« C’était un étrange Paris que celui-là. Vous vous le rappelez : Le choléra était tout ; il avait tout absorbé, politique, émeute, théâtre, intrigue ; il était la société entière, la morale, le dogme, le but de toutes les pensées, le centre de toutes les actions. Pauvre Paris ! Et qu’il était hideux, quand la lie et la boue sociale, agitées dans leurs profondeurs, remontaient à la surface, fermentaient, écumaient, menaçaient de joindre leurs vagues folles à celles des partis et des ambitions, et remplissaient la ville des plus monstrueuses clameurs que l’on puisse entendre ou imaginer.

[…]

Ce qui serrait l’âme, ce n’était pas tant le spectacle du commerce paralysé, des théâtres fermés ou vides, des cercueils portés à bras, faute de chevaux et de voitures, des femmes en deuil, de la ville abandonnée par trente mille étrangers en huit jours, de la Chambre représentative déserte, des travaux délaissées, que celui de la tourbe ignorante et déçue poussant dans les rues ses cris de rage et de meurtre, arrêtant un corbillard par des blasphèmes, enivrée de désespoir, de fureur, de terreur, de vengeance, de faim et de sédition ; rebelle à la science, inaccessible à la persuasion, incapable d’une abstinence nécessaire et d’une pieuse force d’âme. Qui a vu ces bacchanales de sang et de mort ne les oubliera jamais. Qui a vu l’émeute et le choléra s’embrasser comme frère et sœur et courir la ville échevelés ne les oubliera pas. C’était plus horrible vraiment que la peste de Barcelonne, que la peste de Marseille, que tous les souvenirs de l’histoire.

On nous avait tant dit que la civilisation s’était infiltrée dans les dernières classes de la population ! »

Journal des débats, 29 septembre 1832.