Le Long Été chaud. À propos des résistances et désertions en Ukraine et en Russie et de comment les États tentent de les combattre
Thèmes : Anti-militarismeRévoltes et résistancesRussieUkraine
Le Long Été chaud
À propos des résistances et désertions en Ukraine et en Russie et de comment les États tentent de les combattre
“Au cours du long été chaud, les soldats ukrainiens et russes ont battu des records de désertion. Des processus historiques se déroulent sous nos yeux.”
Nous distribuons cette contribution du groupe anarchiste « Assembly » de Kharkov.
La brochure documente une série d’épisodes de fuite, de désertion, de refus de combattre et de sabotage qui ont eu lieu sur les deux fronts tout au long de l’été. Du côté ukrainien, l’incursion de Koursk a été accueillie avec un grand afflux patriotique , alors qu’on décompte en septembre un soldats sur 14 en désertion.
Du côté russe, la volonté de ne pas déplacer les forces du Donbass s’est traduite par le recrutement massif de conscrits, même très jeunes, une manœuvre qui a également provoqué d’importantes fissures dans la compacité du front russe.
La recherche effrénée de matériel humain a même contraint le gouvernement ukrainien à une volte-face quasi schizophrénique : face à l’échec du modèle répressif pour remplir les rangs, la nouvelle loi du 21 août tente le tout pour le tout : les déserteurs peuvent être réintégrés dans l’unité qu’ils ont fuie, avec l’accord du commandant, sans aucune sanction. Comme le notent les camarades ukrainiens, cette mesure pourrait avoir des effets (in)désirables, multipliant les fuites de militaires et conduisant à l’effondrement de l’armée.
Nous espérons que ce texte pourra être un aiguillon supplémentaire pour que la solidarité à la désertion devienne concrète sous nos latitudes également.
PARU EN SEPTEMBRE 2024 sur assembly.org.ua
La station de comptage de gaz de Sudzha
Depuis le matin du 6 août, lorsque les troupes ukrainiennes ont franchi la frontière et occupé plusieurs localités frontalières dans la région russe de Koursk, les débats sur l’importance et les conséquences de cette excursion d’un point de vue politico-militaire n’ont pas cessé. La fin des combats dans ce territoire est encore lointaine. Pour l’heure, il est clair qu’une telle attaque, dans le contexte de l’effondrement de la défense ukrainienne dans la région de Donetsk, en a surpris plus d’un. Pendant les combats pour la région de Koursk, l’attention s’est notamment portée sur la station de comptage de gaz[1] à la frontière de Sudzha (Suja), par laquelle le gaz russe est acheminé vers l’Europe. Son fonctionnement continu malgré les hostilités qui l’entourent et est devenu un autre symbole du fait que “la guerre est la guerre” : la guerre est la guerre, mais les affaires internationales continuent comme si de rien n’était.
Andrey Shokotko, un émigré de Donetsk aux Pays-Bas, écrit sur son blog :
« Les familles néerlandaises resteront au chaud cet hiver. Les réserves de gaz étant pleines, les risques d’une augmentation extrême des factures d’énergie sont limités ». Merci à Zelensky et à Poutine, dont la coopération fiable (si brillamment confirmée à Sudzha) nous permet, à nous Européens, de ne pas geler. Mais ce n’est pas tout à fait clair : pourquoi envoient-ils leurs serviteurs s’entretuer ? Et pourquoi les esclaves, connaissant le partenariat commercial russo-ukrainien, vont-ils s’entretuer ? L’Ukraine et la Fédération de Russie refusent catégoriquement d’acter la guerre en tant que telle. Elles ont l’art d’inventer des mots. Tout cela pour continuer à coopérer, à entretenir des relations commerciales, à gagner de l’argent ensemble au profit des « élites ». En effet, l‘abattage d’esclaves ne fait qu’aider le commerce – dans ce cas, en augmentant le prix de l’essence. De manière général, il est usuel que le massacre de serfs ne soit pas qualifié de guerre. Après tout, il n’y a pas de guerre entre les « élites » et les États de la Fédération de Russie et de l’Ukraine ne sont pas la propriété de serfs. Dans ces territoires, les serfs sont une ressource. Un matériau consommable.
Après Sudzha[2], seuls les retardés mentaux voudront participer volontairement à cette guerre. Ou ceux qui souffrent de formes graves de patriotisme, ce qui revient au même. Les régimes fraternels de la Fédération de Russie et de l’Ukraine utilisent leurs esclaves, ils gagnent de l’argent ensemble, ils sont très amicaux l’un avec l’autre et ils s’entendent facilement sur tout ce qui est source de profit. En même temps, ils montent les hamsters patriotiques les uns contre les autres pour maintenir le pouvoir et le profit ».
Vers un effondrement des Etats dans les zones annexées ?
Deuxièmement, les événements de Koursk[3] ont prouvé une fois de plus que le gigantesque appareil bureaucratique, qui pille le budget et persécute les dissidents, est totalement impuissant face à une menace réelle. Le 11 août, on pouvait lire sur l’une des plus grandes chaînes politiques russes sur Telegram :
« Dans les zones frontalières de la région de Koursk, où des combats ont eu lieu toute la semaine, il n’y a ni police, ni pompiers, ni médecins, ni représentants de l’administration. Selon les informations officielles, plus de 76 000 personnes ont quitté les localités (la plupart d’entre elles sont parties d’elles-mêmes, car il n’y a pas eu d’évacuation organisée, contrairement à ce qu’affirment les autorités), mais il y a encore des gens sur place, principalement des personnes âgées. La dévastation des villages et des villes est devenue le catalyseur d’un pillage effréné. Les magasins sont dévalisés, il y a un effondrement à Korenevo, le supermarché Magnet a tout simplement été détruit. Plus d’eau, plus de gaz, plus d’électricité. “Il n’y a pas eu d’évacuation organisée, et s’il y en a eu une, pourquoi n’en avons-nous pas entendu parler ?” écrit un habitant. La situation est similaire dans d’autres municipalités frontalières. Les habitants de Koursk sont persuadés que les représentants de l’administration, en abandonnant les gens à leur sort, ont eux-mêmes provoqué l’effondrement des zones frontalières.
Il est actuellement impossible de joindre par téléphone l’administration du district de Korenevsky dans la région de Koursk. Les gens sont obligés de s’auto-organiser pour se protéger et protéger leurs biens, en remplissant essentiellement les fonctions des agences d’État et des forces de l’ordre ».
Les mêmes scènes se sont produites au début de l’invasion russe du sud de l’Ukraine, alors que les autorités ukrainiennes avaient déjà disparu et que les autorités russes n’avaient pas encore été mises en place.
L’afflux patriotique et la desertion en Ukraine…
Troisièmement, l’invasion de la région de Koursk a suscité dans les rangs des patriotes ukrainiens un enthousiasme que l’on n’avait plus observé depuis le « café en Crimée jusqu’à la fin du printemps »[4] de l’année dernière. Nous avons consacré à ce thème un article distinct intitulé « Le volcan du patriotisme », auquel une personne qui fait partie du projet ukrainien de surveillance des enlèvements dans la rue pour le service militaire a répondu comme suit : « On pense que l’offensive de Koursk détourne le mécontentement des gens et la question des TCR[5] (centres de recrutement territoriaux). Et je peux vous dire que c’est très évident. Les vidéos sur la racaille des TCR ont été multipliées par cinq. Les gens ont été distraits en regardant les offensives militaires. Mais les opérateurs de la TCR n’ont pas bougé. Et ils attrapent les gens dans les rues au même rythme ».
Cependant, l’absence de files d’attente devant les centres de recrutement suggère que le sursaut patriotique ne s’est pas produit parmi les objecteurs conscients (comme dans le « Manifeste des évadés » qu’un lecteur anarchiste anonyme nous a envoyé cet été), mais parmi ceux qui soutenaient l’Ukraine depuis leur canapé bien avant ce moment, et qui étaient simplement démoralisés par ses échecs continus.
Enfin, l’avancée rapide en août des troupes ukrainiennes dans la région de Koursk et celle des troupes russes dans la région de Donetsk ont clairement démontré que les deux États manquent de soldats suffisamment expérimentés au combat et motivés pour mourir pour un Vladimir ou un autre. Qu’est-ce qui, en dehors des militaires eux-mêmes, peut arrêter le carnage, alors que les pourparlers de paix des politiciens sont une fois de plus interrompus pour une durée indéterminée ?
Recrutement massif de jeune conscrit en Russie et résistances
En raison de la réticence de la Russie à transférer d’importantes forces du Donbass vers la défense près de Koursk, les conscrits[6] ont commencé à être recrutés en masse. Les promesses du Kremlin de ne pas utiliser des jeunes de 18 à 20 ans, qui n’ont souvent aucune compétence militaire et aucune intention de se battre, ne s’appliquent pas à ce territoire. Ceux qui ont survécu à la percée de la frontière sont contraints de signer des contrats pour être renvoyés sur la ligne de front.
La mère d’un soldat conscrit, Yulia, a déclaré à la mi-août sur la chaîne pacifiste russe Telegram ASTRA : « Mon fils et ses camarades ont été miraculeusement retirés de la ligne de front par leurs commandants, là où ils se trouvaient avant l’invasion. Cependant, le bureau du procureur militaire les a obligés à reprendre leur poste, mais les garçons ont catégoriquement refusé. Ils sont maintenant à Koursk, dans une unité militaire. Ils veulent les envoyer au 3ème niveau de défense derrière les groupes d’assaut dans la région de Koursk ».
La simple désobéissance ne suffit pas. Pour ne pas être transformé en chair à canon, il faut abandonner ce tapis roulant de la mort. Nous avons parlé de l’évasion de neuf prisonniers du camp d’entraînement militaire de Belgorod [en Russie] à la fin du mois de juillet. Leur sort est toujours inconnu. Le 12 août, au moins 500 personnes qui refusaient de se battre ont été enlevées du quartier général de la 138e brigade de fusiliers motorisés dans le camps militaire de Kamenka, près de Saint-Pétersbourg, où se trouve le centre de détention pour le personnel militaire recherché, a rapporté ASTRA[7]. Parmi les renégats se trouvaient des personnes souffrant de graves problèmes de santé, ainsi que des individus prêts à aller en prison pour ne pas aller au front : certains faisaient l’objet d’une enquête dans le cadre d’un procès pénal pour avoir abandonné leur unité, d’autres étaient en attente d’une commission militaire. Une vidéo montre le départ d’un groupe de 150 personnes qui ont refusé de participer aux hostilités.
Une source d’ASTRA a déclaré :
« D’après leurs proches, hier vers 18 heures, ils ont reçu un message des hommes sur place leur disant qu’ils étaient soudainement appelés à se mettre en rang, puis, sans aucune explication, ils ont été embarqués dans des camions KamAZ et emmenés sous escorte vers un aéroport militaire. Le premier « groupe » – environ 300 personnes – a été envoyé dans une direction inconnue. Le second groupe – environ 150 personnes – s’est retrouvé dans la matinée à 7 km de Koursk, dans un camp d’entraînement militaire. « Ils nous ont pris comme un paquet, nous ont mis à l’intérieur et nous ont emmenés », rapportent leurs épouses et leurs mères. Les soldats n’ont reçu aucune explication et n’ont pas été informés de l’endroit où ils allaient être envoyés. « Comme l’a dit le camarade colonel, ils sont en train de démanteler le centre [de Kamenka], mais il ne sait pas où ils seront emmenés ».
Selon la source, une dizaine de personnes ont catégoriquement refusé de monter dans les bus. Elles sont actuellement détenues dans une pièce séparée et risquent d’être envoyées dans un centre de détention provisoire. La partie qui a été emmenée au camp d’entraînement militaire près de Koursk a déjà été envoyée avec des mitrailleuses dans une direction inconnue. Dans le même temps, une vingtaine de personnes ont réussi à s’échapper.
Le 19 août, la même chaîne a donné des informations sur l’une des personnes envoyées par avion au camp d’entraînement près de Koursk, qui ne voulait pas retourner à la guerre en raison de ses blessures. “Selon sa femme, au camp d’entraînement de la région de Koursk, les commandants leur ont dit : « Fuyez si vous le pouvez ». En conséquence, comme l’affirme la femme, 37 soldats ont réussi à s’enfuir – avec des fusils automatiques et des gilets pare-balles. Ils ont ensuite été retrouvés et arrêtés par la police militaire. Lors d’une deuxième tentative d’évasion, le mari de la femme a reçu un coup de taser et un autre soldat a été enchaîné à un poteau. En conséquence, tous ceux qui s’étaient échappés ont été embarqués dans l’Ural-4320 militaire et emmenés dans une direction inconnue. Ensuite, lui seul a été débarqué et envoyé au quartier général près de Belgorod, où les autres avaient été ramassés – on ne sait où. Le même soldat mobilisé se trouvait à Kamenka, inculpé en vertu de l‘article sur l’abandon non autorisé de l’unité ; son procès était prévu pour septembre. « Nous avons décidé que la prison valait mieux que tout cela. Il est blessé, couvert d’éclats d’obus. Il peut à peine marcher. Il a passé la commission médicale militaire à Kamenka, qui lui a dit : vous êtes de catégorie B, mais nous allons écrire A. Vous avez des bras et des jambes, allez vous battre ».
Auparavant, dans la même 138e brigade, un scandale avait éclaté au sujet du commandant des troupes d’assaut, Evgueni Zarubine, originaire de Koursk, qui avait évoqué les lourdes pertes subies à Volchansk. En juillet, lui et un subordonné nommé Sergey sont sortis des hôpitaux. Tous deux estimaient qu’ils n’étaient pas complètement rétablis. On leur promet de les envoyer à l’hôpital, mais ils sont accusés d’être sortis sans autorisation. Ils ont ensuite été battus et mis dans une fosse, puis emmenés quelque part avec des sacs sur la tête. Le 27 août, Zarubin a été retrouvé dans le centre de détention de Kamenka, où il est surveillé en isolement, battu la nuit et menacé d’être « emmené au front et remis à zéro ».
Un autre collectif russe, « Cross the Forest », aide les civils et les soldats russes à ne pas participer à la guerre. Le porte-parole de cette organisation, Ivan Chuviliaev, a indiqué dans l’article de l’Assemblée intitulé « Long Hot Summer » qu’au cours des quatre mois de la saison chaude, de mai à août, l’organisation a aidé 120 transfuges, sachant que la plupart des transfuges ne contactent pas les militants : « 120 demandes, c’est normal en l’absence de cas de force majeure. En hiver et au printemps, il y avait beaucoup de prisonniers et de blessés. En été, il n’y en a pas eu. Il n’y a eu qu’une seule demande en provenance de la région de Koursk, et uniquement parce que la personne s’est échappée pendant le voyage. Cela s’explique par le fait qu’ils n’ont pas besoin de nous pour faire défection. Ils peuvent partir d’eux-mêmes, s’échapper. Il ne s’agit pas du territoire occupé de l’Ukraine, où il y a la police militaire, le FSB [service de renseignement chargé de la sécurité intérieure] et d’autres. C’est le territoire russe, il n’y a pas de points de contrôle mis en place depuis dix ans, comme à Lougansk ou Donetsk, et je pense qu’il n’y a tout simplement pas de police militaire. Ils nous contacteront lorsqu’ils se rendront compte qu’ils ne peuvent pas vivre dans l’illégalité et qu’ils devront partir. Ceux qui servent dans l’armée sont envoyés dans la région de Koursk, personne ne les paie, personne ne garde rien. C’est un goulag[8], ils y sont envoyés, ils ne peuvent pas s’échapper de leur plein gré. Y a-t-il des soldats sous contrat parmi ceux qui participent aux batailles près de Koursk ? Oui, il y en a. Ceux qui ont été forcés de signer un contrat ou qui ont eu une croix dans leur contrat à leur insu ».
Le 24 août, ils publient la lettre d’une femme : « Mon fils a été arrêté pour avoir aidé des déserteurs et il est détenu depuis trois semaines dans un lieu inconnu. Il n’est pas militaire. Ils ont organisé un raid et l’ont arrêté. Ils l’ont emmené avec sa voiture et le détiennent dans un lieu inconnu. Nous n’avons pas pu le retrouver depuis trois semaines. Selon les rumeurs, le bureau du commandant militaire l’a détenu, même s’il n’est pas militaire. Nous avons appelé le bureau du commandant et ils nous ont dit qu’ils ne l’avaient pas trouvé. Il a été kidnappé comme le font les bandits par le FSB Nous frappons à la porte de tout le monde. Oui, vous avez raison, il s’agit bien d’un groupe criminel organisé ». Toujours au mois d’août, « Cross the Forest » a reçu plus d’une centaine de demandes de renseignements sur diverses questions relatives à la réticence à combattre dans la région de Koursk.
Du côté ukrainien…
Le terrain le plus fertile pour la désertion est bien sûr la mobilisation forcée du « peuple libre d’un pays libre[9] ». L’Associated Press décrit dans un article du 22 août : « Alors que l’Ukraine poursuit son incursion dans la région russe de Koursk, ses troupes continuent de perdre un terrain précieux le long du front oriental du pays – une érosion lamentable que les commandants militaires attribuent en partie à des recrues mal formées, issues d’une mobilisation récente, et à la nette supériorité de la Russie en termes de munitions et de puissance aérienne. « Certains ne veulent pas tirer. Ils voient l’ennemi en position de tir dans les tranchées mais n’ouvrent pas le feu. C’est pour cela que nos hommes meurent », a déclaré un commandant de bataillon frustré de la 47e brigade ukrainienne.
La compréhension du fait que les deux camps ont réduit des personnes en esclavage conduira-t-elle à une fraternisation entre les soldats ? Pour l’instant, ils préfèrent se préserver séparément, bien que l’histoire suivante soit une exception. Un instructeur de l’armée ukrainienne a fait part à l’une des principales chaînes politiques ukrainiennes sur Telegram d’une défection massive de l’unité de formation. Dans un message daté du 17 juillet, il a déclaré : « Il y a quelques mois, des renforts sont arrivés : des marins ont été débarqués de navires et envoyés dans des unités de la marine. Il s’agit de contractants à qui, au début de la guerre, lorsque le contrat a été signé, le commandement de la marine ukrainienne a promis qu’ils ne serviraient que sur les navires. Mais récemment, le commandement a rappelé à la partie adverse qu’ils étaient en état d’alerte. Ils ont été transférés dans les brigades maritimes. Sur le chemin des navires à l’entraînement, certains de ces garçons se sont échappés. Presque aucun d’entre eux n’a été retrouvé. Je pense que beaucoup se sont déjà échappés d’Ukraine ». Le lieu des événements n’est pas précisé. Cependant, étant donné que la mi-mai est mentionnée, il est probable que les événements aient eu lieu alors que les troupes ukrainiennes rassemblaient à la hâte des réserves pour arrêter l’offensive russe au nord de Kharkov. Des unités de marines de la 36e brigade y combattent.
Le 15 juillet, le canal Telegram du mouvement Atesh, qui travaille pour les services de renseignement militaire ukrainiens en Crimée, a écrit au sujet de la 810e brigade de marines à Sébastopol :
« Après de nombreux échecs à Krypton, la brigade de marines s’est effondrée
Après de nombreux échecs à Krynki, une partie de la brigade a déjà avancé vers la section du front à Kharkov. En raison des lourdes pertes subies en direction de Kherson, plus de 100 personnes ont refusé de participer à la suite des opérations de combat. Les blessés sont restés dans les hôpitaux de Henichesk et Skadovsk. Il n’y a pas de temps pour remplacer le personnel par de nouveaux, et le commandement fait état d’un état de préparation au combat de 75 % de la part de la brigade.”
Si les unités de marine des deux camps refusent de se tirer dessus, peut-on considérer qu’il s’agit d’une sorte de fraternisation à distance ?
Le 6 août, dans le plus grand chat Telegram d’aide aux personnes tentant de fuir l’Ukraine, la question suivante a été posée : « A la fin du mois, ils vont emmener un de mes amis à l’étranger pour qu’il s’entraîne. Après avoir été emmené de force là-bas, il n’est manifestement pas devenu un patriote et veut partir. Ils l’emmèneront en Grande-Bretagne[10], le mettront dans un avion. Ils le transporteront à travers la Pologne. Avez-vous une idée de la manière dont il pourra s’échapper ?
Nous avons besoin de l’expérience de quelqu’un d’autre ou de la vôtre, si vous en avez. L’un des modérateurs a répondu comme suit : « Il y a eu des cas où des personnes se sont échappées sur la route en Pologne. Il est possible de s’échapper dans n’importe quel pays… Au cours des six derniers mois, j’ai communiqué avec des personnes qui se sont échappées en Slovaquie, en Allemagne, en Pologne et en Grande-Bretagne (mais leur sort est inconnu). Qu’ils essaient de s’échapper dans la rue en Pologne, en tout cas. En Grande-Bretagne, il y a deux camps d’entraînement – sur le continent et sur une île séparée.
Par conséquent, il est impossible de quitter l’île, et si vous êtes sur le continent, la question de la légalisation et de la poursuite de votre séjour n’est pas claire. Même s’ils lui retirent ses papiers, il peut tranquillement quitter la Pologne en se rendant en Slovaquie où il sera régularisé avec une photo ».
Le bâton et la carotte… la loi du 21 août et les records de désertion
Le 2 août, un article publié sur le site web de la Deutsche Welle a créé un scandale particulier en soulignant qu’au cours de la guerre totale, près d’un militaire ukrainien sur 14 a fui :
« Le problème des militaires qui fuient l’armée ukrainienne a atteint des proportions alarmantes. Incapable de punir les déserteurs, le gouvernement est prêt à leur pardonner, si seulement ils reprennent du service (…) La politique de discipline stricte, sur laquelle le commandement des forces armées ukrainiennes a tant insisté pendant la première année de la guerre totale, a manifestement échoué, et la désertion de l’armée s’est généralisée et est devenue impunie – presque tous les interlocuteurs de la DW interrogés dans le cadre de cet article s’accordent sur ce point. La pénurie de personnel incite la nouvelle direction de l’état-major général à utiliser non seulement le bâton, mais aussi la carotte (…) Désormais, les commandants d’unité, qui essayaient auparavant d’écarter rapidement les déserteurs de leurs postes, convoquent tout le monde, en leur demandant les problèmes et les raisons pour lesquelles ils ne peuvent pas reprendre leur service. L’officier d’état-major Victor Lyakh a fait le tour de cinq régions en mai : il a trouvé plusieurs dizaines de combattants de sa 28e brigade mécanisée à leur domicile. « L’ordre était de convaincre tout le monde de revenir. Mais comment moi, un vieil homme, puis-je convaincre ce jeune homme alors que sa femme se tient derrière lui, avec un bébé dans les bras ? Je lui promets qu’on lui rendra ses vacances, que le procès pénal sera clos. Eh bien, dit-il, lorsqu’ils l’auront clos, je reviendrai peut-être ». Les sanctions sévères qui n’ont pas empêché les militaires de s’enfuir leur font désormais peur, comme le confirment les interlocuteurs de DW issus de différentes unités.
Les révélations des habitants de Kharkov contenues dans nos publications « L’heure de la fracture » et « Le SZCh[11], une nouvelle tendance » ont confirmé ce qui avait été évoqué : quel que soit le type de totalitarisme que l’État construit, il est incapable de faire face à une telle protestation, même si elle est généralisée. C’est pourquoi, le 21 août, le Parlement a adopté le projet de loi n° 11322, selon lequel une personne ayant quitté son unité sans permission ou ayant déserté pour la première fois peut retourner dans la même unité avec l’accord du commandant, sans aucune sanction. La gravité de la situation actuelle des troupes se reflète dans la précipitation du vote – qui a été soutenu en première lecture seulement un mois plus tôt, le 16 juillet.
Le 20 août, le journaliste et militaire de Kiev Volodymyr Boiko a écrit sur son blog : « L’auteur prédit qu’au cours de l’été, il n’y aura tout simplement personne pour défendre les positions ukrainiennes. Depuis le début de la guerre, au moins 150 000 militaires ont déserté les forces armées ukrainiennes, en particulier au cours des six derniers mois. Et le taux de désertion augmente chaque jour. Dans la direction de Toretsk et Pokrovsk [dans la région de Donetsk], la défense d’un kilomètre de ligne de front n’est souvent assurée que par 3 ou 4 soldats. Et comment : ils sont assis dans une fosse recouverte de planches (appelée « armure »), cachés sous des tirs de mortier incessants. Une fois le blindage détruit par les tirs de mortier, 5 à 8 fantassins russes pénètrent dans la position – et c’est ainsi que l’ennemi passe. Il est impossible d’organiser une défense normale – non pas pour ceux qui n’ont pas de blindés, mais pour ceux qui n’ont pas assez d’hommes : fusiliers, mitrailleurs, lanceurs de grenades ».
Enfin, dans la nuit du 27 août, un inconnu a ouvert le feu sur le poste de sécurité de la TCR dans la ville de Lutsk, dans l’ouest de l’Ukraine. Le soldat de deuxième classe M. a été blessé et hospitalisé pour être soigné. Malgré les tirs de riposte, l’attaquant a réussi à s’enfuir. Dans les forums de discussion locaux, on a spéculé qu’il s’agissait peut-être d’un homme en civil qui s’était échappé avec une arme. Peu de temps auparavant, notre assemblée avait publié une vidéo d’un habitant de Kharkov racontant comment, à Lutsk même, deux personnes enlevées avaient tenté en vain d’inciter d’autres personnes à se révolter contre les mobilisateurs. Le 4 septembre, on a appris l’arrestation d’un suspect de 40 ans. Il n’a pas expliqué les raisons de son acte et risque la prison à vie.
Si vous êtes condamné à une peine de prison pour désertion ou SZCh (désertion non autorisée d’une unité militaire), vous pouvez attendre votre procès à la maison. Avec des avocats compétents, le procès peut durer un an ou plus. Mais si vous mordez à l’hameçon et faites demi-tour, ils peuvent vous envoyer immédiatement en enfer, où vos chances de survie sont minimes. Réfléchissez donc à l’opportunité d’utiliser la nouvelle loi.
L’abolition partielle des sanctions pénales peut également favoriser l’évasion des militaires. Par exemple, le gouvernement provisoire de Petrograd a déclaré la démocratisation de l’armée et l’amnistie pour les déserteurs. En conséquence, l’effondrement de l’armée s’est accéléré à tel point qu’elle s’est démobilisée et a cessé d’exister au début de 1918.
Unissons-nous ! Démobilisez ! Ne vous laissez pas enterrer !
Septembre 2024
Groupe anarchiste « Assembly », Kharkov
Quelques brèves parsemées dans l’article…
- Le 11 juillet, dans le village frontalier de Kozinka, dans la région de Belgorod, le soldat Alexey Zhuravlev, originaire de la République de Tchouvachie, a tué deux collègues avec une mitrailleuse et en a blessé un autre. Il s’est ensuite enfui avec l’arme et a été capturé quelques jours plus tard.
Selon une version, le soldat a réagi aux brimades et aux humiliations ; selon une autre, il ne voulait tout simplement pas se battre et ne voyait pas d’autre possibilité de s’échapper.
- L’Ukraine combat les héros de l’anarchisme même un siècle après leur mort : il y a un an, le 26 juillet 2023, un monument portant le nom du légendaire marin Anatoly Zhelezniakov, qui y a trouvé la mort, a été démantelé à Verkhovtsevo, dans la région de Dnipropetrovsk. Déserteur de la marine tsariste, il reprit du service à la faveur d’une amnistie en 1917. Il devient alors une figure emblématique du renversement des nationalistes ukrainiens à Kharkov – de la dispersion de l’Assemblée constituante à Pétersbourg avec la phrase sacramentelle « La garde est fatiguée ». Il meurt lors d’un affrontement avec les gardes blancs en 1919 (il existe une version selon laquelle il aurait été éliminé par les bolcheviks).
- Comme l’a déclaré le 15 août le porte-parole du service de sécurité ukrainien à Kharkov, Vladislav Abdula, un soldat contractuel qui a fait défection est soupçonné d’avoir mis le feu à six véhicules des forces armées pendant la nuit. Le jeune homme de 22 ans, originaire de la communauté de Volchansk, aurait cherché activement un emploi sur Telegram, et un représentant des services de renseignement russes lui aurait proposé de l’argent.
Il a été placé en garde à vue et risque jusqu’à 10 ans de prison (destruction ou détérioration intentionnelle de biens). L’homme a filmé sur son téléphone ses actions lors de la préparation et de l’exécution du travail ; pour chaque incendie criminel, il aurait dû recevoir 40 000 hryvnias. Le 19 août, les forces de sécurité ont également signalé l’arrestation dans la région de Cherkassy d’un transfuge de 21 ans, un soldat sous contrat de l’une des unités militaires de la région. Selon les enquêteurs, il était également à la recherche d’argent facile et a recruté une connaissance de 23 ans au chômage pour y parvenir. Les deux hommes auraient tenté de mettre le feu à huit casiers de relais et auraient été pris sur le fait lors d’une autre tentative. Ils risquent la prison à vie en vertu de l’article sur le sabotage.
PS : les titres ont été rajoutés pour faciliter la lecture
[1] Les stations de comptage remplissent la fonction essentielle de mesurer la quantité de gaz naturel qui entre et sort du pipeline afin que les clients puissent livrer et recevoir de manière fiable les volumes prévus.
[2] Ville de la région de Koursk, référence à l’annexion de cette région par l’Ukraine en août 2024, où 1000 soldats et 5 civils auraient trouvés la mort ; et plusieurs centaines de soldats capturés (selon Wkipédia)
[3] Importante opération militaire ukrainienne se déroulant en août 2024 au cours de laquelle l’Ukraine affirme avoir prit le contrôle de 1300km2 en territoire russe.
[4] ? :)
[5] Brigades militaires qui mettent en application la mobilisation forcée en faisant des tcheckpoints
[6] Jeunes gens étant appelé à exécuter leurs services militaire et/ou étant en train de l’éxécuter. (Se distingue donc d’une armée de volontaires ou de métier)
[7] Média indépendant non professionnel russe né en réaction à la guerre
[8] Camps de travail forcé concentrationnaires devellopés par Staline
[9] Expression de Zelensky, président d’Ukraine
[10] Depuis 2022, l’armé britanique forme sur ses bases des militaires envoyés par l’Ukraine
[11] militaire qui a quitté son unité sans autorisation, abréviation militaire devenue jargon populaire
Comments
Les commentaires sont modérés a posteriori.Leave a Comment