et travailleuses, chômeurs et chômeuses. Tout le monde est concerné par la révolte pour l’émancipation.

Au sujet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la question du référendum va là aussi réduire ce qui s’est ouvert avec cette lutte : il ne s’agit pas seulement de s’opposer à un aéroport international, ou même de préserver des terres agricoles et des zones humides. Il s’agit surtout de lutter contre le projet de Nantes Métropole, bétonnant l’espace de Saint-Nazaire à Nantes. C’est donc surtout une opposition au capitalisme sécuritaire et démesuré se développant partout aujourd’hui. C’est aussi une expérimentation de rapports sociaux plus libres et plus égalitaires, de formes d’existence plus autonomes vis-à-vis du capitalisme et de l’industrie. Bref, c’est une lutte contre le type de société portant ce projet, et l’ouverture d’horizons possibles. Quand par exemple en une après-midi, des dizaines de maisonnettes sont construites collectivement sur la ZAD, le fait qu’il y ait autant de gens à la rue dans cette société capitaliste devient tout de suite moins acceptable. C’est un témoignage concret qu’il est possible de vivre et de s’organiser autrement.

Par ailleurs, les élus locaux à qui Hollande a confié l’organisation du référendum sont les plus ardents défenseurs du projet d’aéroport. La zone qu’ils choisiront pour leur consultation sera la plus favorable pour eux. Ils mettront les moyens dont ils disposent pour appuyer le « oui » : annonces et panneaux publicitaires, magazines, médias etc. La campagne se focalisera sur ces méchants « djihadistes verts » que sont les zadistes, sur ces « terroristes » que sont les révolutionnaires. Ce sera de même pour la formulation de la question. Tous les sociologues savent très bien que la manière dont on pose une question influence, et permet bien souvent d’obtenir la réponse souhaitée.

Et si jamais ce n’est pas la bonne réponse qui reçoit la majorité, qui peut croire qu’elle empêchera une décision contraire de la part de l’Etat ? Le référendum sur le traité constitutionnel européen avait plébiscité le « non » en 2005. Trois ans plus tard, le parlement le faisait pourtant passer en force. Les grands projets industriels suscitent quant à eux obligatoirement des enquêtes publiques. Les résultats de ces enquêtes, particulièrement au sujet du nucléaire, montrent presque toujours une franche opposition de la part des populations. Cela n’a jamais empêché l’Etat de construire ses centrales atomiques et ses autres ravages industriels.  

Le référendum est une arme pour briser les luttes et diviser

Le référendum est une stratégie de dernier recours pour que l’Etat reprenne la main. Il est toujours utilisé ainsi en démocratie. Il s’agit alors d’éviter de laisser filer ce qui lui échappe dans une lutte foisonnante se radicalisant, de recadrer par un dispositif ramenant sur son terrain : une forme institutionnelle et parfaitement maîtrisable. Ce n’est pas tant la réalisation du projet qui inquiète l’Etat que le fait qu’au sein de cette lutte des tas de gens apprennent à vivre et lutter ensemble, à se passer de plus en plus du capitalisme et de l’Etat, à partager des gestes d’insoumission. A se foutre des industriels et des politiciens voulant diriger nos vies. Il y aura pourtant probablement des opposants à l’aéroport pour accepter les termes de l’ennemi, pour croire aux illusions démocratiques, et jouer le rôle de relais de l’Etat contre celles et ceux qui refuseront de tomber dans le piège. François Hollande est malin : il appuie sur les contradictions d’un mouvement composite, et cherche à diviser. Espérons que ce sera vain…

                En un autre temps et une autre région, c’est un maire qui avait fait ce pari. Favorable au projet d’implantation d’une centrale nucléaire sur sa commune, le maire de Flamanville, par ailleurs cadre de l’usine atomique de la Hague, organise un référendum en 1975. Quelques années auparavant, une usine de fer avait fermé ses portes, et la fraction ouvrière du petit bourg est frappée par un chômage massif. L’occasion est trop belle pour s’appuyer sur la peur du chômage et donner par la même occasion un vernis démocratique. Notables et curés font campagne pour les joies de l’atome. De nombreux ouvriers et ouvrières, souvent d’origine étrangère et vivant à la cité Sainte-Barbe au milieu des corons, voient quant à eux l’occasion de bosser. Il faut dire qu’ils étaient plusieurs à avoir déjà participé à la construction de l’usine de la Hague à quelques kilomètres. Les nucléaristes ont ainsi réussi à absorber la classe ouvrière locale. De l’autre côté, une opposition commence à se développer, constitué de pêcheurs, d’agriculteurs et d’agricultrices, d’enseignants et enseignantes, de travailleuses et travailleurs sociaux. Des mondes qui se côtoient peu et en viennent à s’affronter.

Rapidement, les tensions montent dans la petite ville de la Manche. Le référendum se réduit à une bataille pour l’emploi, masquant l’horreur de l’industrie dont il est question. Intimidations, menaces et bagarres se multiplient. Sans surprise, le oui à la centrale l’emporte avec 435 voix contre 248. Seuls les flamanvillais ont voté, comme si la contamination ne concernait que ce seul bourg. Surtout, ce référendum ne venait que sanctionner une décision déjà prise en haut lieu. EDF avait d’ailleurs prévenu qu’il ne tiendrait pas compte du résultat en cas de refus…

Rien à foutre du référendum !

Le dispositif du référendum est une arme du pouvoir pour briser les luttes qui lui échappent. C’est un piège dont il est difficile de se dépatouiller. Seule une montée en puissance du mouvement d’opposition à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et en solidarité avec les expérimentations sociales de la ZAD pourra désamorcer cette arme du référendum. D’autant que ce qu’on appelle parfois le mouvement social a besoin d’une « victoire », par la lutte, et non par les urnes à l’ombre des isoloirs. Il n’en a pas connu de réelle ampleur nationale depuis 2006. En outre, l’enjeu n’est plus tant que l’aéroport se fasse ou non, c’est que l’expérience de la ZAD reste vivante et se développe. Elle est une expression qu’il est possible de vivre autrement et de se révolter contre ce monde tel qu’il tourne au désastre, sans rester englué dans les fictions politiques œuvrant à notre dépossession et notre exploitation.

Caen. Février 2016.

Pour info:

Infos et analyses sur http://zad.nadir.org ; http://sous-la-cendre.info.

Collectif de solidarité avec la ZAD à Caen : zad-14@riseup.net

Textes et brochures disponibles au local Apache, 35 bvd Poincaré, CAEN (permanences les 1er et 3ème samedis du mois à 15h).