Pour que vivent mille médias indépendants
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Depuis l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, les appels se multiplient pour défendre la liberté d’expression dans notre pays. Si le terrorisme tente aujourd’hui de menacer l’idée même de liberté d’expression, celle-ci est aussi attaquée quotidiennement par les politiques d’étouffement menées depuis si longtemps par les pouvoirs publics.
Avant même cette attaque, Charlie Hebdo était menacé de disparition faute de moyens financiers. Des journaux indépendants meurent chaque jour dans une indifférence quasi générale. En un an seulement, le trimestriel Friture Mag a suspendu ses parutions papier, le mensuel Le Ravi a été placé en redressement judiciaire, le magazine Zélium a dû faire appel à une campagne de financement participatif pour reparaitre en kiosque, la survie de Siné Mensuel dépend d’une souscription en cours… Des radios associatives, comme Radio Clapas, s’apprêtent elles aussi à mettre la clef sous la porte.
Les raisons ? Un étranglement financier généralisé à tout le secteur associatif et l’absence de reconnaissance officielle des médias du Tiers secteur, ceux qui ne sont ni publics ni commerciaux mais tout simplement citoyens.
Cet appel, rassemblant (pour l’instant) douze médias indépendants, alternatifs, citoyens, ainsi que des associations les défendant, tous désireux de faire vivre une information libre, affirme sa fraternité et sa détermination après l’attaque contre des journalistes de Charlie Hebdo. Mais, au-delà de l’émotion, il faut plus que jamais :
- refondre totalement le système des aides publiques à la presse qui favorise les grands groupes capitalistes privés;
- renforcer le fond de soutien à l’expression radiophonique (FSER) et améliorer la transparence dans son affectation;
- ouvrir des canaux de diffusion locaux et nationaux aux télévisions associatives;
- réorienter les aides à la diffusion dans les kiosques, eux-mêmes en grande difficulté, et réfléchir à d’autres moyens de distribuer nos productions en lien avec les professionnels de la distribution;
- reconnaitre les médias citoyens comme étant d’intérêt général et valoriser leur compétence en matière de formation professionnelle et d’éducation populaire;
- à plus long terme, développer un travail législatif, comparable à ce qui a été fait en Argentine ou dans d’autres pays avec une re-répartition globale du spectre médiatique par tiers entre secteur public, secteur privé et secteur associatif, tout en luttant contre la concentration financière et industrielle des médias.
Nous ne revendiquons pas des subventions individuelles pour chacun mais la reconnaissance de droits et acquis sociaux et culturels collectifs pour promouvoir la liberté d’expression et le pluralisme. Il ne suffit pas de se déclarer défenseur de la liberté d’expression pour la protéger. Seules des réformes de fond pourront attester de la sincérité de cet engagement.
Aussi, nous demandons à être reçus d’urgence par la ministre de la Culture et de la Communication pour faire valoir le point de vue des médias libres et citoyens sur les réformes qu’elle dit maintenant vouloir engager.
Premiers signataires (en cours) : Acrimed, Act Médias, Adiu Sud Gironde, Altermondes Informations, Cassandre/Hors Champ, Com’etik Diffusion, Cram Cram !, Demosphère Ariège, Et faits Planète, Fakir, Fokus 21, Fréquence Mistral, Friture Mag, La Lettre à Lulu, Le Lot en Action, Les Antennes, Les Pieds dans le PAF, Lalorgnette.info, Le Ravi, Le Sans Culotte 85, Les Films du Crime et du Châtiment, Librinfo74.fr, Lutopik, Lyon Bondy Blog, Lyon Média City, MédiasCitoyens, Montpellier journal, Le Nouveau Jour J, O2Zone TV, Philippe Merlant (Université populaire pour une information citoyenne), Plus Belles les Luttes, Pourparlers.info, Radio Calade, Radio Couleurs FM, Radio d’Ici, Radio MNE, Rencontres Médiatiques, Reporterre, Rézonances TV, Riv’Nord, Sisyphe Vidéo, Télà, Télé Sud Est, Zélium.
Eh, steup, excuse-moi, juste une seconde… Je voulais te demander, t’as pas cent balles ? T’es sûr ? C’est pas pour moi, hein, enfin pas vraiment pour moi…. C’est parce que je fais un journal indépendant, et comme les gens de Charlie Hebdo sont morts en faisant un journal aussi, eux et moi c’est tout pareil, et je me demandais… Sérieux, t’as pas cent balles ?
Un désert fumant de lendemain de bataille. Cinq heures du mat’, jet de frissons. Dans le ciel, des corbeaux tournoient, croassent à qui mieux-mieux. Au sol, des corps allongés. En fond sonore, des râles, des supplications. C’est Waterloo, Alésia, Gettysburg, qu’importe, l’heure est grave.
Au milieu des blessés, quelques gradés désœuvrés, pataugeant dans le ketchup avec morgue. La bataille finie, ils passent en revue les morts, s’emmerdent un peu. Le corps à corps avait certes de la gueule le jour précédent, quand ils regardaient tout ça à la jumelle. Mais là, c’est un peu glauque. Merde alors… Et leurs bottes ? Qui va nettoyer leurs bottes si tout le monde est mort ?
Alors que le soleil se lève, un intrus déboule sur le champ de bataille. Brassard « PRESSE INDÉ » au bras, moustache triomphante en bandoulière, il s’approche d’un Général de brigade occupé à dépouiller un jeune fantassin de sa montre à gousset. Quelques salamalecs, des ronds de jambe, et il se lance : « Mon général, z’auriez pas cent balles ? C’est pour la liberté de la presse (indépendante)… »
Ni une ni deux, le Général l’envoie bouler. La liberté de la presse (indépendante) ? Il s’en carre comme de sa première syphilis. Il se remet à farfouiller dans les monceaux de corps, pensif. Quelques minutes, et de nouveau on le dérange, on le tire par la manche. Il se retourne, prêt à balancer son poing à la gueule de l’emmerdeur. Et se ravise. Bouche bée. Face à lui, ils sont cent, au moins. Des reporters, des preneurs de son, des éditorialistes, des secrétaires de rédaction. Et ils portent des pancartes, entonnent des chants. Youkaïdi-youkaïda, ils veulent de l’argent. Et voir un gradé encore plus haut placé, un amiral, un maréchal des logis, quelqu’un de vraiment important. « C’est pour la liberté de la presse (indépendante) », qu’ils répètent, excités comme des pinsons.
Matois, le général dégaine son plus beau sourire. D’une main soigneusement manucurée, il désigne la belle tente de commandement qui pointe à l’horizon. « Là-bas, chers amis, vous trouverez à qui parler. Mieux : il y a des cacahouètes ! Et du champagne ! Et des ortolans grillés ! Toutes sortes de mignardises ! Faites comme chez vous ! »
Et les gens de presse, guillerets, d’y courir, bras-dessus bras-dessous. Des mignardises ? Chouette alors !
On en fait trop ? On pédale dans l’absurde ? Sans doute. Mais sur ce coup, on n’en fera jamais autant que vous, les quarante-trois1 « représentants de médias indépendants, alternatifs et citoyens, ainsi que des associations les défendant »2 ayant paraphé le (grandiose) communiqué « Pour que vivent la liberté d’expression et mille médias indépendants ! ». Alors là, bravo ! La grande classe…
Il ne s’agit pas de contester votre légitimité à réclamer de l’argent du ministère ou des pouvoirs publics. Il y a cent manières de faire de la presse libre, avec subventions ou sans (c’est notre cas), en se salariant ou non (c’est notre cas), en rêvant d’une carte de presse ou en lui crachant à la gueule. Pas de problème. On sait suffisamment les efforts et sacrifices qu’imposent l’animation d’un journal ou d’un site (dit) alternatif pour ne pas donner de leçons faciles et malvenues à celles et ceux qui choisissent des stratégies différentes. Vous pensez qu’il y a quelque chose à attendre de la rue de Valois ? Que quelques subsides décrochés dans un bureau sous-ministériel suffiront à garantir la survie de vos médias et l’avenir d’une presse indépendante de qualité ? Que la main du pouvoir pourrait corriger l’inégalité du combat face à la presse dominante ? Grand bien vous fasse, cela vous regarde – même si on n’est évidemment pas sur la même longueur d’ondes.
Le problème n’est pas là, donc3. Mais plutôt dans cette manière que vous avez d’enrôler les morts de Charlie Hebdo (qui se sont toujours souciés comme d’une guigne de ces problématiques) dans vos rangs, pour mieux décrocher « d’urgence » un entretien avec Fleur Pellerin4. Dans cette façon d’affirmer « [votre] fraternité et [votre] détermination après l’attaque contre des journalistes de Charlie Hebdo » pour mieux enchaîner immédiatement : « Mais, au-delà de l’émotion, il faut plus que jamais : [blablabla… des thunes…. blablabla….]. » Tranquilles, les gens ? L’indécence se porte bien ? Il y a quelqu’un de la Coordination permanente des médias libres et du journalisme de résistance (mazette, ça ne rigole pas !) qui s’est dit, Tiens, faisons un communiqué de solidarité avec les morts de Charlie Hebdo, et puis on enchaîne direct sur les problèmes de la presse indépendante, y’a moyen de décrocher un chouette rencard avec la ministre, et ça ne dérange personne, tout le monde signe ?
Ça sonne quand même un peu beaucoup comme de la retape de bas-étage, hein. Difficile de faire pire. Sauf à sortir une ligne de mugs et de ronds de serviette siglés « Vive l’indépendance de la presse libre ! (Les morts de Charlie Hebdo et le ministère de la Culture approuvent ce message) ». Vous n’y avez pas songé ? Pas encore ? Alors, l’idée est à vous, c’est cadeau. Ne nous remerciez pas, on fait ça pour « la liberté d’expression et de la presse ». En ces temps d’Union sacrée partout proclamée, elle est précieuse…
Notes:
1 Pour l’instant, parce que la liste des signataires s’allonge.
2 Et parmi les signataires, des ami-e-s et/ou des gens dont on respecte le travail.
3 Même s’il y a beaucoup à dire sur cette Coordination permanente des médias libres et du journalisme de résistance, qui est très loin de faire l’unanimité. Invitée à la rejoindre, A11 a décliné. Ainsi – entre autres – que La Brique, qui en parlait fort bien ICI.
4 Dans le texte : « Nous demandons à être reçus d’urgence par la Ministre de la Culture et de la Communication pour faire valoir le point de vue des médias libres et citoyens sur les réformes qu’elle dit maintenant vouloir engager. »
http://www.article11.info/?T-as-pas-cent-balles-Fleur-C-est