Quelques réflexions après la manif du 22…
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Local
Thèmes : RacismeRépressionResistances
Lieux : Nantes
Je ne me retrouve pas plus dans le discours de ceux que l’émeute fait « triper » que dans celui des « colombes ». Non, pas plus à Notre-Dame qu’à Sivens, nous ne sommes en zone de guerre. Et tant mieux. Cela ne veut nullement dire que le déploiement policier sur ces zones, que l’équipement utilisé ne soient pas significatifs ; cela veut dire que l’État démocratique bourgeois n’est pas encore entré dans une phase critique qui nécessite un recours systématique à des formes radicales de répression de masse. L’État français n’est pas l’État turc (kémaliste ou islamiste) ou l’État mexicain (priiste ou non). Il gère et fixe des limites à ses troupes, en croisant les doigts pour qu’elles respectent son cahier des charges. C’est pour cela que l’on parle encore de bavures : la bavure n’est pas son pain quotidien mais le symbole de son échec à maintenir l’Ordre1. Ce sont les Etats faibles qui tuent, parce que leur pouvoir repose sur leur capacité à faire peur.
Un tract intitulé « Contre la violence d’État, solidarité et résistance ! » a été diffusé samedi2. Les auteurs expliquent que la brutalité croissante des forces de l’ordre est liée à la « volonté réfléchie de l’État de soumettre l’ensemble de la société aux intérêts du patronat ». C’est vrai mais à mes yeux insuffisant. Je pense que la brutalité croissante des forces de l’Ordre est liée avant tout au fait que les résistances au monde tel qu’il va sont de plus en plus fortes et « désarçonnantes » pour les gestionnaires de l’Ordre. Le pouvoir sait gérer une lutte ouvrière, même radicale. Il sait qu’il y aura des périodes de tension, peut-être des heurts et des dégradations mais qu’à la fin, il sera trouvé un compromis sur le nombre de licenciés, de reclassés, sur l’envergure du plan de sauvegarde de l’emploi. Mais dans le cas de Notre-Dame des landes ou de Sivens, pas de compromis possible : c’est aéroport ou pas, barrage ou pas. Et comment sécuriser des zones rurales qui s’étendent sur des hectares ? Comment affronter des formes d’action bien loin des traditionnels défilés urbains ? Comment faire face à des militants déterminés qui osent assumer un rapport de force musclé et qui, surtout, sont organisés pour cela ? Là, sur ces terrains-là, face à cette adversité-là, parce qu’il ne peut y avoir qu’un gagnant et qu’un perdant, l’État balbutie son bréviaire répressif.
Violence, non violence ? Ce débat n’a pas de sens. L’Inde n’est pas devenue indépendante grâce à la non-violence gandhienne mais parce que pratiques de désobéissance civile et émeutes sociales ont fini par contraindre la puissance coloniale britannique à se retirer. La condition noire aux Etats-Unis ne s’est pas améliorée (pour les classes moyennes essentiellement) parce que Martin Luther King était un prêcheur charismatique de talent, mais parce que son discours et celui porté par les Black Panthers ont fini par fragmenter le « camp des blancs », obligeant celui-ci à promouvoir un nouveau compromis ethnico-social. Les projets d’aéroport et de barrage sont actuellement en « stand-by » parce que résistances institutionnelles et radicales ont trouvé jusqu’à aujourd’hui encore un modus vivendi.
Combien étions-nous ce samedi-là dans les rues de Nantes ? Je ne sais. A un moment, j’ai pris un chemin de traverse pour retrouver la tête de cortège au niveau de la Préfecture, là où des échauffourées eurent lieu, parce que pour la première fois les manifestants pouvaient être en contact avec les robocops3. J’ai trouvé cette balade significative. Là, rue du Calvaire, cours des 50-Otages, les citoyens sans aucun doute honnêtes vaquaient à leurs occupations, les bras chargés de paquets, alors qu’à quelques centaines de mètres, le canon à eau entrait en action. C’est à cela je crois que l’on peut mesurer la qualité d’un dispositif politico-militaire en régime démocratique bourgeois : quand il contient la contestation sociale en périphérie du royaume de la marchandise.
Notes
1. Je n’ai jamais été convaincu par le discours de ceux qui considèrent que les bavures commises lors d’affrontements politiques et sociaux, et celles qui sont la conséquence d’interpellations « qui tournent mal » sont de même nature. A la différence des premières, la xénophobie et le racisme de classe sont bien souvent au coeur des secondes. Et, que je sache, lorsque ces bavures provoquent des mouvements de protestation violents, ceux-ci ne provoquent pas d’autres morts. Faire le distinguo entre ces deux formes de « crimes d’Etat » ne signifie pas qu’il ne faille les lier dans une même opprobre et un même combat.
2. Tract disponible à cette adresse.
3. Lors du défilé, les robocops bloquaient les accès aux rues menant au centre-ville, mais ils étaient systématiquement en retrait d’une cinquantaine ou centaine de mètres. Hormis du côté de la Préfecture, il n’y eut qu’un seul endroit où ils furent à un jet de pierre des manifestations : sur la place devant l’ancien palais de justice. Et là, quelques projectiles ont fusé…
Texte ayant tourné avant la manif ci dessous histoire de remettre les pendules à l’heure. Si le but d’une manif c’est de casser du flic quand, les forts en gueule organiseront ils le grand soir ?
Je faisais partie de l’orga et nous avons été présents jusqu’au bout. Nous n’avons pas lâché certains « en pâture » comme le dit nantes Révoltée, à chacun sa stratégie. La notre était de vaincre des peurs, de s’unifier, d’être solidaire contre les violences policières et pas d’en créer.
Le texte : TOUTES ET TOUS À LA MANIFESTATION DU 22 NOVEMBRE
Face au déchainement de la répression étatique et des violences policières qui cherchent à museler la résistance et le droit de manifester dans un espace public, nous appelons à reprendre la rue le 22 novembre.
Cette initiative, lancée depuis l’automne, par des comités locaux anti-aéroport, suite aux incessants procès de participantEs à la manifestation nantaise du 22 février, résonne singulièrement avec l’actualité de ces derniers jours et le drame du Testet.
Nous voulons, par cette initiative, dénoncer deux choses. D’abord l’usage d’armes mutilantes et mortelles par la police dans le cadre des manifestations, dans des villes mises en état de siège par des arsenaux comme canons à eau, rues bloquées par des grilles, vidéo-surveillance des cortèges, etc… Ensuite l’acharnement des tribunaux via une justice d’abattage qui condamne les opposantEs, en appuyant les convictions des juges sur les fichiers de la DGSI, police chargée de surveiller les mouvements politiques d’opposition.
Le déroulement de cette manifestation consistera à déposer des lettres d’auto-dénonciation qui seront remises au procureur pour exprimer notre solidarité avec les personnes condamnées et refuser ainsi la stigmatisation des opposantEs aux décisions de l’Etat.
SOYONS CRÉATIFS ET CRÉATIVES POUR MONTRER NOTRE DÉTERMINATION !
Le collectif d’organisation de la manif du 22.11 considère qu’il y a un enjeu très fort à reprendre la rue en masse, à ne pas la laisser à la police. Et cela passe par le fait de vaincre la peur collective qui s’est installée ces derniers jours, suite à l’accumulation de blessures, mutilations, incarcérations et tabassage médiatique.
Nous ne condamnons pas les expressions de colère, surtout suite au meurtre de Rémi, mais nous considérons que les affrontements avec la police et la casse participent à faire monter la tension de telle façon que tout un tas de gens ne se sentent pas à l’aise pour retourner manifester, ou bien n’en voient plus l’intérêt stratégique.
Nous proposons donc à toutEs les participantEs à la manif d’apporter des idées nouvelles pour instaurer un climat de confiance, et donc de considérer comme un enjeu de s’abstenir de répondre aux provocations des flics ou s’en prendre aux biens matériels.
Il ne s’agit pas là de porter une critique idéologique sur ces actes mais bien d’une volonté stratégique de reprendre la rue en masse à cette occasion.
Le collectif d’organisation de la manifestation, composé des membres de comités locaux contre le projet d’aéroport, de collectifs anti répression, de membres de différentes associations et d’individuEs