RESISTONS ENSEMBLE

Bulletin n°208 du 24 décembre 2022, du réseau Résistons Ensemble. Formé en 2002, Résistons Ensemble a pour but d’informer, de briser l’isolement des victimes des violences policières et sécuritaires et de contribuer à leur auto organisation.

Bonjour, Le bulletin n°208 du 24 décembre 2022, du petit journal mobile recto-verso A4 « RESISTONS ENSEMBLE » du réseau contre les violences policières et sécuritaires est sorti. Il est destiné à être photocopié et à être diffusé localement, si le journal vous plaît. Vous êtes invitEes à participer à son élaboration, à sa rédaction, à se joindre à l’équipe de rédaction. Nous attendons vos contributions, propositions, critiques … À bientôt. L’équipe de rédaction Lire l’intégralité et télécharger ce bulletin mis en page au format pdf.

 

L’œil éclaté de Laurent nous regarde

Ce jour du 14 décembre 2022, dans la grande salle du Palais de justice de Paris, la République a dévoilé tous ses charmes. La Cour d’assises, sous ses hauts plafonds ornés de dorures, de sculptures et lustres en cristal, a acquitté le CRS A. M. qui a fait éclater l’œil droit de Laurent d’un coup de grenade manuelle de désencerclement (GMD) en septembre 2016. Chacun se souvient de cette large manifestation contre la loi travail dite loi El Khomry. Pourtant le CRS avait tout faux : l’ordre de tirer n’a pas été donné par sa hiérarchie, il s’est approprié la grenade de sa propre initiative, il ne possédait pas l’habilitation de tirer une grenade GMD, il l’a lancée « en cloche », ce qui est interdit. Cerise sur le gâteau : au moment du lancer, la situation était calme place de la République, comme en ont témoigné les vidéos projetées lors de l’audience. Pourtant le CRS a tiré cette grenade, arme de guerre, dont l’une des 18 galettes en plastique a fait éclater l’œil droit de Laurent, endommageant sa cavité oculaire osseuse. Alors depuis, Laurent a été frappé par l’infirmité qui consiste à devenir semi aveugle. Il a aussi perdu son travail sans parler des inévitables conséquences sur son état psychologique et sa situation familiale. Si la justice s’est trouvée obligée de citer le CRS devant une Cour d’assises, c’est grâce au travail tenace de Laurent et des collectifs de soutien. Ainsi ce crime n’a pu être camouflé par le pouvoir, comme c’est le cas des dizaines de victimes tuées ou mutilées par la police ces dernières années. C’est une victoire mais elle est bien éphémère. En effet, l’État a mobilisé toutes ses ressources pour renverser les rôles : pour la justice le CRS mutileur est devenu la victime et Laurent, le mutilé, a été calomnié, comme si c’était lui l’agresseur. Plus d’une dizaine de témoignages de policiers, allant du haut gradé jusqu’aux flics de base, a décrit la place de la République couverte de cocktails Molotov et de pavés projetés par des milliers de manifestants déchaînés. Ce n’était pas Hiroshima mais presque. La basse attaque ne s’est pas arrêtée là. Un « expert psychologue » commandité par la justice, a décrit Laurent comme un individu à l’adolescence agitée, alors qu’un autre expert glorifiait le CRS comme un père de famille exemplaire. Cette lapidation était tellement grossière que le procureur s’est quand même senti obligé de demander une peine symbolique, sans commune mesure avec la gravité de la mutilation subie par Laurent : 2 à 3 ans de prison avec sursis et 5 ans d’interdiction de port d’arme. Mais le « jury populaire » présidé par une magistrate, a acquitté le CRS en qualifiant son geste mutilant de « légitime défense ». Les fastes de la Cour d’assises constituent un bateau amiral en vue d’amener à bon port tout un arsenal policier et juridique inédit : la loi LOPMI sur la police et la loi sur l’immigration. Comment rendre justice à Laurent et aux autres victimes de la police ? On ne pourra jamais réparer l’irréparable. En revanche, il faut tout faire pour que Laurent et les autres ne restent pas seuls, construire un front large de résistance active face à la répression. C’est à notre portée. Face à l’œil éclaté de Laurent, nous ne détournerons pas le regard.

> C H R O N I Q U E D E L ’ A R B I T R A I R E

Lopmi adopté Le projet de loi d’orientation et de programmation a été adopté en commission mixte paritaire le 1er décembre. C’est une promesse pour l’avenir : doper le pouvoirs et la capacité de surveillance des forces de police à coup de technologie : textiles « intelligents », exosquelettes, caméras légères couplées à l’intelligence artificielle pour analyser les données, avec la part belle donnée à la chasse aux migrants : motoneiges, buggys et autre moyens mobiles adaptés à l’environnement, drones à vision nocturne, des caméras infrarouges et thermiques… 15 milliards d’euros sur la table. C’est aussi la montée en puissance de l’amende forfaitaire délictuelle (AFD). Plus besoin de procès, le policier ou le gendarme condamne de son seul point de vue : exit le contradictoire, la publicité des débats, la possibilité pour les justiciables de soulever des nullités de procédure ou de bénéficier de l’aide juridictionnelle, l’impératif de motiver une décision de justice, la reconnaissance de l’état de nécessité, l’individualisation des peines… c’est le sacre de l’arbitraire. Jusqu’ici l’AFD ne concernait que 11délits, son champs d’action va tripler. Pourtant l’observation de la mise en place des premières AFD a montré leur nocivité (voir ci-dessous) A ça s’ajoutent deux délits « l’intrusion dans un établissement scolaire » et « l’entrave à la circulation » qui ciblent directement les mouvement sociaux. Encore une fois l’Etat se donne les moyens de criminaliser individuellement un mouvement social par nature collectif. Le but est clair, distiller la peur pour préparer le terrain à la casse sociale en cours, la loi sur les retraites en ligne de mire.

Halte aux flics qui se vengent à coups d’amendes Le 5 décembre devant le tribunal correctionnel des Hauts-de-Seine a eu lieu le premier procès de policiers qui utilisent leur pouvoir contraventionnel contre des jeunes des quartiers populaires (voir RE 199) : « Ce procès sera celui du traitement indigne des jeunes des quartiers par la police mais singulièrement celui des amendes forfaitaires qui vont se généraliser » estime Arié Alimi, l’avocat de Mehdi G. et de sa famille. Le 31 mars 2021, le père de Mehdi, 16 ans, porte plainte contre un policier de Suresnes qui a fracassé le nez de son fils d’un coup de tête, son tort étant de s’être trouvé avec un ami dans son hall d’immeuble et avoir refusé de se soumettre à une fouille illégale. Résultat, une opération et une ITT de 21 jours. Le père porte plainte à nouveau après que son fils a reçu quatre amendes de 135 euros pour non respect des règles sanitaires alors que ni lui ni le flic qui a fait l’amende ne se trouvaient sur les lieux du soi-disant contrôle. Depuis ces amendes ont été majorées et Mehdi risque maintenant la prison. En plus de ça, les flics font même intervenir les douanes pour une sacoche Vuitton selon eux de contre-façon et incitent Vuitton à porter plainte. Cet acharnement policier a valu cette fois à Alexandre V. de comparaître pour « violences volontaires » et son collègue Thomas P. pour « faux en écriture publique ».

« Méchants partout gentils nulle part » C’est la reprise réaliste de la déclaration démagogique du ministre Darmanin selon laquelle avec sa nouvelle loi il s’agirait d’être « gentil avec les gentils et méchant avec les méchants ». Au programme allongement des OQTF (Obligations de quitter le territoire), des IRTF (Interdictions de retour sur le territoire français) qui annulent tout ce qui a pu être accumulé pour rentrer dans les critères de régularisation, multiplication des centres de rétention, inscription des OQTF au fichier des personnes recherchées instaurant un véritable régime de traque et de criminalisation du statut d’immigré. Et pour le positif il faudrait le voir dans l’autorisation de séjour liée à un emploi dans des secteurs définis « en tension ». Un nouveau titre de séjour dévalué par rapport aux critères existants déjà très critiquables : sa durée et sa validité seront à la merci de l’arbitraire patronal et gouvernemental. En attendant les expulsions massives et aveugles continuent, comme celle dont est menacée une famille d’iraniens vivant depuis 4 ans à Perpignan et qui s’est vue refuser pour la 2ème fois le droit d’asile, les parents pourtant condamnés à mort en Iran, les conditions de détention dans les CRA sont toujours plus désastreuses ce qui a donné lieu à une nouvelle révolte des retenus qui ont incendié le centre de Perpignan, les demandes de regroupement et réunification familiales se heurtent à un mur administratif, les morts continuent de se démultiplier sur les routes de l’exil… Infos : abaslescra.noblogs.org

Il faut lutter contre la crise du logement, pas contre ses victimes ! Le 28 novembre le projet de loi Kasbarian-Berger arrivait à l’Assemblée. Alors que le nombre de demandeurs HLM, de sans-abris, de mal-logés, d’expulsions n’a jamais été aussi élevé, ce projet de loi s’attaque aux locataires en difficulté, aux sans abris, et celles et ceux qui occupent des logements vides pour se protéger de la rue et promet des années de prison pour « vol de domicile ». Plus d’infos sur : https://selogernestpasuncrime.org/

4 ans déjà que la police a tué Zineb Redouane Elle avait 80 ans et se tenait à la fenêtre de son appartement, quand elle a reçu un tir de grenade au visage. Deux enquêtes ont été ouvertes, à Marseille et à Alger et l’inaction du parquet de Marseille a poussé la famille de Zineb porte plainte pour violence entraînant la mort et demande le dépaysement de l’enquête. Depuis celle-ci n’avance quasiment plus et l’auteur du tir mortel identifié continue d’exercer chez les CRS. Une commémoration a eu lieu le 2 décembre devant l’immeuble de Zineb et le lendemain une manifestation au Vieux-Port. On n’oublie pas, on ne pardonne pas !

« Cédric G. ne devrait pas être le seul ici, c’est toute cette brigade qui pose problème… avec des policiers qui se comportent comme des cow-boys » a déclaré l’avocate des 3 adolescents de 14 à 16 ans qui ont subi des violences lors de leur interpellation le 17 mars 2021 par des flics de la police municipale de Saint Ouen qui leur avait reproché de ne pas avoir respecté le couvre-feu. Le seul de cette brigade qui soit passé devant le tribunal de Bobigny le 15 décembre est celui qui a uriné sur deux des garçons. Retenu coupable de violences et exhibition sexuelle, il a été condamné à un an de prison ferme (aménageable) et 5 ans d’interdiction d’exercer car il était déjà passé devant un juge pour avoir porté illégalement un fusil à calibre 12 dans un cadre privé, 6 mois avant les faits. Les autres n’ont rien, pourtant les adolescents ont également témoigné des coups qu’ils ont subi de leur part.

À l’Education nationale, les chefs défaillants « tombent vers le haut » c’est ce qui se disait en Hongrie « communiste » quand les erreurs trop voyantes d’un bureaucrate contraignaient le régime à le déplacer… en lui donnant une promotion. Même chose dans l’académie de Créteil en 2022 sous Macron : ainsi la proviseure du lycée Léon Blum de Créteil, déjà condamnée par la justice pour avoir harcelé un personnel handicapé, ayant sévi dans ce lycée pendant deux ans à coups de maltraitances et même d’insultes racistes envers les personnels, chassée des lieux par 3 semaines de grève ultra majoritaire des profs à la rentrée… a été nommée à la tête du nouveau lycée international de Vincennes qui ouvre ses portes à la rentrée prochaine. Par contre, du côté des personnels de l’académie, le management brutal et harcelant continue avec la bénédiction du recteur Auverlot, notamment au lycée Mozart du Blanc-Mesnil et au collège Paul Eluard de Bonneuil-sur-Marne et, partout, les convocations de professeurs au rectorat pour « non respect des principes de la laïcité » se démultiplient : tout est bon pour s’assurer que plus personne ne moufte dans cette académie où tout serait justement sans cesse à dénoncer.

À Marseille des flics tabassent et mentent sans être inquiétés Le 30 avril 2021, à Marseille, un policier a tabassé Eliot, 23 ans, tandis qu’un autre a violemment projeté à terre et aspergé de gaz lacrymogène son amie, Marion, 32 ans. 43 h de GAV, outrage et rébellion… Les policiers de la BAC ont ensuite falsifié le procès-verbal ce que révèle une vidéo filmée par un témoin. Le 22 novembre dernier les flics devaient passer devant le tribunal mais le parquet a estimé que la falsification des PV n’était pas « suffisamment significative pour avoir eu des conséquences préjudiciables pour les requérants », il n’a pas non plus retenu les circonstances aggravantes des violences commises en réunion par les policiers…

Méga-bassines, projet Cigéo, la stratégie de la criminalisation en guise de muselière Dix jours après la mobilisation contre les méga-bassines à Sainte-Soline qualifiée d’« écoterroriste » par le ministre Darmanin, le garde des Sceaux consigne ses objectifs répressifs dans une circulaire à destination des procureurs, réclamant « une réponse pénale systématique et rapide ». Ainsi 5 personnes simplement présentes à la manifestation sont poursuivies pour « participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou dégradations ». Un délit d’intention pour un dossier vide. L’audience est fixée le 28 novembre, trop courts pour préparer la défense. Au procès, malgré les raisons plus que suffisantes évoquées pour demander un report, celui-ci est refusé. Inculpés, militants, avocats quittent la salle. Face à une cour vide, le juge condamnet : 2 ou 3 mois de sursis en fonction des personnes assortis d’une interdiction de séjour dans les Deux Sèvres pour 3 ans. Les prévenus feront appel. Le 28 novembre, 7 militants opposants au projet Cigéo d’enfouissement de déchets nucléaires comparaissaient en appel devant la cour de Nancy. Le résultat d’une enquête tentaculaire, 1 million d’euros dépensés, des dizaines de personnes placées sur écoute, des perquisitions à répétition, une cellule de gendarmerie spécialement dédiée, des moyens relevant de l’antiterrorisme et du grand banditisme, pour « dégradations par moyens dangereux et association de malfaiteurs ». Non lieu, relaxe, une débauche de moyen qui débouche sur « quelques infractions mineures » ficelées dans un dossier d’accusation bancale. Mais la justice s’acharne, l’avocate générale de la cour d’appel de Nancy requiers des peines allant de huit à dix mois de prison avec sursis pour six prévenus, tandis que douze mois de prison ferme ont été requis à l’encontre du septième. Délibéré le 26 janvier 2023.

L’œil éclaté de Laurent nous regarde – bulletin numéro 208 bis – du 24 décembre 2022 (.pdf)