Pourquoi si peu de collectifs antifascistes bretons ont participé à la campagne Désarmer Bolloré ?
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Le texte suivant a été écrit en prévision d’une AG appelée le 6 septembre dernier en Bretagne par des personnes qui avaient participé à l’organisation de l’action Lever les voiles contre l’empire Bolloré. Ce RDV avait pour ambition de créer une AG régionale antifasciste interpersonnes et collectifs. Nous avons écrit ce texte et l’avons distribué au début de l’AG pour exprimer des critiques vis-à-vis de la campagne Désarmer Bolloré et poser les conditions préalables à une nécessaire lutte commune contre le danger fasciste. A l’issue de cette AG, nous avons ensemble donné RDV à toutes les personnes et collectifs qui souhaitent s’investir contre le fascisme pour une AG régionale antifasciste bretonne le 11 octobre à 10h à Saint-Brieuc à la Maison du temps libre (6bis rue Maréchal Foch).
Nous (G.A.R.B.A, Groupe Révolutionnaire Brest et Alentours, Collectif Antifasciste du pays de Quimper, C.V.A 22, Comité de Vigilance Antifasciste 22) considérons que la campagne Désarmer Bolloré pose certains problèmes sur la forme et sur le fond d’un point de vue antifasciste et révolutionnaire. Ce texte, critique de certaines pratiques et stratégies des Soulèvements de la terre, porte aussi des propositions qui visent à renforcer la lutte que l’on mène en commun contre le fascisme.
Sur la forme
En tant que révolutionnaires, on pense que Marx avait raison quand il disait que « l’émancipation des travailleur.euses serait l’œuvre des travailleur.euses elles et eux-mêmes ». Pour nous ce n’est pas un slogan ou un horizon, c’est un chemin et une méthode. Nous pensons que toute personne devrait pouvoir participer aux grandes orientations stratégiques. Et que si, pour des raisons d’efficacité/de coordination/d’urgence/de sécurité, la prise de certaines décisions peut être confiée à un nombre restreint de personnes, cela ne peut se faire que dans le cadre de mandats clairs, limités et révocables.
Or ce n’est pas du tout sur ces bases que s’est construite la campagne Désarmer Bolloré. Elle a été pensée par quelques personnes au sein des Soulèvements de la terre et a été communiquée au mois de juin 2024 dans l’appel à un soulèvement antifasciste. Ce n ‘est qu’une fois cette campagne lancée que les organisations et collectifs étaient invité.es à s’y associer. En Bretagne, des collectifs antifas ont été invités à participer à une AG (seulement à l’hiver 2024) pour préparer une campagne d’actions mais la cible, les dates, les mots d’ordre, la com’ étaient déjà ficelées, il nous était juste proposé d’être des exécutant.es mettant en œuvre localement une campagne pensée par d’autres (1).
Une culture de la délégation
Certes, cette initiative encourage une forme d’auto-organisation à l’échelle locale, mais l’amplitude de ce sur quoi on nous laisse nous organiser est très faible : choix des cibles parmi la galaxie Bolloré et de la manière de s’y attaquer localement. Il est vrai que ce genre d’actions directes de masse antifasciste portée par une campagne de communication conséquente permet de toucher et d’impliquer beaucoup de monde, mais pourquoi ne pas proposer à toutes ces personnes de penser ensemble la stratégie (et choisir la cible) plutôt que de les impliquer uniquement quand il s’agit de la mettre en œuvre ? Cela renforce une culture de la délégation sur le plan stratégique. Les grandes décisions ont été prises par d’autres, sans que l’on sache où et quand, donc sans qu’il soit possible de les remettre en question. Pourtant, nous pensons que le choix de Bolloré comme cible prioritaire est questionnable d’un point de vue antifasciste (voir plus bas).
À l’inverse, nous pensons que l’auto-organisation ne se limite pas à des tâches logistiques (préparer la bouffe, trouver des bateaux pour l’action, trouver un lieu pour l’événement, penser le soin…), même si celles-ci sont essentielles. C’est l’ensemble de notre classe qui doit prendre en main les questions stratégiques (2), se forger une opinion lors de débats ouverts entre différentes propositions et faire ses choix.
Pourquoi ne pas soutenir les initiatives existantes ?
Pourquoi les Soulèvements n’ont pas mis leur force de frappe communicationnelle et organisationnelle et leur réseaux au service de cadres antifascistes et antiracistes existants pour les renforcer (ou alors d’en créer un autre, réellement ouvert dès le départ si ceux-ci ne leur convenaient pas) ? La marche des Solidarités par exemple développe depuis des années un cadre antiraciste et antifasciste large et ouvert dans lequel toute personne ou collectif qui le souhaite peut contribuer à l’élaboration du cadre. Pourquoi Les Soulèvements de la terre ont construit un nouveau cadre antifasciste plutôt que de renforcer celui-là ?
Pourquoi la campagne Désarmer Bolloré ne relaie que rarement sur ses réseaux les actions antifascistes portées par d’autres, même quand cela leur est explicitement demandé ?
Comment faire confiance à une organisation (3) qui est critiquée dans le champ de l’écologie pour ses méthodes autoritaires et le fait qu’elle cherche à imposer son agenda à des luttes locales (4) quand celle-ci débarque dans le terrain de lutte antifasciste sans chercher de prime abord à s’organiser avec les personnes et organisations qui y sont investies et coordonnées depuis longtemps ?
Les faits et questionnements rappelés ici nourrissent une certaine défiance vis-à-vis des Soulèvements de la terre au sein du mouvement antifasciste. Cette défiance a fait que la plupart des collectifs antifascistes bretons (par ailleurs très actifs) se sont détournés des cadres proposés par les Soulèvements de la terre et n’ont pas participé à leurs actions. Ces pratiques nuisent donc à nos luttes et nos capacités d’organisation car elles nous divisent. Organiser une AG pour parler de votre campagne contre Bolloré est une chose, organiser une AG qui ambitionne d’être une AG antifa bretonne sans se concerter avec les collectifs qui sont déjà mobilisés sur la question et qui ont des habitudes de travail en commun et de coordination, est plus que problématique. Nous n’avons été consultés ni sur le cadre de discussion et l’ordre du jour (la priorité est-elle vraiment de débriefer l’action Levons les voiles ?), ni sur le lieu, ni sur la temporalité ou encore la création d’une adresse mail.
Pour autant, nous avons besoin de nous organiser ensemble face à l’imminence du danger fasciste. Mais cela ne peut se faire que sous certaines conditions. Nous ne voulons pas d’un espace contrôlé par les Soulèvements de la terre qui sert d’espace de recrutement pour les actions décidées par les têtes des Soulèvements de la terre. Nous souhaitons :
– des espaces d’organisation antifascistes larges et ouverts aux différentes analyses et propositions,
– des espaces où il n’y pas d’un côté les stratèges et de l’autre les exécutant.es – des espaces où les mandats sont clairs et où les personnes explicitent d’où elles parlent- des espaces où l’antifascisme n’est pas qu’une campagne, un sujet dont on ne se saisit que périodiquement.
Bref des espaces où l’antifascisme est réellement l’affaire de tous.tes.x et tout le temps !

Sur le fond
Bolloré est un bon ennemi. Il incarne tout ce que l’on déteste et que l’on combat d’un point de vue anticapitaliste, décolonial, féministe, antiraciste… et chaque dommage qui lui sera infligé sera amplement mérité. Mais la campagne anti Bolloré se présente comme une campagne antifasciste. Et l’objectif de la lutte antifasciste est en premier lieu d’empêcher les fascistes de s’imposer au pouvoir et dans nos rues car cela signifierait l’écrasement de toutes les forces de gauche (même réformistes) et des groupes minorisés. On en a déjà un avant goût avec la progression inquiétante des attaques quasi quotidiennes contre les minorités ou les militant.es. Face à l’urgence, on doit donc s’interroger : Est ce que la campagne Désarmer Bolloré est le meilleur moyen d’enrayer la progression des fascistes ?
Au XXème siècle, le fascisme n’est pas apparu en Italie et en Allemagne parce que des dictateurs un peu plus charismatiques, racistes et autoritaires que les autres ont réussi à galvaniser les foules et agréger les colères. Ils ne sont pas non plus arrivés au pouvoir parce qu’un milliardaire les a financés. Comme le rappelle l’historien qui fait référence sur le sujet, Robert Paxton, la bourgeoisie finançait toutes les alternatives à la gauche. Les fascistes ont été mis au pouvoir par la bourgeoisie qui a fait ce choix en dernier recours face à la menace révolutionnaire et face à des crises économiques et politiques qu’elle n’arrivait pas à juguler par les moyens « démocratiques » habituels.Cela veut dire que, quand la situation sera mûre, quand les capitalistes considéreront qu’ils n’ont pas d’autres choix (et cela pourrait être le cas prochainement), ils se replieront sur l’option fasciste. Cela peut aller très vite. Moins de 3 ans se sont écoulés entre la création des faisceaux de combats et l’accession au pouvoir de Mussolini.
C’est pourquoi lutter spécifiquement contre les milliardaires réactionnaires ne devrait pas être notre priorité pour au moins deux raisons : – leur propagande a un impact limité sur notre camp. Comme l’ont montré les travaux de Vincent Tiberj, l’indéniable droitisation d’en haut (via les médias et les politiques) ne débouche pas sur une droitisation d’en bas, au contraire les français.es sont plus progressistes qu’il y a 40 ans, c’est juste que la société se polarise. – Quand le moment sera venu, les fascistes auront tous les financements qu’ils souhaitent de la part de la bourgeoisie (et ils en ont déjà énormément via leurs bons scores électoraux). La progression des fascistes dépend moins du soutien de quelques milliardaires que de la situation économique et politique. Mais pour que les capitalistes mettent au pouvoir les fascistes, il faut… qu’il y ait des fascistes. C’est à dire une organisation fasciste de masse qui soit capable d’écraser toute révolte et de mettre au pas toute notre classe pour rétablir les profits. C’est pourquoi notre lutte prioritaire en tant qu’antifascistes est d’empêcher les fascistes de s’organiser sur le terrain et dans les institutions pour retirer cette carte du jeu des capitalistes.
Aujourd’hui les fascistes sont forts dans les médias et les institutions mais leurs bases militantes, bien que leur progression et leur violence soient inquiétantes, sont encore numériquement trop faibles et dispersées pour s’imposer dans la rue. Mais cela pourrait vite changer. L’ensemble des forces militantes fascistes réunies représente probablement des dizaines de milliers de personnes. Et c’est sans compter les individus isolés qui n’attendent qu’un signal pour laisser libre cours à leur haine. L’explosion des agressions racistes et homophobes après la victoire du RN aux européennes en témoigne.
Tant que ces forces resteront atomisées, nous pouvons agir et nous organiser. Ce ne sera plus le cas si elles s’agrègent (sous la coupe du Rassemblement National, indéboulonnable maison-mère du fascisme français depuis plus de 50 ans) et se sentent autorisées à passer à l’offensive, comme on a pu le voir dans les émeutes racistes l’été 2024 au Royaume-Uni, et cet été en Espagne.
Toute l’énergie dépensée à combattre Bolloré ne sera pas mise à enrayer la progression du RN et des groupuscules qui gravitent dans son orbite. Nous pensons pourtant que c’est là que se situent les plus grandes menaces. Ce sont les groupuscules qui dès aujourd’hui attaquent et intimident notre camp, et c’est le RN qui peut offrir une traduction politique à ces forces fascistes éparses.C’est pourquoi nous doutons de la pertinence de la campagne contre Bolloré et les milliardaires financeurs du fascisme.
Propositions :
– Pas de fachos dans nos mobilisations le 10 septembre et ensuite. Nécessité de mots d’ordre antiracistes et antifascistes dans ce mouvement
– Pas une apparition publique des organisations fascistes sans riposte de notre part. On ne leur laisse pas la rue
– renforcer la mobilisation du 11 octobre à Saint-Brieuc contre l’islamophobie et la lutte contre le racisme (carburant du fascisme) en général
– Créer des AG/comités de quartier/espaces d’organisation antifascistes localement ou rapprochez-vous des existants
– Penser une campagne dans le cadre des municipales pour empêcher le RN de s’implanter localement (ce qui favoriserait de ouf la progression des groupuscules : accès à des locaux, financements, événements autorisés…), ce qui passerait notamment par empêcher les fachos de tracter
– Renforcer les cadres antifascistes et antiracistes locaux et nationaux existants (AG antifasciste locales, Comités de quartier, Marche des solidarités…)
Collectif Antifasciste du pays de Quimper, Collectif de Vigilance Antifasciste 22, Groupe Révolutionnaire Brest et Alentours.
(1) Lors de l’AG, il a été dit par des membres des Soulèvements de la terre que la campagne Lever les voiles avait été montée conjointement par des comités locaux des Soulèvements et des personnes n’en faisant pas partie et qu’elle était donc autonome des Soulèvements. Il n’empêche que celle-ci a été organisée sous le nom des Soulèvements de la terre Bretagne, utilisait le site des Soulèvements de la terre pour diffuser ses communiqués et a bénéficie de la force de frappe logistique et communicationnelle des Soulèvements. Encore une fois, on nage dans le flou.
(2) Cela n’empêche pas que des organisations politiques réfléchissent de leur côté sur des bases affinitaires et arrivent avec des propositions tant que cela est fait de manière transparente dans des espaces d’organisation ouverts
(3) Un flou est entretenu sur la nature des SDT. Est-ce une coalition d’organisations ou une organisation politique avec sa direction et son agenda propre ? Questionnement développé au début de cette brochure : https://expansive.info/Rien-qu-une-fois-faire-des-vagues-5468
(4) Plusieurs luttes locales ont critiqué les méthodes autoritaires des SDT. Voir notamment :
– la lutte de Stop Micro contre les nuisances de l’industrie de la micro électronique vers Grenoble : https://expansive.info/Rien-qu-une-fois-faire-des-vagues-5468
– la lutte contre les mines dans l’Allier : https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article4269
– la ZAD du carnet : https://zadducarnet.org/index.php/2021/09/04/quand-nddl-se-prend-pour-le-petit-pere-des-luttes-entre-recuperation-et-autoritarisme/

salut indymedia. il y a une des photos où les gens ne sont pas floutés. peut-être à supprimer ?
Merci de la vigilance, voilà qui est fait.