Pourquoi en tant que blanche, je participe à la marche de la dignité
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Je marcherai, moi aussi, le 31 octobre prochain, de Barbes à Bastille. Je marcherai, mais pas devant, pas entre deux camions sono-merguez, trois drapeaux rouges et des centaines de moustachus, pas cette fois. Je marcherai, mais derrière. Derrière les familles des victimes des crimes policiers, derrière les femmes « racisées », à l’initiative de ce mouvement, derrière les organisations issues de l’immigration, derrière celles représentant les quartiers populaires en lutte. Je marcherai, mais à ma juste place, avec la foule d’anonymes, ceux, trop nombreux, qui expérimentent, dans la douleur, les nombreux et tragiques effets du système racial en France et aussi ceux qui en reconnaissent l’existence et donc admettent la nécessité, l’urgence de le combattre.
Pourquoi vais-je marcher le 31, avec ma peau diaphane et mon patronyme de souche ? Pourquoi ai-je hâte d’aller me geler les miches de Barbès à Bastille, un samedi d’octobre ?
Parce que la parole des non-blanc(s)-hes est confisquée, étouffée [2] Qui parle d’elles et d’eux ? Qui filme les reportages sur les « jeunes de banlieue » ? Qui, d’ailleurs à inventé cette catégorie ? Qui produit les politiques racistes et discriminantes qui les répriment ? Qui débat au Parlement de l’opportunité d’exclure des jeunes filles à cause de leur voile du système scolaire ? Qui, d’ailleurs, construit les programmes, vote les lois ? Qui donne cours dans les amphis, qui est en salle des profs, dans les ministères ? Qui apparait sur les affiches publicitaires, dans les devantures des librairies, les plateaux tv, les rédactions ? Qui compose le CAC 40 ? Qui parle dans « touche pas à mon pote » ? Pas eux, non. Nous. Nous, les blancs.
“Nous sommes les blancs…”
Il est temps pour nous de cesser de froncer les sourcils lorsque nous entendons ce terme. D’arrêter de balayer d’un revers de la main les arguments visant à démontrer la pertinence de l’usage de ce mot-là, les blancs, comme groupe social. Dans un système racial discriminant, qui réprime, violente et assassine les personnes « racisées », nous devons impérativement regarder les choses en face. Nous sommes les blancs. Nous sommes la couleur des collants « chair » et celle du fond de teint « naturel ». Notre race sociale existe bel et bien, puisque ceux qui n’y appartiennent pas en souffrent, en meurent, doivent faire face à des oppressions systémiques et des difficultés d’accès à tous les domaines de la vie sociale, économique, politique, à la vie tout court même, dans le cas des victimes des crimes policiers. On parle ici aussi d’emploi, de logement décent, d’accès à la prise de parole, au pouvoir médiatique, politique, économique.
Aucun policier ne nous assassinera uniquement parce que l’on est blanc, personne ne nous refusera un emploi ou un logement uniquement sur la base de notre appartenance raciale blanche – réelle ou supposée. Nous appartenons ainsi, de fait, à ce que l’on peut appeler le groupe dominant, celui qui bénéficie de tous les privilèges, quand bien même individuellement nous nous y refuserions. Les structures sociales nous dépassent mais pour les combattre, pour les mettre à terre, il faut les comprendre et analyser notre propre position dans les rapports de domination. En attendant, concrètement, nous sommes les blancs. Nous devons nous penser enfin comme tels et agir dans ce cadre.
Globalement, se reconnaitre blanc, admettre l’existence et la permanence du système racial français, tenter d’en comprendre les origines (coloniales notamment) mais surtout les effets, relève du devoir. Devenons des traitres. Dénonçons. Refusons, par tous les moyens à notre disposition, de participer à la reproduction de ce système. Nous n’y parviendrons qu’en redonnant la parole et la place aux « racisé-es », en accordant foi et soutien à leurs témoignages, actions et expériences autonomes. Nous devons nous taire pour leur faire enfin place. Marcher derrière, pour une fois (la première d’une longue série) mais marcher avec. Proposer un soutien, pas noyauter un mouvement, pas prendre des décisions à leur place. Les mouvements autonomes « racisés » ne nous excluent pas, ils nous interpellent. Nous pouvons et nous devons y participer. A notre juste place.
Venez, les blancs, on vous attend.
[1] Le terme racisé fait débat. Ici, et dans l’attente d’un travail collectif plus dense qui sera bientôt publié sur contre-attaques, il est utilisé pour désigner à la fois l’ensemble des personnes qui sont désignées comme non-blancs, contre leur gré mais aussi comme une possible composante revendiquée de l’identité des personnes non-blanches.
[2] Il peut sembler contradictoire que je dise « taisons-nous » tout en prenant la parole sur le sujet. Il s’agit en fait d’une demande du comité de rédaction du site.
Il y a plusieurs choses dans ce texte “Pourquoi en tant que blanche, je participe à la Marche de la dignité” qui devraient, à juste titre, soulever des questionnements de fond et de sérieux problèmes pour des individus qui se pensent un tant soi peu révolutionnaires, anarchistes, communistes ou tout autre étiquette que l’on veut bien s’accoler.
On ne vas pas se lancer dans une critique de la Marche de la Dignité, on pourra se contenter de relire ce texte https://nantes.indymedia.org/articles/32210. On ne vas pas non plus se lancer une critique de plus de ce qu’est le PIR, ni de tous les signataires de l’appel à la marche, ce serait trop fastidieux et d’autres ont déjà entrepris ce travail. On se contentera ici de reprendre quelques passages du texte pour les critiquer ainsi que leurs logiques sous-jacentes.
1. “Ils vont marcher pour exiger l’égalité concrète et la justice”
D’emblée, le cadre de cette manifestation est posé, on ne vas pas marcher dans une perspective un tant soi peu subversive, de renversement de l’État, du capitalisme, etc., mais tout simplement dans une logique réformiste. Pas besoin d’avoir lu tout pour comprendre que l’auteur exige, ou plutôt demande, à savoir que tous les personnes vivants en France soient traités de manière égale par l’État et que la justice soit enfin impartiale, ce qui revient à demander au système en place de changer et non à ce qu’il disparaisse ou soit détruit.
Si on n’avait bien compris, cela devient est encore plus limpide un peu plus loin dans le texte : “On parle ici aussi d’emploi, de logement décent, d’accès à la prise de parole, au pouvoir médiatique, politique, économique.” Le problème n’est donc pas l’État en soi mais bien un pan de celui-ci et tout le paragraphe “Parce que la parole des non-blanc(s)-hes est confisquée, étouffée […]” résume bien le positionnement de l’auteur. C’est dégueulasse, les noirs et les maghrébins ne peuvent pas devenir grand patrons du CAC40, profs, députés, etc. Ainsi, la parole qui leur est confisquée est celle qui s’exprime par le biais de l’État et pour sa défense, sa perpétuation donc. On ne veut pas que le système qui depuis des millénaires nous opprime soit détruit mais que celui-ci opère une transformation pour mieux intégrer d’autres composantes sociales, en clair le réformer et le renforcer dans sa légitimité.
Petit exemple un peu provoc’ : il est difficile pour un noir de devenir flic, c’est un fait, mais qu’est-ce qui nous intéresse ? Qu’il soit noir et qu’il ait enfin “réussi” là où tant d’autres ont échoué ou qu’il soit flic et doit donc être traité comme tel, un garant de la paix sociale et de la stabilité économique ?
2. “Les structures sociales nous dépassent mais pour les combattre, pour les mettre à terre, il faut les comprendre et analyser notre propre position dans les rapports de domination. En attendant, concrètement, nous sommes les blancs. Nous devons nous penser enfin comme tels et agir dans ce cadre.”
“Devenons des traitres. Dénonçons. Refusons, par tous les moyens à notre disposition, de participer à la reproduction de ce système. Nous n’y parviendrons qu’en redonnant la parole et la place aux « racisé-es », en accordant foi et soutien à leurs témoignages, actions et expériences autonomes. Nous devons nous taire pour leur faire enfin place. Marcher derrière, pour une fois (la première d’une longue série) mais marcher avec. Proposer un soutien, pas noyauter un mouvement, pas prendre des décisions à leur place. Les mouvements autonomes « racisés » ne nous excluent pas, ils nous interpellent. Nous pouvons et nous devons y participer. A notre juste place.”
Prenons les choses dans l’ordre : si je suis blanc, je doit donc devenir un traître à ce système inégalitaire, le dénoncer puis enfin me taire (comment ces deux choses contradictoires s’articulent n’est pas précisé, ni non plus comment on peut marcher derrière mais avec).
On fait donc l’injonction aux blancs d’admettre leur position dans la société française, qu’ils participent au mouvement en dénonçant leur position dominante, mais surtout qu’ils se taisent. Ce n’est donc pas un appel à lutter ensemble qu’il faut voir ici mais une obligation à un soutien passif, puisque si l’on écarte d’emblée la possibilité de parler (“Nous devons nous taire pour leur faire enfin place”) et d’agir véritablement ensemble (“Proposer un soutien”). Tout individu blanc étant donc relégué à la simple place de soutien de la contestation. On n’est pas acteur mais simple spectateur. On n’agit pas, on se contente de dénoncer et d’apporter un soutien acritique.
En guise de conclusion partielle
Au final, vouloir se battre contre le racisme ne peut passer par l’affirmation de son identité et de sa couleur de peau (blanc de classe moyenne, noir des banlieues, etc.), classes sociales et distinctions qui sont les produits de ce système, et donc par la séparation et la classification de chaque individu sous une étiquette. Vouloir au final faire à tout prix cette distinction ne mène qu’à nier toute individualité et toute l’importance des choix que chacun fait dans sa vie, sans nier l’importance et l’influence des conditions extérieures. Que l’on soit blanc ou noir, ce qui est vraiment important est de quel côté de la barrière on se situe : avec ou contre l’État.
En suivant ce raisonnement, on en finit par ne plus considérer tout un chacun selon ce qu’il fait mais selon ce qu’il est à la naissance (noir, blanc, jaune, etc.). Ce que propose l’auteur de ce texte n’est donc pas d’attaquer ce monde en entier mais seulement un pan de celui-ci, le racisme. Si ce dernier disparaît, est détruit, nous vivrons alors dans le meilleur des monde – capitaliste – où tous auront la possibilité de consommer, d’opprimer, sans aucune discrimination basée sur la race. Peu révolutionnaire comme finalité…
Les opprimés n’ont ni patrie ni race.
« On ne vas pas se lancer dans une critique de la Marche de la Dignité… »
« On ne vas pas non plus se lancer une critique de plus de ce qu’est le PIR, ni de tous les signataires de l’appel à la marche… »
Pas la peine de dire que vous n’allez pas faire ce que justement vous faites sous forme de spams avec des dizaines d’articles contre la marche. Il faut bien qu’il y ait une raison à cette haine hystérique contre une marche qui regroupera que vous le vouliez ou non vos ennemis déclarés : les antiracistes.
En tous cas, c’est effectivement pas avec ces boulets complètement subjectivistes, acritiques et surenchères dans la victimisation (“on est tous gentils, tous bipèdes, tous égaux et la méchante société n’est qu’une illusion et un mauvais rêve”) qu’on va pouvoir poser une quelconque analyse de vers quoi entendent converger les options politiques d’appropriation et de revendication. En termes simples de constat de l’état de fait social, ils donnent même totalement raison à leurs adversaires.
LÀ-BAS HEBDO n°26 (78’24)
LA DIGNITÉ EN MARCHE
Le vendredi 30 octobre 2015
« L’important n’est pas ce que l’on fait de nous, c’est ce que nous faisons nous-mêmes de ce que l’on fait de nous. » La phrase de Sartre leur va parfaitement. Issues de l’immigration, issues des quartiers, issues de la diversité, tout un langage correct euphémise la stigmatisation. Et pourquoi pas “issues de secours” ? Comme un appel à la lutte contre les discriminations, à la fois le racisme social et le “racisme racial”.
Bien sûr on dira que le vieux spectre de la récupération se pourlèche déjà. On se souvient comment SOS Racisme fut organisé par la gauche pour récupérer cyniquement le grand élan pour l’Égalité. On se souvient comment la droite mit en scène des figures féminines de la “diversité”. Dans la confusion ambiante, les malins feront des amalgames avec Soral et Dieudonné. D’autres pointeront l’élimination des “petits blancs” qualifiés de « sous chiens », c’est-à-dire “de souche”, comme une sorte de racisme à l’envers (et qui au passage pourrait bien viser aussi les Juifs…).
Autant de pièges, de dérives et de délires à venir. N’empêche, il y a dix ans, comme dit Omar, les flammes de la révolte des quartiers « ont mis la lumière là où personne ne veut regarder. » C’est la lumière que rallume aujourd’hui cette dignité en marche.
Avec, autour de Daniel MERMET :
– Amal BENTOUNSI, initiatrice de la Marche de la Dignité et contre le Racisme et fondatrice du Collectif “Urgence Notre Police Assassine”,
– Nacira GUÉNIF-SOUILAMAS, sociologue, professeure à l’Université Paris VIII,
– Ismahane CHOUDER, présidente du Collectif des Féministes pour l’Égalité et co-auteure du livre Les filles voilées parlent (La Fabrique, 2008),
– Michèle SIBONY, vice-présidente de l’UJFP (Union Juive Française pour la Paix),
– Omar SLAOUTI, professeur de physique-chimie à Argenteuil, membre du Collectif “Vérité et justice pour Ali Ziri”,
– Farid KACHOUR, vice-président de l’Association Cultuelle des Musulmans de Montfermeil,
– Dillah TEIBI, journaliste,
– Et notre chroniqueur Didier PORTE
Écouter l’émission en totalité :
http://www.ujfp.org/spip.php?article4487