Le 23 décembre en fin de matinée, un attentat était perpétré contre le centre Ahmet Kaya rue d’Enghien à Paris, tuant une fois de plus trois personnes kurdes dont, selon Agit Polat le porte-parole Conseil Démocratique Kurde en France, une responsable du mouvement des femmes kurdes. Il y a encore 6 blessés dans un état grave.

Et cependant ni la presse ni les politiciens français ne veulent reconnaître ouvertement le caractère éminemment politique de ce triple assassinat : les médias (y compris Mediapart et Libé). Ce n’est que dans l’édition du Monde en ligne à 22H18 que l’on cite enfin les paroles d’Agit Pola avait appelé les autorités françaises à « arrêter leur complaisance avec les autorités turques quand il s’agit de la sécurité des Kurdes », ajoutant que « les autorités françaises doivent nous recevoir et arrêter ce jeu cynique ».

Notez que sur France 24, aux infos de 20h le discours d’Agit Polat avait été tronqué juste au moment où le porte-parole s’apprêtait à évoquer la responsabilité turque dans cette affaire.

Le ministre de l’intérieur Gérard Darmanin, suivi par le président Macron ont voulu voir en cet attentat quasiment un fait divers raciste, sans plus. Le meurtrier, cheminot à retraite, on le sait était un récidiviste, était connu pour ses tentatives d’homicide envers des migrants. Notons qu’il avait été relâché sans effectuer la peine pour laquelle il avait été condamné, ce qui montre le peu de cas que l’on fait d’attaques racistes, que cela soit dit en passant.Tout cela suffit pour que procureure de Paris Laure Beccuau, déclare : « Rien ne permet à ce stade d’accréditer une quelconque affiliation de cet homme à un mouvement idéologique extrémiste »

Si le gouvernement parle de « crime odieux » (c’est tout de même la moindre des choses) les politiciens s’empressent de récupérer la situation pour leur propre bénéfice idéologique. Ainsi les Insoumis comme le  PS s’empressent d’accuser l’extrême-droite- et c’est à eux que Darmanin répond quand il fait la liste devant les caméras rue d’Enghien, de tous les organismes appréhendé . Côté extrême droite, c’est évidemment le laxisme généralisé, « l’ensauvagement généralisé » selon Eric Zemmour qui est mis en cause.

Comme si en France, n’importe quelle cause, n’importe quel crime, guerre voire catastrophe naturelle était l’occasion de régler ses comptes à l’Assemblée nationale – et de prendre les lecteurs et les téléspectateurs pour des imbéciles. En attendant, on a complètement oublié les Kurdes et surtout la guerre impitoyable que leur mène Erdogan. Pour peu, la droite ne retiendra que l’émeute des Kurdes du quartier parisien ont menée contre la police pour exprimer leur désarroi contre l’incompréhension généralisée des les politiciens qui, une fois de plus, se débinent devant leurs responsabilités.

Revenons à la réalité bien plus sordide. Il faut se souvenir que concernant le triple assassinat des militantes kurdes, Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez même si l’instruction a conclu à un acte terroriste, la justice française n’a jamais réclamé des comptes à la Turquie. Ankara a été d’emblée disculpée même quand on se souvient que c’est grâce aux combattant (e)s kurdes que la menace de l’État Islamique en Irak et en Syrie a pu s’éteindre – du moins jusqu’à maintenant car ce mouvement est en train de revenir en force– soutenu indirectement (ou peut-être directement), force est de l’avouer, par la Turquie qui déjà dans les années 2015-16 jouait ce double jeu.

Les médias feront des gorges chaudes au sujet de ce vieillard franco-français haineux vraisemblablement gâteux, c’est certain. Mais faut-il vraiment être naïf au point de penser que les services secrets turcs n’auraient pas choisi là l’assassin idéal ? Le crime parfait. Ou presque.

La question qui se pose est celle de savoir pourquoi la France (et d’autres) veulent ménager la Turquie. Faire partie de l’OTAN, est-ce une garantie d’impunité ? Avons-nous peur qu’Erdogan nous expédie des milliers de réfugiés théoriquement retenus en Turquie grâce à des fonds européens ? Est-ce que nous faisons confiance à ce Reis mégalomane pour faire la paix en Ukraine et en Russie, se faufilant d’un pays à l’autre comme un rat, promettant monts, merveilles et drones partout ? Et changeant d’avis à la minute suivante.

La planète semble dominée actuellement par des velléités de domination néo-fasciste, voire totalitaire. Entre Poutine, Khamenei et Erdogan, on est gâtés…

Si l’opinion publique s’est exprimée vivement contre les abus criminels perpétrés par les leaders à Moscou et Téhéran, il est temps de faire de même pour Ankara. Ce qui s’est déroulé aujourd’hui rue d’Enghien n’est que la pointe d’un iceberg déjà bien entamé. Nous avons tout à perdre si nous continuons à maintenir ce silence criminel.

De Carol Mann sur ce sujet, voir aussi (entre autres)

L’obsession kurde de Erdogan: à quand la fin de l’impunité  (24/11/2022)

Pourquoi ne pas reconnaître le Rojava (30/6/2015)

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source : https://blogs.mediapart.fr/carol-mann/blog/241222/silence-tue-encore-des-kurdes-paris via kedistan.