Lettre à l’ami.e qui est en couple.

A toi, l’ami.e, pour t’expliquer une dernière fois que tes choix font de notre amitié
une petite feuille de pq simple épaisseur qui ne brûle même pas très bien.

Tu sais, tu commences par la drague. C’est souvent le même scénario, que tu as vu autour de toi,
dans les romans, à la télé, et que tu répètes, car peu importe les moyens, l’objectif ce soir, c’est de
pécho. Mais comme t’es un.e romantique, ça va pas être lourdingue, peut-être même un jeu, et y’a
que toi qui va t’amuser. Par d’habiles regards, en traînant tard, en jouant la grande scène de rire un
peu plus fort, en ondulant gracieusement ton corps, tu vas essayer de te faire remarquer. Une petite blague bien placée, ton meilleur profil, et si t’es timide, tu peux demander des conseils à tes ami.e.s,
ielles sont là pour ça « Mais oui, tu es bell. Mais oui tu es drôle, t’inquiètes, je l’ai vu te regarder, tu veux que j’aille lui parler ? » Et bin moi, l’ami.e, je trouve ça fatiguant ton petit jeu, et pas bien
marrant. Déjà, parce que j’peux pas jouer, j’comprends pas les règles. Surtout, ça m’a l’air que ton p’tit show, c’est d’la bonne manipulation socialement très admise : tu as un but, une envie, un
enjeu, c’est d’emmener quelqu’un à un endroit et tu vas jamais lui montrer la carte. Tu vas jouer sur
de la valorisation, faire sentir la personne unique et désirable, sans t’intéresser à ses failles, ni lui
ouvrir une possibilité de poser des limites. Et voilà la danse qui ouvre le bal. Le bal de la romance.

A trois quatre heures du mat’, un peu torché, un peu désinhibéE, la sincérité ne s’improvise pas à
jeûn.

Ensuite, cher.e ami.e, tu vas prendre mon temps, car tu aspires à être conséquent.e. Et si tu n’es pas déjà
venu.e me chercher plus tôt pour t’encourager à pécho, c’est le moment, là, où tu arrives au galop. Car tu dois
créer, de tout pièce, une relation affective et rassurante avec cette personne qui te fait tant rêver mais que,
oui, c’est un fait, tu ne connais pas, et sur qui tu projettes tes attentes, ton désir et ton manque affectif. Moi je te
dis ça, mais tu ne veux pas l’entendre, parce que la rencontre est belle, et que tu es touché.e. C’est unique ce qui est en train de se jouer. Et la temporalité est serrée, y’a urgence, il faut que je t’aide, parce qu’iel pourrait en préférer un.e autre, ou qu’iel n’est pas trop sûr, faut mettre le paquet. Et puis, il faut décider, la non exclusivité ? Le
polyamour ? Heureusement, ta bonne amie est là, je suis là.

Et je vais te dire puisque je suis là. L’amour, et le polyamour, c’est de la merde. j’me suis faite avoir
moi aussi, t’inquiètes. On imagine que c’est la possibilité de briser la possessivité, de travailler la
jalousie, de moins projeter ses attentes sur une même personne, de décentraliser… Mais non. Ça
reste une alternative au couple exclusif, puisque ça ne remet PAS DU TOUT en question les
imaginaires de l’amour. Le polyamour permet encore l’accumulation de plusieurs relations
exclusives, de relations possessives, d’aliénation des singularités, de jalousie, de compétition, de
libéralisation de nos corps, d’exhibitionnisme affectif… Ça ne remet pas radicalement en question
la manière de relationner affectivement dans sa globalité.

Car toi, lea polyamoureuxe, je te jure, tu es unE vraiE p’tit champion : tu peux passer des heures à
deux à tenter de déconstruire les mécanismes toxiques, ou aliénants, de ton/tes coupleS, sans jamais
te poser la question du rôle accordé à tes ami.e.s. Et ça, c’est bien de ça que j’ai envie de te parler,
cher.e ami.e en couple, parce que les mécanismes pourris de tes relations affectives ennuyeuses, j’ai
fini par m’en lasser, et ne plus rien en avoir à faire. Ce que tu fais de moi par contre, ça m’interroge
un peu plus.
Quand même, j’avais envie de dire au passage, que la non-exclusivité, si elle n’est pas pensée en
actes pour chacune des relations constituant ton confort affectif, c’est de la bull-shit aussi. Voilà. Tes
relations amoureuses seront toujours aussi centrales, et tes problèmes le seront aussi toujours autant
pour tes ami.e.s pas en couple.

Et non, tu n’as pas fini de m’emmerder, alors moi non plus.
Concrètement, ami.e en couple, ce que tu fais, c’est que tu vas considérer comme une sorte
d’évidence de me parler pendant des heures de tes épopées relationelles avec les personnes avec qui
tu partages une relation amoureuse. Et tu vas me parler des relations amoureuses de la personne
avec qui tu es en « relation ». Et puis celles de tous ses ami.es. Et puis quand tout ira bien dans ta
relation, je te verrai peu, car tu iras souvent lea voir, et que vous aurez beaucoup de projets
ensemble. Et quand cette personne ne sera pas disponible, ou que tu sentiras un besoin impérieux de
prendre l’air (tu vois que c’est étouffant), ou que vous aurez un conflit, tu chercheras à me voir,
pour une tite partie de jeux, un coup à boire ou quelques conseils à soutirer.La temporalité de notre relation, ça sera toi qui la dictera, en fonction de tes besoins.

A tes yeux, je serais celle-qui-ne-vit-rien, qui est autonome, et forte, et surtout, toujours un peu dispo. Celle que tu
prendras en pitié et à qui tu hésiteras à dire joyeusement que tu as une nouvelle relation amoureuse
de peur que je t’envie et que je me sente frustrée. Celle pour qui tu espères que ça m’arrivera un
jour ! Tu seras si heureu.se pour moi. Mais tu sais, je ne vis pas rien.

Je vois bien que dans ma
relation avec toi, c’est assez unilatéral, qu’on ne partage pas grand-chose.

Il s’avère qu’en effet, tu vis ce que tout le monde
vit, cette histoire traduite en quarante sept langues,
qui commence vite et fort, et qui s’éteint peu à peu,
pour finir dans une grande explosion dramatique,
avec toujours une cour pour t’accompagner,
commenter les couples de l’année. Il s’avère qu’en
effet, tu as l’impression que c’est unique,
particulier, qu’à chaque fois c’est une nouvelle
épopée. Bin non. Je t’assure, non. Ça fait des
années que je t’écoute, et tu racontes toujours la
même chose. C’est terrible.

Et tu ne prends pas la peine de m’écouter, non, jamais. Tu ne te rends pas compte que je réfléchis à
l’élaboration de mon confort affectif. Tu ne te rends pas compte que j’essaie d’apprivoiser mes
désirs, que je me demande qu’en faire, que je tisse mes imaginaires au gré des rencontres, explore
les possibles de relations libres. Je suis dans mon p’tit coin, et je gratte, ça cogne dans ma tête.
Toutes tes histoires me griffent et lacèrent mes espoirs les plus fous de relations émancipatrices, qui
feraient explosées nos différences et les rendre lumineuses, qui teinteraient nos émotions de toutes
les couleurs, non tu ne m’écoutes pas. Tu cherches à trouver des accords avec taon amoureux.se, il
faut faire des compromis.

Et pour finir de m’ennuyer, tu as inventer le contrat relationnel. Tu
bureaucratises, tu formalises, tu hiérarchises. Pour être rassuréE, pour
parfaire un tableau, pour un vernis rationnel à ta romance stupide, tu y
ajoutes un contrat. Quel ennui, quel ennui ! Le formalisme pour cadrer la
dépendance, l’affection, les temps partagés ensemble. Et pendant que tu
cherches toujours plus d’alternatives à l’amour, au couple, à l’exclusivité,
et pendant que tu programmes des chantiers relationnels pour déconstruire
la fusion, tu ne vois pas la fenêtre que t’offre ton amie.

Tu dis lutter contre la centralisation de ta relation amoureuse, mais regarde ! Quelle relation tu
formalises ? Dans quelle relation prends tu les risques d’être sincère en exprimant tes sentiments, et
tes envies ? Dans quelle relation tu mets en jeu ton histoire, ton vécu ? Dans quelle relation tu
partages ton matériel ? A qui proposes tu de partir en vacances ? Mais vos sessions « tafs sur la
relation » ça ne compte pas comme des vacances, ah ça non, et puis, les moments collectifs où vous
êtes tous les deux, c’est pas pareil, c’est frustrant pour vous, alors, faut s’caler un p’tit moment à
deux après. Et puis avant aussi, parce que ce moment va être brassant alors il faut se rassurer. Et
puis les moments collectifs, les projets ? Et bien, il y a les projets collectifs qui servent votre couple,
et puis, les projets de votre couple qui ont besoin d’autres gens, c’est ce aque vous appelez le
collectif quoi. Z’y êtes au centre, et ça se sent. C’est comme ça que tu souhaites montrer que tupasses pas tout ton temps avec tonA amoureuxe. C’est marrant, de fuir cette réalité d’être en couple
exclusif en mettant tant d’énergie et de temps pour y être. Tu dois être un peu sonné.e des fois,
ami.e en couple.

Tu sais, moi ce qui me dégoûte là dedans, c’est que ta relation est toujours centrale. C’est un peu
comme si, des que je te faisais une proposition, il fallait que tu vois si t’as pas un autre truc à caller
avec taon amoureu.se. Et dans les projets collectifs, je, et les autres, doivent se caler sur votre
agenda de couple. Mais ça tu ne t’en rends pas compte, car tu es tellement contre.
Et quand je parlais d’exhibitionnisme affectif tout à l’heure… Ahlala. Il ya les câlins, les bisous sur
le canapé, et quand je te parle, tu te fais trifouiller le cou ou encore l’autre personne te susurre des
trucs à l’oreille. Je te parle, et tu vas m’interrompre parce que tu vas capter du regard l’autre
personne tant aimée. Il y a aussi ces moments où, je suis avec vous deux et vous me parler de l’un et
de l’autre pour me prouver à quel point vous vous trouver charmant.es. Ça, ça me fait vomir aussi.

Mais ça n’est que la partie très visible de l’iceberg. Il y a aussi toutes ces fois où tu vas chercher la
validation de ta relation amoureuse chez tes potes, leur montrer que taon amoureuxe vaut le coup,
qu’iel t’aime, qu’iel te pardonne, qu’iel t’épaule, t’estime.

Un jour, tu n’auras plus besoin de passer
par votre relation pour considérer que tu mérites tout ça.

Ce qui m’emmerde le plus je pense, c’est de
constater qu’avec toi, l’ami.e en couple,
l’amitié est pauvre. Nous avons très peu de
partage direct, on discute peu de tes ambitions,
des miennes, de nos folies, de nos furies, de
nos envies chipies. Ta relation est centrale
dans nos discussions. Je t’assure qu’avec mes
ami.e.s pas en couple, ce n’est pas ça qu’il se
passe. Alors parfois, tu te poses la question
dans un moment d’effarement « mais qu’est
c’qui fait que j’arrive pas à me faire des
amies ? » Hé bien, la réponse est simple, chere
ami.e en couple, c’est parce que tu les traites
comme de la merde. Tu ne te mets pas en jeu,
tu mets en jeu ta relation avec bidule sur la table hyper souvent. Tu n’es pas dans le moment
présent, car tu penses à tes enjeux avec bidule. Et tu as besoin à des moments de voir du monde, et
finalement, il t’importe assez peu qui, car tu ne charges pas d’unicité tes relations amicales. Je ne
veux plus être ton ami.e. Tu m’as bousillé, cher.e ami.e en couple.
En plus de ne pas m’avoir aidé à comprendre mon rapport au corps, au sentiment, à la complexité
émotionnelle, tu m’as baigné dans une norme relationnelle insupportable. Tu m’as fait y prendre
part, conforter ta relation, la soutenir. Tu m’as donné ce rôle de contrefort à un édifice qui me
débecte. Quand j’ai essayé de partager une critique de tout ça, tu l’as récupéré à ton compte et ta
relation s’en est vue renforcée. Alors c’est fini.

A partir d’aujourd’hui, j’arrête de te parler, ami.e en couple, et je pars en
recherche de complices pour vivre des relations indéfinissable, car se
redéfinissant sans cesse. En quête des relations les plus instables et les
plus chaotiques, celles qui ressemblent aux battements de mon coeur, ou
le partage de la rage qui l’habite sera possible. Celles qui m’aideront à
affiner mon individualité changeante, celle qui me donnera des ailes. Les
relations libres de choisir leurs pratiques. Celles qui refuseront si fort le
confort qu’elles resteront critiques à l’égard des normes.

Je te quitte, ami.e en couple, tu m’as trop sucé la moelle, j’ai autre chose à vivre.