Impressions locales.
L’impression aujourd’hui, dans la phase actuelle du mouvement social,
de s’enfermer justement dans le mouvementisme.
Ceci au lieu de se réapproprier notre temporalité de lutte propre,
d’obéir à l’urgence syndicale.
Comment se subsister, rendre la grève permanente, la faire vivre et la
rendre active autrement que par les grandes journées syndicales,
comment en d’autres termes autonomiser la lutte à partir des camarades
qui la créent ?

L’impression d’en être juste à se demander quelle est la prochaine
action, quelqu’elle soit, et d’y foncer tête baissée, sans y mettre un
fond, une ligne politique claire, un positionnement, que ce soit par
des communiqués, un journal, des tracts, etc. A nous de nous créer et
trouver des outils de lutte qui nous semblent justes et appropriés.
Sans quoi, on ne reste que de sinistres portes-drapeaux, des moutons
qui gonflons numériquement les actions-marketing-CGT. Car cette
dernière vise moins la plupart du temps des blocages économiques réels,
effectifs, et durs, que de promouvoir le logo-sponsor de l’orga.
Comment ne pas se faire manipuler, comment se démarquer ?
Comment parvenir à se positionner : par rapport aux camarades en lutte
et leurs actions réelles, par rapport à la répression et les
innombrables arrestations-perquisitions, par rapport à la trahison des
centrales syndicales, par rapport à l’aspect strictement revendicatif
et défensif-réactif du mouvement social ? Ceci afin de redonner au
mouvement cette force de frappe offensive qu’il est dans ses moyens
d’action, mais pas dans le fond. La « base salariale » se radicalise et
s’autonomise dans ses moyens d’action mais pas dans la signification
politique de ces moyens d’action : oui, on bloque des flux de
marchandise, on empêche les collègues d’aller au taf, on saccage des
bureaux de direction ou des permanences UMP voire MEDEF, etc etc, mais
toujours pour quémander un dialogue, une négociation, une pitié de la
part de l’Etat.

Alors que cette phase du mouvement est en cela très intéressante : les
centrales syndicales trahissent, négocient, gèrent leurs troupes
locales pour modérer le mouvement dans ses initiatives, ET POURTANT les
actions radicales de blocages économiques continuent, se multiplient et
se durcissent un peu partout. Alors que le gouvernement, de son côté,
main dans la main avec les centrales, joue sur le pourrissement par
l’épuisement et la censure-propagande médiatique, et par la
provocation-répression. Cette phase est celle de la peur du MEDEF, du
patronnat, de l’Etat. Car effectivement ils ont peur, comme les
centrales syndicales, que ça reprenne, que le souffle « jeune »
(étudiants-lycéens) prenne ou reprenne et donne assez de force aux gars
salariés qui maintiennent grèves et actions de blocage à continuer
encore.
Autrement dit, le mouvement entre enfin dans cette phase tant souhaitée
de renversement de perspective :
LA PEUR CHANGE DE CAMP, le MEDEF compte tristement ses profits perdus
(plus de 4 milliards d’euros depuis le début des grèves en septembre,
dont 200 000 euros rien que pour l’industrie pétrolière), l’Etat craint
la radicalité des lycéens prêts à l’affrontement et les centrales
craignent la radicalisation et l’autonomisation de la base.
LA PEUR CHANGE DE CAMP, et il faut agir pour confirmer cette tendance,
en affichant clairement et collectivement notre ligne politique : que
non, nous ne sommes pas là pour négocier, que nous ne sommes pas là
pour les médias, mais que lorsqu’on va en manif, l’on va tenir des
piquets, faire des actions, c’est un acte de guerre. De guerre contre
l’Etat. De guerre contre le Capital. De guerre contre les centrales
syndicales. Trouver les électrons libres, les exilés, les pirates, les
parasites subverfis dans les boîtes, les bahuts, les usines, la rue;
prendre les contacts, apprendre à se connaître, se coordonner,
s’auto-organiser, se positionner, décider et agir, frapper.
Dans cet élan-là a été possible dans plusieurs villes de faire des
Assembléees Populaires (comme à Lyon ou Toulouse), de faire des
manifs-dures en vue de blocages économiques avec affrontements directs
avec les flics s’ils s’entravent, des communiqués collectifs de la base
qui crache à la gueule des centrales et des médias, de créer des
canards (le journal radical INFOSLUTTE dans je ne sais plus quelle
ville), des radios, etc.

Se trouver, se choisir, se créer des outils de lutte qui nous permette
cette autonomisation des personnes en lutte, et donc de la lutte
elle-même.
Cela éviterait également de s’épuiser dans des élans suivistes,
puisqu’alors nous reprenons l’initiative, la gardons et la développons.

En France, ce mouvement social aura eu quand même quelques mérites :
l’autonomisation des actions par la multiplication des initiatives
locales, la solidarité et convergence de terrain, les blocages
économiques comme illustration politique de la grève, les piquets
tournants/volants, les caisses de solidarité; et surtout, ce mouvement
ouvre une brèche, une ère d’instabilité à long terme. Ere d’instabilité
que pourra contrôler de moins en moins la police syndicale, et les
centrales en ont conscience, d’où les airs-bluffs de radicalité, parce
que les centrales s’adaptent à la détermination de la base sur le
terrain.

Dès lors, puisque cette brèche est ouverte, il est important de poser
de nouvelles questions tactiques sur la stratégie des groupes radicaux
vis-à-vis du mouvement « syndical ».

De plus en plus de gens se « subvertisent », réceptifs au discours
radical et à son auto-organisation en Bloc dans les cortèges et la
solidarité affinitaire en son sein, comprennent que les grandes
« journées d’action nationale et intersyndicale » ne sont que des
fanfares festives dont le seul critère de rapport de force est le
nombre. Mais la radicalité est notre force, davantage l’est notre
initiative auto-organisée et coordonnée. Créer la tension, créer
l’enjeu, l’étincelle, le rapport de force en manif où dès lors y aller
est une action en soi, par notre capacité d’action et de réaction.

D’où, dans le cas spécifique de Strasbourg, le succès tactique du Bloc
Anticapitaliste, qui, à 150 sympathisants dont 30-40 en noyau dur
soudé, créé plus de tension et de rapport de force que les 30 000
autour de nous à défiler. D’où la présence policière unilatéralement
tournée contre nous, car la répression est politique. Peut-être moins
d’efficacité tactique dans l’idée, pourtant présente, de créer une
sorte « d’agitation permanente » dans la rue en ville (surtout possible
grâce aux lycéens, parfois trop seuls), par des manifs sauvages, des
actions économiques de paralysie de sites stratégiques,
d’occupation-blocage de lieux de travail et production, c’est-à-dire le
maintien de la pression par actions-agitation-blocages économiques
QUOTIDIENS et ponctués par les méga-manifs. Méga-manifs qui restent
nécessaires pour la montée en crescendo du mouvement avec un rythme,
une temporalité régulière, et, donc, sa « massification », autrement dit
son amplification et sa radicalisation. Ceci reste intéressant jusqu’à
la phase cruciale du mouvement quand il entre dans une logique de
répression/radicalisation qui se reflète par la multiplication et le
durcissement des conflits internes. Mais cette phase n’est pas ultime.
Pour échapper à « l’ultime » justement, c’est-à-dire au mouvementisme
acharné qui rime avec urgentisme et épuisement, essoufflement, créer
une nouvelle phase (celle qui est si difficile en France), celle
justement du renversement de perspective : ce en imposant comme rapport
de force sa propre temporalité de lutte et ainsi briser le chantage de
l’Etat et de la police syndicale.

« Le mouvement est mort », entend-on. Mais de quel mouvement parlons-nous
? L’idée est justement de favoriser les conditions qui permettent de
créer un mouvement dans le mouvement, où la phase
d’essoufllement-radicalisation forcenés se transforme en
auto-organisation pour une lutte à long terme, inter-mouvement
peut-être, ou qui rend le mouvement permanent; bref, qui se réapproprie
sa force de frappe offensive pour de nouvelles perspectives de lutte,
qui ne soient plus revendicatives-défensives-réactives.
Cette phase peut prendre multiples formes : mouvement des occupations
de lieux stratégies (tels instances représentatives de la société
totalitaire-marchande) pour des Assemblées Populaires et de
coordination permanents, de réappropriation de médias tel radio, etc
etc.
A partir de là, repenser collectivement et par une nouvelle situation
de lutte que nous avons nous-mêmes créé ce mouvement qui ne doit plus
donc être revendicatif mais offensif.

Il n’y a pas encore eu de phase proprement insurrectionnelle dans les
mouvements sociaux en Europe pour le moment, mais cela commence à
prendre pied, à se réfléchir et en pratique. A nous d’être présents et
de saisir les enjeux tactiques énormes.
Aussi, maintenant, localement et nationalement, poser la question : où
est le mouvement réel ?

Quand on voit à un Comité de Lutte qui rassembla ce soir là une grosse
soixantaine de personnes des lycéens peu « politisés » comme on dit, mais
qui sont réceptifs, attentifs et concentrés à de longs et apparemment
austères sptich Legal Team compris alors comme réellement et
collectivement nécessaires, c’est quelque chose de fort et positif.
Structure qui s’organise, se consolide, se prépare et se projette. Car
là est finalement la vraie question : se donner les outils et les
moyens pour continuer de se fortifier, se structurer, et avoir une
force de frappe plus cohérente et efficace dans les prochains grands
évènements sociaux dont il ne faut évidemment pas s’isoler car au
départ pilotés par des centrales syndicales réformistes.

Le mot tourne, se réapproprie, s’exprime avec moins en moins de retenue
: l’Etat, la police, les centrales syndicales, le salariat, le
capitalisme, sont fondamentalement des ENNEMIS. Avec tout ce que cela
implique.

-guitoto