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J.COOK : UN PARC ISRAELIEN, LEÇON DE L’HISTOIRE OUBLIEE

lundi 16 mars 2009 – 06h:32

Jonathan Cook
The National

« Petit à petit, nous croyons que les Israéliens peuvent être amenés à comprendre que leur Etat existe au dépend d’un autre peuple. Seulement alors, les Israéliens seront susceptibles d’être prêts à penser à faire la paix. »

Parc Canada, Cisjordanie. Comme le printemps arrive de bonne heure, les Israéliens se trouvent à venir en masse dans l’un des sites de loisirs les plus appréciés du pays. Les visiteurs du Parc Canada, à quelques kilomètres au nord-ouest de Jérusalem, jouissent de panoramas de toute beauté, de sentiers forestiers, de pistes VTT, de grottes et d’aires de pique-nique idylliques.

Toute une série de panneaux les informent de l’importance historique de ce paysage, et de quelques bâtiments anciens, évoquant leur passé biblique, romain, grec et ottoman. Peu de visiteurs, s’il y en a, font attention aux blocs de pierres qui recouvrent certaines parties du parc.

Mais Eitan Bronstein, le directeur de l’organisation Zochrot (Se souvenir) s’est engagé à éduquer les Israéliens et les visiteurs étrangers sur le passé que l’on cache de ce parc : son histoire palestinienne.

« En fait, même si vous ne vous en rendez pas compte, rien dans ce parc n’est même sur le territoire d’Israël, » déclarait-il à un groupe de quarante Italiens lors d’une visite guidée le week-end passé. « Ce parc est en Cisjordanie, envahie par Israël durant la guerre de 1967. Mais la présence des Palestiniens ici – et leur expulsion – est totalement absente des panneaux. »

Zochrot, géré par des Israéliens et financé par des donateurs particuliers, cherche aussi à rappeler la Nakba [la catastrophe – ndt] aux Israéliens, ce déracinement de centaines de milliers de Palestiniens durant la création d’Israël.

Ces visites par Zochrot ne sont pas prisées par la plupart des Israéliens car, dit Mr Bronstein, elles leur suggèrent à quel point ils sont loin de comprendre quel compromis territorial est nécessaire pour arriver avec les Palestiniens à l’accord de paix actuellement promu par la nouvelle administration US.

Un bâtiment impressionnant, à peu de distance à l’intérieur du parc et qu’on signale comme thermes romains, est tout ce qui reste de reconnaissable du village palestinien du nom d’Imwas, lui-même construit sur les ruines du village biblique d’Emmaüs.

Il y a des traces de cimetière et aussi des vestiges épars de maisons du village, un café, une église, deux mosquées et une école.

Les 2 000 Palestiniens qui vivaient ici, avec les 3 500 habitants de deux autres villages, Yalu et Beit Nuba, ont été expulsés quand l’armée israélienne a pris à la Jordanie cette partie de la Cisjordanie.

Aujourd’hui, ils vivent avec leurs descendants comme des réfugiés, la plupart à Jérusalem-Est et près de Ramallah.

A la place de ces trois villages, un parc a été créé par une organisme sioniste international, le Fonds national juif, qui a versé 15 millions de dollars US (Dh55m) venant de dons caritatifs de juifs canadiens.

L’entrée du parc n’est qu’à une minute de voiture de l’autoroute la plus fréquentée du pays qui relie Jérusalem à Tel-Aviv.

Des parcs semblables, dans tout Israël, ont été créés sur les ruines de villages palestiniens mais, dans leurs cas, leur destruction résulte de la guerre de 1948 qui a instauré Israël. Ilan Pappe, historien israélien, se réfère à cet effacement massif de l’histoire palestinienne en parlant de « mémoricide » organisé par l’Etat. (*)

Mais le Parc Canada est un site bien plus sensible pour Israël car il se trouve en dehors des frontières internationalement reconnues du pays. L’expulsion des habitants palestiniens, dit Mr Bronstein, fut un acte prémédité de nettoyage ethnique de villageois qui n’ont opposé aucune résistance.

« Nous avons des photos montrant l’armée israélienne en train de procéder aux expulsions, » dit-il à un groupe de touristes, tenant levée une série de vieilles cartes.

Yosef Hochman, photographe professionnel, a saisi des scènes représentant des colonnes de Palestiniens fuyant et portant sur la tête leurs biens qu’ils avaient pu emmener, avec des officiers de l’armée discutant avec une vieille femme qui refusait de quitter sa maison et des bulldozers en mouvement pour détruire les villages.

Selon Mr Bronstein, ce déchaînement de destructions peut s’expliquer par l’échec de l’armée israélienne pendant la guerre de 48 à s’emparer de cette zone qui s’avance en saillie dans ce qui est aujourd’hui Israël et qu’on appelle le Latrun Saillant [à mi-distance entre Jérusalem et Tel-Aviv, presque sur l’autoroute – ndt].

« En 1948, les commandants israéliens considéraient la conquête du saillant comme vitale pour élargir le couloir de sécurité de Tel-Aviv à Jérusalem. Ils étaient désespérés de devoir y renoncer quand, en 1967, ils eurent une deuxième occasion. »

Uzi Narkiss, un des principaux généraux de la guerre de 1967, avait fait le serment que le Latrun Saillant ne serait jamais rendu. Des organisations comme Zochrot soutiennent que la création du Parc Canada a été la manière pour Israël d’annexer en douce ce territoire.

Depuis 2003, Mr Bronstein demande que le Fonds national juif ajoute des panneaux supplémentaires mettant en évidence l’histoire palestinienne du parc.

Les thermes romains, note-t-il, ne sont visibles que parce que les fondations ont été mises à jour ultérieurement. Pendant des siècles, la structure – tombeau d’Obeida Ibn al Jarah, guerrier arabe ayant participé à la conquête de la Palestine au 7è siècle – a été un lieu saint important des Palestiniens.

Le Fonds national juif et l’Administration civile, le gouvernement militaire en Cisjordanie, n’ont accepté de poser deux autres panneaux marquant le centre des villages d’Imwas et Yalu qu’après que Zochrot n’ait saisi les tribunaux. Cet acte de transparence a néanmoins été de courte durée. Après deux jours, le mot Imwas était recouvert de peinture noire, et peu après les deux panneaux avaient disparu.

« On nous a dit que c’était probablement des ferrailleurs qui avaient volé les panneaux, » dit Mr Bronstein. « C’est un peu difficile à croire, étant donné que les tableaux officiels tout près sont toujours là aujourd’hui. »

Zochrot envisage d’élargir sa campagne et d’alerter les donateurs canadiens en leur disant que leur argent sert en réalité – et en violation du droit international – à annexer une partie de la Cisjordanie au profit d’Israël. Selon Mr Bronstein, beaucoup d’entre eux ne sont pas conscients de l’utilisation réelle de leurs dons.

Il se prépare à saisir à nouveau les tribunaux contre le FNJ pour exiger que celui-ci remplace les panneaux disparus et qu’il pose des panneaux similaires dans les parcs d’Israël pour commémorer les villages palestiniens rasés par l’armée après la guerre de 1948.

Selon Zochrot, 86 villages palestiniens sont enfouis sous les parcs du FNJ. 400 autres villages détruits ont vu leurs terres transmises exclusivement à des communautés juives.

Plusieurs centaines de militants de Zochrot sélectionnent régulièrement un village détruit et vont, avec des réfugiés palestiniens, placer des panneaux faits par eux-mêmes et qui indiquent le nom du village palestinien en arabe et en hébreu. En quelques jours, les panneaux sont enlevés.

Mais Mr Bronstein dit qu’il croit que même les panneaux montés par les organismes officiels pourraient avoir un plus grand impact pour ouvrir l’esprit des Israéliens.

« Dans une récente interview dans la presse, un haut responsable du FNJ a reconnu qu’il serait difficile d’arrêter notre campagne » dit Mr Bronstein. « Petit à petit, nous croyons que les Israéliens peuvent être amenés à comprendre que leur Etat existe au dépend d’un autre peuple. Seulement alors, les Israéliens seront susceptibles d’être prêts à penser à faire la paix. »

(*) – Voir « Le nettoyage ethnique de la Palestine » – Le mémoricide de la Nakba – d’Ilan Pappe, p. 293 (Fayard) :

« Bref, la véritable mission du FNJ a été de cacher ces vestiges visibles de la Palestine, par les arbres qu’il a plantés sur eux mais aussi par les récits qu’il a créés pour nier leur existence. […] continue à débiter les mythes familiers de ce récit – la Palestine comme terre « vide » et « aride » avant l’arrivée des sionistes – par lesquels le sionisme entend remplacer toute vérité historique qui contredit son propre passé juif inventé. »

(JPG) Site de Jonathan Cook : Je suis un journaliste britannique basé à Nazareth, en Israël. Mon site présente mes articles sur le Moyen-Orient qui sont publiés dans des journaux internationaux de langue anglaise et arabe et dans des publications revues spécialisées depuis 2001.