Salut à tous les camarades,

C’est une triste nouvelle qui me pousse à écrire cette lettre. A l’heure où elle sera rendue publique, je serai en prison, enfermé dans une cellule pour un temps que j’ignore. Il y a une semaine j’ai reçu une convocation de la juge antiterroriste Houyvet pour le 14 août en tant que mis en examen dans le cadre de l’instruction sur la supposée « Mouvance Anarcho-Autonome Francilienne ». Pour mémoire, j’avais déjà été interpellé le 19 janvier avec Ivan et Bruno qui étaient en possession de fumigènes. J’avais alors été placé sous contrôle judiciaire.

Je suis donc convoqué le 14 août car les flics et les experts en charge de ces affaires prétendent avoir recoupé mon ADN prélevé sur un de mes habits en Garde-à-vue le 19 janvier (j’avais alors refusé de le donner volontairement) avec l’un de ceux relevé sur une bouteille remplie d’essence retrouvée sous une dépanneuse de la police en mai 2007, au moment de l’élection présidentielle. Dans cette affaire, Isa et Juan sont déjà incarcérés. Je sais donc en me rendant à cette convocation que je n’ai aucune chance d’en sortir à l’issue et pourtant je m’y rends. Si je tiens à écrire cette lettre, ce n’est pas pour me justifier ni pour chercher un assentiment collectif. J’ai fait ce choix après réflexion et après en avoir discuté longuement et collectivement. Ce fut évidemment une décision difficile mais je l’assume pleinement. J’avais seulement envie d’expliquer cette décision à toutes celles et tous ceux avec qui j’ai déjà partagé des moments de vie et de lutte et parce que cette situation peut toucher d’autres personnes et qu’il est bon de partager les expériences. Si je le fais dès aujourd’hui, c’est parce que je sais bien qu’il sera plus difficile de communiquer ensuite.

Dans cette affaire, mon ami Bruno a fait un choix différent, il a préféré la cavale pour des raisons tout à fait compréhensibles. Je lui souhaite de tout cœur bon vent et j’espère que tous les charognards de la répression ne retrouveront jamais sa piste. Nos choix ne sont pas les mêmes mais ne s’opposent pas entre eux. Libre, en cavale, sous contrôle judiciaire ou enfermé, ces situations sont différentes mais quelle qu’elles soient, nous restons animés par le même désir de liberté et le même envie de révolte face à ce qui nous opprime.

Dans ma situation, il n’y avait que peu de possibilités : partir ou me rendre à la convocation, soit l’exil ou la prison. Je ne voulais pas ne pas m’y rendre et attendre qu’ils viennent m’arrêter chez moi ou m’enlever en pleine rue. Quant à partir, je ne me voyais pas refaire ma vie à des milliers de kilomètres ni vivre caché dans la crainte permanente d’être arrêté. Bien que, je le répète encore, je comprends et soutiens tous ceux qui ont fait ces choix, mais moi je ne me le sentais pas, voilà tout. Restait donc me rendre à cette convocation et aller quelques temps en taule, ce qui ne signifie pas que j’accepte mon sort. Aller en taule tout en continuant à lutter pour la liberté, sans oublier ce qui nous anime politiquement, sans renier ce qu’on est, des révoltés contre l’ordre des choses, contre la marche de ce monde qui se prétend naturelle et contre la résignation.

Quant aux faits qui me sont reprochés, je nie une quelconque participation à cette action, je conteste ce rapport d’expertise et par là tout le système judiciaire et sa cohorte d’experts qui font maintenant de l’ADN l’élément indiscutable prouvant la culpabilité, l’empreinte génétique devenant la preuve absolue. J’affirme néanmoins ma pleine solidarité avec toutes celles et tous ceux qui, lors de la dernière élection présidentielle, ne se sont pas contentés de rester dans leur coin mais sont descendus dans la rue pour gâcher la fête de l’arrivée au pouvoir d’un nouveau chef et exprimer avec rage leur refus d’être gouvernés, chacun à leur manière.

Cette révolte se poursuit aujourd’hui de différentes manières, dans les centres de rétention, dans les lycées ou dans les rues et j’espère de toute ma détermination et de toute ma rage que les murs qu’ils construisent ne suffiront à nous séparer et à briser nos solidarités et nos révoltes.

A bientôt, Damien.