Pacifiste, mais pas non violent.

Bonjour, je n’avais pas pensé écrire au sujet de la manif de samedi dernier, mais tout de même, il y a trop de textes qui oublient beaucoup, beaucoup de choses à mes yeux.

J’étais à Nantes samedi, c’est ma ville de naissance, celle de ma famille. C’est une ville que j’ai quitté il y a 7 ans car elle me dégoûte de plus en plus. Ses banques, ses avenues propres, ses caméras, ses magasins chics, ses grandes manifestations commercialo-festives type Royal de luxe, son commissariat Waldeck Rousseau aux dimensions monstrueuses, ses contrôleurs agressifs, ses consommateurs qui ressemblent à ceux de toutes les villes-monde du capitalisme contemporain.

J’ai la trentaine passée, suis-je un jeune ? Un adulte responsable ? Ma famille est arabe, suis-je «un jeune de banlieue » ? Je milite syndicalement et politiquement, cela rend-il « légitime » une participation au  face à face avec les flics de samedi dernier ? Je ne militais pas il y a 40 ans à la ZAD, cela diminue-t-il mon droit à participer à la résistance à l’Ayraultporc, car je ne serais pas un « historique » ?

Nantes, son développement, son capital, son pouvoir politique, c’est la métropole, et cette métropole s’étendra tant qu’elle le pourra, elle est comme le capitalisme, elle est historiquement le capitalisme. L’aéroport de Notre Dame des Landes, c’est peut-être un « projet-inutile-non-raisonnable-en-temps-de-crise-que-les-citoyens-responsables-critiquent-formellement », mais c’est aussi l’incarnation matérielle, directe, immédiate, saisissable des contradictions du développement du capital.

  On veut y construire un aéroport écolo, en détruisant une zone humide, en bétonnant un bassin versant (avec les inondations des dernières semaines en Bretagne ça promet pour l’avenir), en autorisant par arrêtés préfectoraux le « déplacement » d’espèces pourtant protégées par leurs propres lois, en expulsant des paysans. Cela n’est-il pas une violence faite aux hommes et à leur environnement ?

On parle de développement économique de la Région, pourquoi faire? Des emplois précaires, payés des miettes, dans des environnements de néons et de bitume ? Faire des MCdo, des Brioches dorées, des hôtels Ibis, des agences Nouvelles Frontières pour envoyer en masse des salariés qui du Leclerc Atlantis à l’hôtel de Djerba pourront découvrir en circuit fermé des univers clos, aseptisés, sans autres contacts avec les populations locales que celles du maître à son domestique, le tout au bord d’une piscine où un abruti du club med leur dira comment « bien s’amuser ».

Le projet d’aéroport, son monde, ce sera la bouffe de LIDL, là où existait une agriculture d’élevage fondée sur la lande. N’en déplaise à Monsieur Auxiette qui disait sur France 3 que « Notre-Dame des Landes, des landes ! C’est bien la preuve que rien n’y pousse ! ». Il faut dire à monsieur Auxiette, que l’agriculture bretonne traditionnelle est fondée sur la lande, qu’on n’est pas en Beauce, qu’en Bretagne l’agriculture traditionnelle ne connaît pas de rotation triennale, la lande terre de pâturage est aussi un fertilisant pour les sols, soit pour les plants d’hiver, soit pour ceux d’été. Ces propos du président de la Région ne sont-ils pas une violence, en plus d’un flagrant-délit d’ignorance crasse et technocratique ?

Certes, beaucoup voulaient que cette manifestation soit familiale, festive, gentille. J’ai une famille, je ne suis pas méchant, j’aime faire la fête, et pourtant. Pourtant, la violence de samedi dernier c’est d’abord celle de 1500 policiers armés qui ont bouclé le centre-ville pour nous empêcher d’y défiler. La violence de ce samedi, c’est aussi l’irruption en ville de cette même violence et de cette répression qui depuis deux ans se déchaînent à la ZAD. Combien de gens mutilés à la ZAD, par les flash-balls, les grenades, les matraques, les gaz ? Combien de condamnés par une justice aux ordres de la bourgeoisie ?  Combien de maisons détruites au milieu de nuages de lacrymogènes ? Les ripostes physiques à cette violence policière ont sauvé la ZAD et ses habitants en novembre 2012. Sans cette violence il n’y aurait pas eu de manifestation un samedi 22 mars 2014, il y aurait un gigantesque chantier en cours.

Il y a eu samedi quantité de gaz et de grenades tirées bien au-delà de Commerce sur les familles. Est-ce que ce sont les manifestants qui les ont tirées ? Est-ce que celles et ceux qui ont fait face aux flics sont allés se cacher derrière des enfants ? Non, tous et toutes sont restés au plus près des flics, quand les prises de paroles se faisaient bien loin derrière. Les policiers ont sciemment tiré sur le rassemblement, sans s’inquiéter de la présence d’enfants.

Il y a eu des pavés d’arrachés, des véhicules de Vinci incendiés, un commissariat dégradé, des cahutes de contrôleurs incendiées, et des agences de voyage ou des bureaux de Vinci et du département attaqués. Pas de quoi fouetter un chat. Seul le chat noir, d’ailleurs, fait figure de dégât collatéral, mais ses patrons n’en semblent pas plus atterrés que cela, il et elle savent qu’un cordon de crs s’était installé à côté de leur vitrine, et illes soutiennent la lutte contre l’aéroport de tout leur cœur.

Je suis profondément pacifiste, je m’oppose à la guerre entre les peuples. Mais je ne suis pas non-violent. Face à des hommes en armes je résiste, je me rebelle, je rends les coups. Que d’autres ne pense pas comme moi, je le respecte. Je respecte la non-violence, surtout quand elle est pratiquée par des gens qui acceptent de recevoir des coups sans y répondre. Mais la « non-violence » de celles et ceux qui prennent la défense des policiers n’est pas pour moi de la non-violence, elle est de la peur déguisée en « citoyenneté responsable », elle est la lâcheté des électeurs de juin 1968 et de mai 2002, dont j’étais d’ailleurs, concernant 2002.

Je ne suis pas nihiliste, j’ai foi en l’être humain, j’aime sa diversité. Par contre le système politique et économique qui vitrifie Nantes en la transformant en musée pour classe moyenne, ce groupe de gens qui veulent détruire le bocage, ses techniques agricoles, ses diversités humaines, animales et végétales, ces politiciens, chefs d’entreprises et actionnaires qui portent l’idée d’un monde total, vidéo surveillé, génétiquement fiché, où le vivant est une marchandise, tout cela à mes yeux c’est du nihilisme. Quand ils bâtissent, de mon point de vue, c’est toujours une destruction bien plus insupportable que celle d’un commissariat qui brûle, leur cynisme est de notoriété publique alors pourquoi l’oublier aujourd’hui ?

Nous sommes une minorité à penser comme cela. Comme nous étions une minorité à manifester contre l’aéroport, tandis que de l’autre côté des murs antiémeutes les habituels consommateurs du samedi poursuivaient leur communion hebdomadaire au temple du commerce, se moquant éperdument de ce qui se passait à quelques centaines de mètres d’eux. Mais il n’y a pas que là que nous sommes une minorité, ainsi au quotidien nous sommes une minorité à ne pas être racistes, hostiles aux roms, aux musulmans, aux chômeurs, à celles et ceux qui choisissent de vivre différemment. Nous sommes une minorité à nous dresser face à l’extrême-droite, quand les télévisions et les hommes politiques lui confèrent des lettres de noblesse, soit en leur donnant la parole, soit en surenchérissant dans la diatribe sécuritaire ou identitaire.

Nous sommes une minorité, forgée de différences, et ces différences sont notre force et notre richesse. Ce qui pourrait nous décrédibiliser ce serait de nous diviser en oubliant que l’ennemi ce n’est pas le manifestant, fût-il émeutier, mais bien le policier payé à défendre les biens de ceux qui chaque jour nous font violence et veulent nous interdire de vivre un autre monde que celui de leurs délires de puissance.  

Nous sommes une minorité à encore rêver à un monde plus juste, où nous serions plus libres. Nous portons différemment ce rêve, mais n’oublions pas que nous le partageons.

La lutte continue !