ESPRIT CRITIQUE ET MÉDECINES ALTERNATIVES I
(Une question d’opinion ?)

INTRODUCTION

LE DIFFICILE CHEMINEMENT DE LA RAISON

La question des médecines alternatives n’est pas une question simple que l’on peut facilement aborder dans un climat serin. Les questions de santé sont le champ de bataille entre la passion et la raison depuis le moment historique où des êtres humains ont pris le risque de mettre en question leurs « croyances » pour tenter de « comprendre » les causes de la maladie et les moyens d’y remédier. Toute l’histoire de la médecine est une histoire de déchirements passionnels et ce genre d’affrontement est loin d’être terminé.

Les questions de santé sont des questions particulièrement sensibles parce que la maladie et la souffrance menacent notre corps et notre esprit ou ceux des personnes que nous aimons. Il s’agit d’une atteinte très intime qui sollicite fortement nos émotions. Dans la maladie et la souffrance nous sommes tous rapidement sujet à perdre notre esprit critique au profit de croyances parfois les plus sottes. Dans la souffrance, toute promesse de soulagement est reçue positivement, même si elle est fallacieuse. Devant la peur de la mort ou d’une maladie handicapente toute promesse de guérissions est reçu positivement même si elle est complètement irréaliste. En tout cas, dans la maladie, conserver un esprit critique devient parfois très difficile même pour les personnes les plus intelligentes et les plus sages.

Quel est le devoir d’un militant progressiste dans un pareil fatras de passion et de confusion ?

D’abord, il est important que le militant progressiste prenne parti. Nous entendons trop souvent des militants affirmer que ces questions sont « négligeables » comparativement à d’autres questions considérées comme plus nobles parce qu’explicitement politique ou plus directement liées au procès du travail. Pourtant, les questions de santé et de soins comportent une dimension sociale politique importante. Au Québec, par exemple, plus du quart des revenus de l’État est consacré à la santé et c’est sans compter avec les dépenses effectuées à titre privé par les personnes malades. Déterminer où doit être orientée une pareille somme de ressources humaines et financières n’est pas négligeable.

Ensuite, la maladie et la souffrance transforment les personnes en citoyens vulnérables physiquement et psychologiquement. Cette vulnérabilité ouvre la porte à des escrocs et des gourous, plus ou moins de bonne foi. Faute de pouvoir faire la preuve de la valeur de leurs techniques « alternatives », ces gourous évoquent leur droit à la liberté d’expression, à la liberté de commerce, à la liberté de croyance ou, plus insidieusement, à la liberté de choix en santé. De l’autre côté, privé de son esprit critique par la maladie et la souffrance, le citoyen se présente comme n’importe quelle personne vulnérable qui ne dispose plus des moyens de se défendre. C’est alors à la communauté de palier à cette vulnérabilité en défendant les malades contre les abuseurs et parfois contre eux-même. Dans ce contexte les devoirs du militant sont sans équivoque. Il doit prendre le parti des plus vulnérables et se positionner clairement du côté de la raison et de la protection des citoyens.

La position que doit prendre le militant progressiste ne dépend pas uniquement de son analyse. Elle dépend plus fondamentalement de ses valeurs. Comme pour la plupart des questions à caractère politique, le procès des valeurs s’impose à notre jugement. Nous y reviendrons en conclusion de cette série d’articles.

Mais, avant d’entrer dans le « jugé « , tentons au préalable d’éclairer les faits et l’analyse qui doit en être faite. À eux seuls les faits et l’analyse présentent d’innombrables pièges qu’il nous faudra connaître, reconnaître et contourner. Si vous effectuez la démarche avec nous, vous verrez que ce défi n’est pas ordinaire.

* Résumé : * * – Le devoir du militant progressiste est de s’assurer * que les ressources humaines et financières de la * communauté sont orientées de manière efficace. * * – Le devoir du militant est aussi de s’assurer que les * personnes rendues vulnérables par la maladie sont * protégées contre les escrocs et les gourous.

UNE QUESTION D’OPINION ?

Le premier piège à éviter est celui que nous tend la culture post-moderne1. Dans les conversations de salon, nous sommes encore souvent témoins d’un certain discours philosophique qui voudrait que tout soit question « d’opinion » et que le domaine des alternatives en santé relève d’une pure question de choix subjectif.

En termes de droits civils, il est certain que les citoyens conservent toujours leur liberté d’opinion et leur liberté de choix en santé. On a le droit de dire n’importe quoi, des plus grandes vérités aux pires âneries. On a aussi le droit de soigner son cancer en se fourrant une chandelle dans l’oreille. Ce sont des droits fondamentaux. Mais les libertés civiles et le procès de la réalité répondent à des exigences biens différentes et il est complètement erroné de dire que la valeur des médecines alternatives n’est qu’une simple question d’opinion. Je m’explique !

Si deux interlocuteurs se déchirent sur un jugement esthétique, il est bien impossible de les départager. Par exemple, si une personne affirme que la Tour Eiffel est « belle » et qu’une l’autre affirme qu’elle est « immonde », nous sommes devant l’impossibilité de trancher. La beauté d’un monument architectural relève du sens de l’esthétique. C’est une question purement subjective.

Par contre, si les deux mêmes personnes s’opposent sur la question de l’emplacement géographique de la Tour Eiffel, nous sommes devant un tout autre problème. Par exemple, si l’une affirme que la Tour Eiffel est à Paris tandis que l’autre affirme qu’elle est à Montréal, nous entrons dans le domaine de l’objectivité. Nous disposons de critères objectifs pour départager la personne qui a raison et celle qui est dans l’erreur. Si un témoin de cet affrontement sur la question que l’emplacement géographique de la Tour venait à affirmer que « c’est une question d’opinons », il confondrait une question d’ordre subjectif avec une question d’autre objectif. Le témoin commettrait alors une erreur bien plus grave que le sot qui affirme que la Tour Eiffel est à Montréal.

Il en va de même pour les médecines alternatives. Le discours entourant les médecines alternatives est encombré d’assertions à caractère philosophique. Les valeurs défendues par les promoteurs et les adeptes des médecins alternatives sont parfois très honorables. Ici, on fera valoir les vertus d’une relation thérapeutique plus humaine ou d’une perspective englobant la personne dans sa totalité. Là, on magnifiera la nature, l’hygiène ou la liberté de choix. Qui peut être contre la vertu ?

Serait t’on contre ce discours vertueux que cela ne changerait rien. Les valeurs de ce type sont subjectives et comme la beauté de la Tour Eiffel elles ne peuvent être tranchées par des critères universels. Mais on peut évoquer de très bonnes valeurs pour défendre un remède ou une technique thérapeutiques en réalité parfaitement inefficace.

Cela nous ramène à la question clé : Est-ce que c’est efficace ? Pour un militant progressiste ce devrait être le fondement de tout jugement critique. C’est d’abord en fonction de son efficacité réelle qu’une approche alternative devrait être jugée. Tout investissement de ressources humaines ou financières dans une technique inefficace serait une perte nette pour la communauté, même si cette technique inefficace est accompagnée du plus beau des discours. Toute liberté accordée à un gourou de faire la promotion d’une technique inefficace serait une négation du droit des malades d’être protégé contre la tromperie.

Parler d’efficacité, ce n’est plus se gargariser de discours philosophiques. Si nous parlons d’efficacité thérapeutique, nous quittons le terrain mou de la subjectivité pour rejoindre le solide terrain de l’objectivité. En d’autres mots, il n’est plus question de savoir si la Tour Eiffel est belle, mais de savoir si elle est à Paris. En effet, en 2005, nous disposons de critères solides pour évaluer l’efficacité de la plupart des méthodes thérapeutiques. Comprendre ces critères d’efficacité, c’est se donner un levier intellectuel puissant pour départager le vrai du faux dans l’encombrement des discours contradictoires en santé. Le militant progressiste ne devrait pas faire l’économie d’un pareil apprentissage.

Nous expliquerons dans notre prochain texte qu’elles sont les critères permettant de juger de manière sûre la valeur d’un remède ou d’une technique quels qu’en soient les fondements théoriques.

* Résumé : La valeur des approches alternatives en santé * n’est pas une simple question d’opinion. Nous * disposons de critères fiables pour évaluer l’efficacité * des traitements et c’est sur ces critères que doivent * être évaluée chaque approche.

1- Dans son beau texte « Attaques post-modernes contre la science et la réalité » l’astronomeVictor J. Stenger, illustre clairement les incongruités des postulats poste modernes http://www.allerg.qc.ca/attaq.htm