Bon déjà je commence par m’identifier un peu sur le plan politique. Ça va sûrement se sentir dans ce que j’écris, mais par mon vécu surtout mais aussi par mes idées politiques, je suis clairement contre les mouvements appellistes, ou si on veut vraiment faire attention à nos mots, en réponse à ce texte, contre les mouvements qui ont les même stratégies et qui sont directement liés à d’autres mouvements appellistes. C’est le cas des soulèvements de la terre qui est lié très fortement à Notre Dame des Landes (NDDL) et qui est une des suites les plus spectaculaires de l’appel à agir contre la réintoxication du monde. Tout ça pour dire, mon discours est clairement pas neutre.

J’aimerais quand même ouvrir un débat ou au moins une vraie discussion sur les stratégies qui sont mises en place contre des forces para-militaires, ou voire carrément militaires, comme ça a été le cas à Sainte-Soline ou sur des expulsions de ZAD. Parce que ce texte me donne un peu le même goût que ceux écrits par les habitant.e.s de NDDL proches du CMDO après les expulsions de 2018 (voir par exemple la partie II de ce texte) et c’est un goût plutôt amer.

Au milieu de pas mal de prose qui donne beaucoup d’espoir* et qui parle de toutes les choses chouettes de cette lutte (et c’est sûr qu’il y eu des choses chouettes à Sainte-Soline le 25 mars, là est pas la question), on comprend qu’un des véritables motifs du texte À celles et ceux qui ont marché à Sainte-Soline c’est de parler de l’impasse quand on fait face aux moyens démesurés des gendarmes et de comment on pourrait dépasser ça. Le texte des habitant.e.s de NDDL cité ci-dessus faisait un constat clair : pas possible d’agir face à autant de keufs et autant de grenades. Iels le savaient depuis le début et c’est ça qui a motivé les négociations avec l’État. Mon but ici, c’est pas de relancer un débat super vieux sur la trahison que ça a pu être à NDDL de négocier etc.… quoi que j’en pense. Mais de me concentrer sur ce problème qui est visibilisé : l’impossibilité de gagner en affrontant les forces de la gendarmerie.

En fait, c’est bien beau de dire qu’on est impuissant quand l’État met autant de moyen et qu’il faut se réinventer dans nos luttes. Mais à chaque fois, les textes de ce genre s’arrêtent là dans leur analyse, alors qu’il y aurait tellement de choses à dire. Et c’est ça que je veux vraiment mettre en question. Quand on lit votre texte, on a vite tendance à se dire : ah mais quand même c’était stylé et c’est pas de la faute des organisateur.ices s’il y avait autant de keufs. Alors oui ça c’est clairement vrai, c’est de la faute de personne à part du pouvoir étatique et il s’agit pas de se diviser face à l’État. Je tiens à le préciser, même si c’est une énorme évidence pour moi, jamais je vous reproche ce qui s’est passé, le déchaînement de violence, les pluies de grenades, les blessés graves et tout le reste. Et j’espère sincèrement que les auteur.ices d’autres textes qui vous critiquent ne vous le reprochent pas non plus. Face à l’État et à sa violence, pas de dissociation possible et que crèvent la police, la justice et la prison.

Non, si je vous reproche quelque chose, c’est d’avoir l’air d’être surpris.es face à autant de violence et de s’arrêter sur un vague commentaire comme quoi la prochaine fois, il faudra se réinventer. Je veux pas juger de votre bonne ou mauvaise foi, peut-être que réellement vous avez été surpris.es par les moyens déployés, mais même si c’est le cas, c’est grave de pas avoir pris la mesure du carnage qui pouvait avoir lieu. C’est pas comme si c’était la première fois ! Même si là, je reconnais que votre travail de comparaison avec d’autres mouvements de contestation est intéressant et révélateur, quand vous parlez des 5000 grenades tirées en deux heures vs 11000 grenades en une semaine à NDDL en 2018. Oui clairement ça s’est intensifié. Mais en fait si ça avait été la même mesure que pendant les expuls de NDDL, ça aurait été moins grave ?

Toutes les personnes qui avaient déjà participé à des luttes sur des ZAD ou autres occupations s’attendaient à un carnage le 25 mars. En tout cas, tout mon entourage s’y attendait et même si mon entourage est loin d’être représentatif des gen.te.s qui sont venues le 25 mars, je crois vraiment qu’on était plein à se dire que ça puait. Pour autant, vu la diversité des participant.e.s, c’est aussi complètement sûr que plein d’autres personnes moins habituées à ce genre de confrontation n’imaginaient même pas que c’était possible de faire face à autant de moyens répressifs, n’en déplaise à l’auteur.ice de ce texte. Et oui je pense moi aussi que c’est grave de pas avoir sérieusement communiquer sur la possibilité d’un carnage.

Mais surtout, votre texte donne l’impression que vous vous dédouanez à moitié de pas avoir assez communiqué là-dessus. Pour ça, vous répétez que face à autant de moyens il n’y avait rien à faire. Que du coup ça vous excuse parce que là, c’était vraiment trop. Rien à faire donc face à ça, à part se reposer sur un espèce de mythe qui existe dans le milieu autonome (auquel j’appartiens) et qui revient tout le temps. Genre si on arrivait à se réinventer, on pourrait faire face à l’État et sa police !

Là pour le coup, ça me met en colère, parce que vous êtes pas clair.e.s, comme tous les textes qui abordent ce sujet. Ça veut dire quoi en fait réinventer nos tactiques ? Vous parlez de quoi ?? Tant qu’on dit pas clairement ce qu’on pense, on fait juste croire que y a un rapport de force à tenir et à chaque fois, y a des personnes qui vont se faire bousiller par les keufs, en gardant des traumas pas possible après.

Après je veux être claire aussi. Je cherche pas à pacifier la lutte et je dis pas qu’il faut pas affronter les flics et les gendarmes. Mais je pense qu’il y a des moments où c’est pertinent, genre quand on les prend par surprise et qu’on déborde leur dispositif. Ou quand ça fait des diversions et qu’on peut faire d’autre bails à côté. Ou quand on a tellement de colère et qu’on se fait tellement marcher dessus qu’on est juste incapable de se retenir et de les caillasser. Ou encore quand la répression elle est quotidienne, qu’on se fait contrôler en sortant de chez soi et que notre rapport avec la police est conflictuel parce que ça nous est de toute façon imposé. Mais pas quand on organise consciemment une manif en sachant à l’avance que ça va être une boucherie et en en prenant pas la mesure. Et d’ailleurs je reste poli.e parce que j’aimerais vraiment que ça lance des discussions sur ces fameuses tactiques à réinventer, mais vous appelez la manif « la bataille de Sainte-Soline » et ça me fait grincer des dents. Soit vous faites référence à l’État qui utilise le mot bataille pour parler des émeutes dans les quartiers et c’est de la réappropriation toute pourrie, soit vous cherchez à véhiculer un espèce de message guerrier comme si les gen.te.s s’étaient préparé.e.s à faire un combat armé face aux flics. Dans les deux cas, c’est pas terrible.

Comme j’aimerais bien que ça ouvre des discussions sur comment on fait face à autant de répression policière, je vais dire vite fait ce que je pense. Du coup là ça devient plus perso. Moi, à chaque fois que j’ai été dans des émeutes organisées aussi violentes, où on avait clairement les moyens de blesser les keufs pour de vrai, j’ai toujours eu le même sentiment après coup. Un espèce de goût de déception en mode « oui bah on leur a fait mal, mais en fait on s’est fait marcher dessus, plein de copain.e.s se sont fait.e.s mutilé.e.s ou ont fini en taule. Et puis là en vrai on était en PLS face aux GM et au PSIG, mais quand ce sera le RAID en face, il se passe quoi ? » Encore une fois, je parle pas d’autres émeutes plus spontanées où on agit par la colère ou parce qu’on a plus le choix. Là dessus y a rien à dire.

Du coup ça me donne l’impression qu’on a un peu trois choix. On peut décider nous même de se mettre à leur niveau d’intensité. De se fournir des armes létales et de faire pour de vrai des batailles. Je le dis là, parce que c’est une possibilité, mais c’est pas du tout un truc que j’envisage, genre absolument pas réaliste.

On peut aussi décider d’utiliser des tactiques plus proches de la guérilla. Pour le coup, c’est vraiment le seul truc que je trouve possible dans des mouvements d’occupation. Courir dans les champs, en se camouflant et en utilisant des explosifs, des pièges, avec des personnes qui font des attaques ciblées sur certains groupes de keufs avec nos moyens habituels (cocktails, mortiers…). Aussi, je trouve que ça laisse beaucoup plus d’espace à des défenses moins virilistes. Parce qu’on a pas le côté guerrier de défendre une barricade avec un seul choix : caillasser les keufs, avec toujours les même commentaires de merde à propos des personnes qui caillassent pas. Y a beaucoup plus de possibilité pour une pluralité des tactiques parce que y a plusieurs façons complémentaires d’empêcher les flics d’agir. Je dis ça parce que je pense que c’est possible face à l’état actuel du maintien de l’ordre. Les GM sont clairement pas préparés pour des groupes très mobiles et cachés qui les attaquent par surprise. Mais à nouveau, avant que ce soient des forces spéciales, bah faudra trouver d’autres solutions et en s’y étant préparé en amont. Mais tout ça pour moi, ça s’organise avec des personnes à qui on fait confiance, sur la durée et pour défendre un lieu, donc je le laisse un peu de côté quand on parle des manifs organisées contre les bassines.

Le dernier choix que je vois, c’est d’éviter la confrontation directe avec les keufs, quand ils sont aussi bien préparés. Et quand je dis éviter les flics, ça veut pas dire rien faire, mais ça veut dire passer à des moyens clandestins. Sabotage de nuit par exemple. Vous en parlez vous même en disant que sur les seize bassines, y en a treize qui ont été sabotées !! Du coup, clairement ça a été la stratégie la plus efficace dans la lutte contre les bassines. Alors pourquoi vous continuez de diffuser le spectacle de l’émeute comme un truc inévitable ?

Pour finir, j’ai l’impression qu’on continue de faire des grandes mobilisations qui sont toute fabriquées pour tourner à l’affrontement parce que sinon c’est trop frustrant pour plein de personnes. Parce que toutes celleux qui sont prêt.e.s à se mettre en danger mais qui sont pas dans les bails de sabotage iels font quoi du coup ? Mais si on est honnête sur la pluralité des tactiques, faire des manifs pour inclure d’autres personnes, ça peut se faire sans tout mettre en œuvre pour créer la giga-baston, avec des participant.e.s qui finissent à l’hôpital ou en prison. Et en plus c’est vraiment pas inclusif, c’est validiste, très majoritairement blanc et ça tient pas compte de celleux qui viennent (ou justement qui viennent pas) et qui risquent la prison parce qu’iels sont déjà marginalisé.e.s par la société. Et même si ça fait qu’on peut moins péter la gueule aux flics sur le moment, bah c’est comme ça, il y a d’autres occasions de leur péter la gueule (tant mieux, la vérité crève la police). Et c’est ça que je pense qu’il faut dépasser et réinventer : arrêter de rendre inévitable des affrontements quand ils ont aucun sens.

*C’est bien de se donner de la force et de l’espoir, c’est pas ça que je critique là