« Ce qui est arrivé à Rémi aurait pu arriver à n’importe lequel d’entre nous, ici ou ailleurs. A n’importe qui d’un peu déterminé mettant en actes son refus. »

Beaucoup de personnes ont bien compris que le sens de ce qui s’est passé au Testet ce dimanche-là dépasse largement son caractère local et person­nel. Réagir massivement et vigoureusement à ce qui s’est passé ne saurait se réduire exclusivement à rendre hommage à Rémi.

Alors que la pourriture journaliste revomit, sans surprise, sa séparation médiatico-policière entre « casseurs » et « légitimes » manifestant-e-s, entre « violent-e-s » et « non-violent-e-s », alors que les politicien-ne-s s’en trouvent politiquement quelque peu ébranlé-e-s, alors que la porte-parole de France Nature Environnement entretient aussi ce clivage entre « violent-e-s » et « pacifistes »1, bref, alors que la cour démocratique, ses concurrents et laquais opèrent leurs diverses sales manoeuvres, cette feuille se veut une contribution à réfléchir et à réagir sur le papier et dans la rue à cet énième assassinat de l’Etat.

Parce-que l’Etat, par sa police, a le sang de tant d’autres Rémi sur ses drapeaux et ses uniformes

Du terrorisme, cet instrument de gouvernement né comme instrument institutionnel et indiscriminé d’avril 1793 à juillet 1794 à l’actuel – et cynique – « anti-terrorisme », en passant par la répression dans le sang de la commune de Paris en 1871, le massacre et le jet dans la Seine de dizaines d’Algérien-ne-s qui manifestaient le 17 octobre 1961, le meurtre de Carlos Giuliani à Gênes en 2001, ceux de Zyed et Bouna en 2005 à Clichy-sous-Bois, celui d’Alexis Grigoropoulos à Athènes en 2008, celui de Michael Brown ce 9 août aux Etats-Unis, et ceux de milliers et milliers d’inconnu-e-s et anonymes humilié-e-s, séquestré-e-s, mutilé-e-s et, bien sou­vent, tué-e-s dans les prisons, aux frontières ou encore dans les lieux où le capitalisme souhaite se restructurer (favelas au Brésil pour la coupe immonde), l’assassinat de Rémi par la gendarmerie Nationale s’inscrit dans l’histoire de l’Etat où les protagonistes de celui-ci ont toujours eu besoin de maintenir/imposer leur ordre et leur projets par l’usage de la violence en bandes organisées que sont la police, la gendarmerie et la vieille armée pour les plus connues.

Ainsi, la police agresse, frappe, séquestre, terrorise et tue mais c’est l’Etat qui, au bout de la chaîne, com­mande, rend possible et justifie ces opérations.

A chaque coup de matraque, à chaque contrôle, à chaque tabassage dans les prisons, à chaque chasse à l’homme aux frontières, dans toute occupation régulière dans des « zones sensibles », ou à chaque manifestation occa­sionnelle, tôt ou tard apparait cette combinaison bleu-blanc-rouge sur ces types organisés et armés jusqu’aux dents. Cette violence raisonnée, industrielle, préméditée et conforme à la Justice, à l’Etat de droit et à la dé­mocratie, s’applique sur des africain-e-s et des blanc-he-s, des jeunes et des vieillard-e-s, des hommes et des femmes (2).
Et il ne s’agit certainement pas de dire que l’uniforme armé devant nous n’y est pour rien dans ce qui se passe. Ce serait trop simple de dire qu’il/elle n’a « rien dans le cerveau ». Ou qu’ « il/elle ne comprend pas ». Ou de sa part, qu’il/elle « ne fait qu’obéir aux ordres ». Rien n’oblige aujourd’hui quelqu’un-e à dédier sa vie à imposer une société fondamentalement ignoble par la violence sous diverses formes, jusque par l’assassinat aussi donc. Non, devenir policier relève d’un choix. Et très probablement d’un goût caractéristique pour la violence avec impunité.

Parce-que ce qui se passe au Testet se passe ici et ailleurs, crument ou à petit feu, directement ou indirectement

L’ « ordre public » que ces lâches (flics et politicien-ne-s) prétendent faire respecter n’est qu’une expression de l’Etat pour désigner la soumission de nos vies aux intérêts du pouvoir qui se font au détriment d’autres : les pauvres, celles et ceux situé-e-s au bas de l’échelle sociale et aussi celles et ceux qui refusent cette société.
Nous sommes ainsi nombreuses et nombreux à avoir compris que le « bien public », l’ « intérêt général » et autres grandiloquents mots sont des mensonges et même des pièges. Sous couverts de ces éblouissantes formules, l’Etat et le capitalisme font passer leurs grands projets qui, soyons-en certain-e-s, sont loin d’être inutiles au moins au profit, au contrôle et à leur vision du monde.

Dépendre d’un travail, de l’argent (qui nous possède plus que nous le possédons), supporter les bouchons en voiture ou dans les transports en commun, craindre de ne pas réussir à payer les factures, se forcer à sourire pour un entretien d’embauche, etc, notre mode de vie actuelle est fait de pleins de violences « de basse intensité » que nous avons à force fini par accepter. Mais ce sont tout autant des poisons qui de plus en plus se manifestent comme tels ; un exemple très courant étant la dépression au travail pouvant mener au suicide, ou pour prendre un « fait divers », l’immolation par le feu d’un homme de 51 ans à Mantes-la-Jolie en 2012 suite à la suspension de ses allocations.

Pour que ce soit clair : nous souhaitons porter ou plutôt étendre la lutte, les réactions et réflexions sur la violence structurelle, systémique et inhérente à cette société plus totalitaire qu’on ne le pense. Tant qu’il y aura des flics, il y aura des gens à accuser de criminalité, tant qu’il y aura des politicien-ne-s, il y aura des gens à dominer et à tromper, tant qu’il y aura de l’argent, il n’y en aura pas assez pour tout le monde, tant qu’il y aura des frontières, il y aura des indésirables.

Parce-que leur plus grande peur à eux coïncide avec nos colères et nos rêves et pratiques d’émancipation et d’autonomie

Nous sommes nombreuses et nombreux à non seulement ne pas nous contenter du « moins pire des mondes », mais plus encore à voir et à comprendre l’ignominie de celui-ci (sa misère nécessaire, ses destructions indispensables, son hypocrisie dégoûtante3), par suite de quoi découlent des désirs et des germes d’autres manières de vivre-ensemble qui ont pour conséquence refus, résistance, bref, le choix de lutter.

Dans une telle perspective, nous n’avons rien à réclamer au pouvoir, car ni démission du préfet, du ministre ou voire le licenciement du gendarme ne changera la mécanique de leur violence que nous souhaitons détruire. Nous ne souhaitons pas faire sauter un fusible mais toute l’installation.

Il y a, comme nous avons essayé de l’esquisser, un antagonisme social et diffus dans le monde où l’Etat et le capitalisme voient le déroulement de leurs grands projets se heurter à des refus, des résistances et des contre-attaques horizontales et sans médiation. Cela tient du courage et de la réflexion et non de l’héroïsme, cela tient de la prise de conscience de ses désirs et de son individualité et non de l’abnégation de soi. Et cela tient aussi d’une capacité à se faire confiance sans passer par les actuels mécanismes autoritaires.
Si le projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a été mis à mal, si d’autres luttes ont tenues bon, c’est aussi que ces luttes ont passé par une résistance physique. Ce n’est pas dire la vérité qui, en soi, fera s’arrêter l’ouvrier manoeuvrant son engin de construction ou s’en aller les flics. Il y a divers moyens d’entraver la mise en place d’un chantier comme il y en a mille d’arrêter le cours normal des choses.

Aussi, lorsqu’on traite de « casseurs » des manifestant-e-s, qui ne se contentent pas de trainer leurs revendications en essayant de convaincre « l’opinion publique », il y a soit une absence de réflexion par rapport à tout ce qu’implique de violence et de soumission quotidienne et massive une banque, un panneau publicitaire, une agence immobilière, soit une acceptation fondamentale de cette société qui répond par la calomnie, arme à effet neutralisant dans les esprits; la fonction de répondre par les armes à proprement parler revenant aux lâches en uniformes.

Lorsqu’on dit que « ça ne sert à rien de casser des vitres », ou de faire des feux, nous répondons, « dans ce cas-là laisse-nous faire ; pour nous ce n’est, au moins, qu’une manière d’exprimer notre colère et de fissurer la fausse sensation d’entente sociale régnante.»

« Au niveau des individus, la violence désintoxique. Elle débarrasse le colonisé de son complexe d’infériorité, de ses attitudes contemplatives ou désespérées.
Elle le rend intrépide, le réhabilite à ses propres yeux. »

Dans ce monde où l’extermination sociale et le massacre organisé sont la routine quotidienne et les conditions de l’existence et du développement de l’Etat et du capitalisme, nous appelons à bloquer ce cours normal et normatif des vies selon les moyens et affinités de chacun-e. Dégageons temps et espace pour nous rencontrer et pour développer nos perspectives de lutte. Dans la rue, dans les lycées, universités, à la pause-déjeuner, etc.

Ni oubli ni pardon,

Ni passivité ni résignation.

Solidarité et attaque contre le totalitaire « moins pire des mondes », ses mécanismes psychologiques et matériels, ses agents et ses sbires.

avec rage et confiance,
Camille de Paris.

 

Notes :

1. Cette éhontée menteuse (comme tout-e porte-parole à vrai-dire) verte a été jusqu’à déclarer à la radio que « le pacifisme, on [les écologistes] a ça dans notre A.D.N. » et ce « depuis les années 70 ».

2. Pour dire que ce serait pas mal de dépasser les discours sur la « police raciste » sous-entendant ou impliquant explicitement la réclamation d’une « police juste », « vraiment au service du Peuple », voire « désarmée », et ce accompagné d’une justice « impartiale »… A un moment donné ce n’est même plus marrant, c’est terri­blement affligeant et désemparant.

3. Comme le formule clairement par exemple cette conclusion de Les frontières assassines de l’Europe à pro­pos des morts de Lampedusa en octobre 2013, publié sur le site sanspapiersnifrontieres.noblogs.org : « Ceux qui parlent à l’heure actuelle d’un drame humain et prétendent agir sont les mêmes qui tuent en renforçant toujours plus le contrôle et la répression aux frontières de l’Europe. »