Au delà de l’écriture inclusive: un programme de travail pour la linguistique d’aujourd’hui
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Catégorie : Global
Fait rarissime, et triste : des chercheuses bien connues dans le domaine de la linguistique s’indignent contre certains usages du franc?ais. Dans une tribune de Marianne, elles s’en prennent a? l’e?criture inclusive – qu’elles re?duisent abusivement a? l’emploi du point me?dian. En quelques lignes, ces linguistes abdiquent toute l’intelligence de leurs travaux scientifiques en ce?dant a? la panique devant une ressource typographique en pleine expansion depuis au moins 20 ans.
Cette tribune traduit la crainte de voir leur discipline, les sciences du langage, de?passe?e par les usages langagiers des locutrices et secoue?e par les grammaires non binaires qu’e?laborent les mouvements queer. Ses signataires voudraient confiner la linguistique en dehors du social, du politique et du me?diatique en re?vant ainsi d’une discipline sans ancrage dans le re?el langagier de leur e?poque, et en faisant passer leur propre position ide?ologique pour de la neutralite?.
Cela fait une cinquantaine d’anne?es que nous voyons e?merger des de?bats sur l’expression du genre en franc?ais.
De?s les anne?es 1970, les fe?ministes engagent la re?flexion sur le fe?minin des noms de me?tiers ; ce de?bat a oppose? partisanes de l’accord (nommer les femmes avec des noms fe?minins) et partisanes du masculin suppose? « ge?ne?rique » ou neutre. La question aujourd’hui est tranche?e : plus personne n’ose de?fendre l’ide?e que le franc?ais serait menace? par le fait de dire « chirurgienne » ou « ambassadrice »… et les quelques femmes qui continuent a? se faire appeler « directeurs » doivent de?sormais assumer un choix conservateur ou de?suet.
Ce chantier linguistique ouvert par la « fe?minisation des noms de me?tiers » a fourni aux francophones des armes et le de?sir de s’attaquer a? d’autres difficulte?s pose?es par la langue dont elles ont he?rite? : par exemple, le fait de s’adresser au fe?minin a? une grande assemble?e de femmes et de devoir passer au masculin si un seul homme y est pre?sent. Ou bien, le fait de lire des offres d’emploi pour “un directeur” ou “une infirmie?re”, comme si nous devions reconduire collectivement des ste?re?otypes encombrants et de?solants. Ou encore, le fait d’entendre parler quotidiennement des ouvriers , des hommes politiques , des agriculteurs , des patients , tout en constatant que l’usage exclusif du masculin entrave trop souvent la capacite? a? penser la mixite? de notre socie?te?… Ou encore, le fait qu’avec de nouvelles re?alite?s sociales (les familles homoparentales, les identite?s queer, etc.), il faut trouver de nouvelles manie?res de dire et nommer les pe?res gays et les me?res lesbiennes, toutes celles qui ne s’identifient pas dans la binarite? fe?minin-masculin et de forger de nouvelles formes linguistiques.
Les de?bats se multiplient autour de ces questions, et les francophones s’en emparent vigoureusement. Elles proposent des solutions, les discutent, renoncent a? certaines, en adoptent d’autres : l’effervescence est grande, la cre?ativite? passionne?e.
Il n’est de?sormais plus seulement question de (re)trouver des mots (ainsi d’autrice, de « la ministre », « la chancelie?re », qui nague?re semblaient irrecevables et circulent de?sormais quotidiennement), mais d’inventer des manie?res de dire et d’e?crire. Par exemple dire « che?res clientes, chers clients », recourir a? des formulations abre?ge?es qui conjoignent les marques du masculin et du fe?minin, « les e?lecteur/trices », re?introduire dans l’e?crit des pratiques bien vivantes a? l’oral (ainsi de l’accord de proximite? : « toutes celles et ceux qui », « les chants et danses bretonnes » )…
En portant leur cre?ativite? dans le domaine de la morphologie (par exemple « toustes, collaborataires » ) et de la syntaxe (re?ame?nager les accords), les locutrices aujourd’hui sont en train de se de?barrasser de l’encombrant poids symbolique du « masculin qui l’emporte », sans toutefois s’accorder pour l’instant sur de nouvelles normes qui vaudraient partout et tout le temps.
Dans telle entreprise, on emploiera les formes entie?res « auditeurs et auditrices » , dans telle autre les traits d’union ou le point me?dian ; dans telle institution publique, on se recommandera du guide du Haut Conseil a? l’Égalite? Femmes-Hommes, dans telle autre, d’un guide maison ; dans telle association, on utilisera le pronom iel , dans telle autre, ille.
Chaque francophone, en circulant d’une communaute? langagie?re a? une autre, constate qu’elle n’est pas seule a? expe?rimenter dans sa langue : en partageant ces pratiques sociales plus ou moins stabilise?es localement, elle prend conscience aussi de l’exceptionnelle vitalite? de la langue.
Face a? cette effervescence actuelle des pratiques, les linguistes n’ont pas a? se lamenter, ni a? renoncer a? faire leur travail. C’est-a?-dire : observer et e?tudier la langue telle qu’elle est, identifier les dynamiques en cours, proposer des synthe?ses ou parfois formaliser des standards, toujours conjoncturels et provisoires dans cette pe?riode non acheve?e ou? le franc?ais e?volue rapidement.
Les savoirs accumule?s depuis plus d’un sie?cle par la linguistique dans son entreprise de description de la langue et de ses e?volutions, offrent aujourd’hui des outils solides pour saisir et comprendre ce qui est en train de se passer.
Les recherches linguistiques sur le genre et sur les usages prote?iformes et fluctuants de l’e?criture inclusive sont nombreuses et foisonnantes. Nous refusons de croire que les linguistes signataires de la tribune de Marianne les ignorent. Leur crispation obsessionnelle sur les abre?viations utilisant des points me?dians nous e?tonne. Nous sommes navre?es qu’elles offrent de la linguistique une vision rabougrie, nous sommes ennuye?es par leur pre?tention a? dicter l’usage – en comple?te contradiction avec leurs propres travaux -, nous sommes pantoises devant leur renoncement a? se saisir des proble?mes auxquels les francophones cherchent aujourd’hui des solutions.
Quant a? la question d’une re?flexion collective sur les difficulte?s de lecture et d’apprentissage du franc?ais, que viendrait compliquer l’« e?criture inclusive » (ou ce que les signataires de Marianne tiennent pour telle), celle-ci reste ouverte. Mais pluto?t que mettre un veto sur l’emploi des points me?dians, ne vaudrait-il pas mieux envisager une re?forme et une rationalisation de l’orthographe ? Pour notre part, nous sommes pre?tes a? y travailler.
Cliquez ici pour accéder à une bibliographie abondante des travaux universitaires sur les questions relatives à l’écriture inclusive.
Signataires :
Julie ABBOU, Universite? de Paris
Sophie ALBY, Universite? de Guyane
Johannes ANGERMULLER, Open University
Aron ARNOLD, Universite? catholique de Louvain
Sophie BAILLY, Universite? de Lorraine
Jacqueline BILLIEZ, Universite? Grenoble-Alpes
E?lodie BLESTEL, Universite? Sorbonne Nouvelle
Bruno BONU, Universite? Paul-Vale?ry Montpellier 3
Aude BRETEGNIER, Le Mans Universite?
Vale?rie BRUNETIERE, Universite? de Paris
Heather BURNETT, CNRS et Universite? de Paris
Laura CALABRESE, Universite? libre de Bruxelles
Deborah CAMERON, University of Oxford
Maria CANDEA, Universite? Sorbonne Nouvelle
Ce?cile CANUT, Universite? de Paris
Ve?ronique CASTELLOTTI, Universite? de Tours
Yannick CHEVALIER, Universite? Lyon 2
Hugues CONSTANTIN de CHANAY, Universite? Lyon 2
James COSTA, Universite? Sorbonne Nouvelle
Fe?lix DANOS, Universite? de Nanterre
Marc DEBONO, Universite? de Tours
Ingrid De SAINT–GEORGES, Universite? du Luxembourg
E?milie DEVRIENDT, Universite? de Toulon
Valentin FEUSSI, Universite? d’Angers
Be?atrice FRACCHIOLLA, Universite? de Lorraine
Me?de?ric GASQUET–CYRUS, Aix-Marseille Universite?
Sylvain GATELAIS, Universite? de Tours
Mona GE?RARDIN–LAVERGE, Universite? Paris Nanterre
Mathieu GOUX, Universite? de Caen
Luca GRECO, Universite? de Lorraine, re?dacteur en chef de Langage et Socie?te?
Mariem GUELLOUZ, Universite? de Paris
Thierry GUILBERT, Universite? de Picardie Jules Verne
Raphae?l HADDAD, Universite? Paris Est Cre?teil
Christine HE?LOT, Universite? Strasbourg
Manon HIM–AQUILLI, Universite? de Franche-Comte?
Emmanuelle HUVER, Universite? de Tours
Patricia LAMBERT, ENS de Lyon
Gudrun LEDEGEN, Universite? Rennes 2
Isabelle LEGLISE, CNRS
Noe?mie MARIGNIER, Universite? Sorbonne Nouvelle
Marinette MATTHEY, Universite? Grenoble Alpes
Miche?le MONTE, Universite? de Toulon
Claudine MOI?SE, Universite? Grenoble Alpes
Lorenza MONDADA, Universite? de Ba?le
Sandra NOSSIK, Universite? de Franche-Comte?
Elinor OCHS, University of California, Los Angeles
Isabelle PIEROZAK, Universite? de Tours
Gae?lle PLANCHENAULT, Simon Fraser University, Canada
Ce?line POZNIAK, Universite? de Paris 8
Arnaud RICHARD, Universite? Paul-Vale?ry Montpellier 3
Laurence ROSIER, Universite? Libre de Bruxelles
Santiago SANCHEZ MOREANO, The Open University, UK
Anne Catherine SIMON, Universite? catholique de Louvain
Suzie TELEP, Universite? de Paris
Sandra TOMC, Universite? Jean Monnet, Saint-Etienne
Cyril TRIMAILLE Universite? Grenoble-Alpes
Maude VADOT, Universite? Savoie Mont Blanc
Andrea VALENTINI, Universite? Sorbonne Nouvelle
Ce?cile VAN DEN AVENNE, Universite? Sorbonne Nouvelle
Marie VENIARD, Universite? de Paris
Lae?lia VERON, Universite? d’Orle?ans
Albin WAGENER, Universite? Rennes 2 / INALCO
Sylvie WHARTON, Universite? d’Aix-Marseille
Adam WILSON, Universite? de Lorraine
Sandrine ZUFFEREY, Universite? de Berne, Suisse
« La qualité de ses signatures » ? Ouais, c’est vrai que j’avais pas pensé que c’était important.
Souvent, je signe completement à l’arach. Mais aussi, quand c’est le facteur qui demande de signer sur sa tablette avec un stilet, je trouve pas ça facile, j’ai pas l’habitude. La prochaine fois, je m’appliquerai pour faire une signature de qualité, c’est plus joli :)