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Tricastin, Romans-sur-Isère :
le week-end où je suis devenu presque négatif.

C’était le vendredi 18 Juillet 2008, dans l’après-midi. J’écoutais les infos à la radio, pas vraiment captivé par le nom du nouveau dopé démasqué sur le Tour de France ou par l’avis de Jack Lang sur la réforme des institutions. Au milieu de ces inepties, une nouvelle retint mon attention : « Après Tricastin, un nouvel incident nucléaire : des rejets d’effluents radioactifs ont été constatés dans une usine exploitée par une filiale d’Areva à Romans-sur-Isère (Drôme) à la suite d’une rupture de canalisation. »

D’ordinaire je ne m’intéresse qu’à des évènements concernant directement Grenoble et sa cuvette, où j’habite. Non que le reste ne m’intéresse pas, mais parce qu’il est plus facile et pertinent d’enquêter sur des sujets proches permettant de s’exprimer – exemples à l’appui – sur des questions globales.
J’ai longtemps perçu le nucléaire comme un thème has been, tout juste bon à remplir les étagères de l’histoire des luttes des années 1970. Jusqu’à ce que j’assiste à une simulation d’accident nucléaire à Grenoble et Fontaine le 8 avril dernier(1). Et que je m’aperçoive que ce sujet est – aujourd’hui autant qu’hier – un des fronts les plus brûlants du conflit entre dominants et dominés.
La répétition des incidents de ce mois de juillet réveilla ma curiosité. Romans est à 80 kilomètres de Grenoble, j’eus envie d’aller y voir de plus près. Le travail ne me laisse que du samedi midi au dimanche soir, mais je me décide quand même et motive un ami pour m’accompagner. On a quelques contacts sur place; en début d’après-midi, nous partons en stop de Grenoble.

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1

J’avais suivi de loin les évènements de la centrale du Tricastin : une fuite dans une cuve le 8 juillet ; 74 kg d’uranium déversés dans les eaux de rivière ; une alerte tardive ; une interdiction temporaire de la consommation d’eau, de la pêche et de la baignade dans les alentours ; la découverte d »irrégularités dans l’exploitation » du site de la Socatri (filiale d’Areva) et sa fermeture partielle; puis la révélation le 15 juillet de traces d’uranium dans les nappes phréatiques proches de Tricastin, dues à l’enfouissement dans les années 70 de déchets radioactifs militaires.

Voici tout ce que les médias en disaient; mais le plus étonnant restait qu’ils en disent quelque chose. En effet – selon les experts – c’était un incident plutôt bénin, classé de « type 1 » sur une échelle de 0 à 7. Selon ces mêmes experts, il y en aurait une centaine de ce type par an en France.
Toujours est-il que les médias – peut-être à cause des erreurs de réaction et de communication des promoteurs nucléaires ou peut-être pour combler le vide de l’information estivale – en parlent à tort et à travers. Et telle chaîne de télévision, tel journal d’y aller de son reportage chez les voisins de la centrale « inquiets » ou chez les agriculteurs « dépités et ruinés » par l’interdiction de pompage d’eau.

Après dix jours de tapage, l’annonce d’un nouvel incident nucléaire à Romans résonne d’autant plus. Dans cette petite ville voisine de Valence, une entreprise, la Franco Belge de Fabrication de Combustibles (FBFC), fabrique – assez logiquement – du combustible nucléaire. Cette filiale d’Areva – le géant du nucléaire – installée ici depuis 1977 est avec plus de 800 salariés, le premier employeur privé de la commune.
Le 17 juillet en fin d’après-midi, des employés découvrent par hasard une fuite dans une canalisation enterrée. Elle transportait des effluents radioactifs d’une cuve d’un atelier de fabrication vers une station de traitement. Les « gendarmes  » de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) relèvent la « non-conformité de la tuyauterie » et s’interrogent sur la date de cette fuite – entre 1997 et 2006 ? – et les quantités d’uranium infiltré dans le sol – entre 200 et 700 grammes ? -.

Devinez quoi ? Cet « incident » a également été classé de « type 1 » et autant Areva que l’ASN ont assuré qu’il était « sans impact sur l’environnement ». Le plus « comique » est que, selon l’ASN, bien qu’il soit du même « type » que celui de Tricastin, selon l’ASN, « de notre point de vue, il n’y a absolument pas de lien avec Socatri [Tricastin] car il n’y a pas du tout d’impact sur l’environnement». Où l’on voit que dans le langage de l’ASN, un même niveau de gravité couvre aussi bien des incidents avec impacts environnementaux et d’autres apparemment inoffensifs.

Si l’on ne peut douter de l’escroquerie que constitue cette « échelle de Richter du nucléaire », on peut en revanche s’interroger sur les stratégies de communication des promoteurs du nucléaire. Pourquoi ne pas avoir dissimulé ces deux incidents, dont le traitement médiatique a suscité une brise de panique dans la population ? Sans doute ne faut-il pas y voir d’erreurs, mais des intentions.
L’État et Areva, leader mondial du secteur, veulent relancer à fond le nucléaire : projets d’EPRs, d’ITER, « diplomatie de l’atome » avec nombre de pays… Le problème, c’est la sinistre image de la filière dans l’opinion, surtout depuis Tchernobyl. Abordez le sujet avec un quidam quelconque : vous aurez beaucoup de chances que la discussion ironise sur le « nuage de Tchernobyl qui s’est arrêté à la frontière » et sur les mensonges des autorités.
L’État et Areva se sont donc lancés dans une reconquête de l’opinion à travers une opération « transparence ». La manœuvre présente deux avantages :
– Noyer les médias et l’opinion sous une pluie d’incidents dont il est difficile de séparer l’insignifiant du grave.
– Donner une image « transparente » à une filière qui – cadenassée par les secrets industriels et militaires – a tout d’opaque, et ainsi la faire passer pour sûre. Exemple : Henri Bertholet, maire de Romans (Daubé, 19 Juillet) : « Le fait que cette anomalie n’ait pas été dissimulée par l’exploitant est rassurant ».

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2

Nous nous faisons rapidement prendre en stop par un quadragénaire assez blasé quant au risque nucléaire qui nous pose à l’entrée de Romans. Ni l’un ni l’autre ne connaissons la ville. Naïfs, nous croyons pouvoir, en quelques minutes de marche, nous retrouver au centre.
C’est oublier que les petites villes sont aujourd’hui avant tout des zones industrielles et commerciales.
Nous voilà donc quittes pour trois quart d’heure de marche sur des petites voies rapides ou grands boulevards, le long de multiples commerces ou entreprises, derrière leurs barrières parfois hérissées de barbelés. Au milieu de ce béton bitumé, édifié pour la voiture reine, apparaissent quelques barres d’immeubles et même quelques humains, courant du coffre de leur voiture à leur hall. Bienvenue à Romans.
Après avoir traversé un immense parking faisant à priori figure de centre névralgique de la ville, nous voilà enfin dans les rues piétonnes, où autant l’architecture ancienne que l’ambiance déambulatoire détonnent avec ce que l’on vient de traverser.

Le frappant, c’est que tout semble normal, comme si de rien n’était. La mairie est fermée et n’affiche aucune information sur l’incident de la veille. Les touristes et les autochtones flânent de glaciers en terrasses. Nous tentons d’en aborder quelques-uns et sommes vite découragés par leur indifférence. Les réactions vont de la confiance aveugle (« ils ont dit qu’il n’y avait pas de risque ») au fatalisme désespérant (« Qu’est-ce-vous voulez qu’on y fasse ? On ne va quand même pas déménager ? ») mais personne ne juge digne d’intérêt de creuser le sujet avec nous.

Les commerçants nous confirment cette indifférence : à part une pharmacienne, ayant reçu deux appels paniqués la veille, aucun n’a eu de discussions avec les clients. Tous sont d’ailleurs surpris que, malgré les trois pages consacrées par le Daubé, personne ne leur en ait parlé.

Dépités, nous nous réfugions boire une bière sur une terrasse et, après avoir épluché la presse locale, essayons de joindre nos contacts : élus, militants associatifs, simples habitants, ou salariés de la FBFC. Échec total : quand il ne s’agit pas de faux numéros, il n’y a personne au bout du fil. Nous errons à la recherche de la Boucherie Chevaline, un lieu associatif, lequel se révèle également fermé.

Le reportage tourne en eau de boudin. Il nous reste dimanche, journée peu propice aux rendez-vous. En partant, je croyais que la situation exceptionnelle faciliterait notre quête, même en week-end. Mais il n’y a pas de situation exceptionnelle, tout est normal : la soudaine manifestation du risque nucléaire n’entraîne aucune altération du quotidien.

En début de soirée, nous rejoignons notre ami « autochtone » qui nous propose une soirée-concert au Festival du Picodon, à une heure de route. Là-bas, à Saou, au coeur de la Drôme, département qui vient de connaître deux alertes nucléaires en 10 jours, personne ne nous parle de radioactivité ni d’aucun sombre sujet. Les enfants, les vieux et des milliers de jeunes fêtards se mélangent dans les rues du village. La bière artisanale coule à flots, et tout le monde paraît heureux.

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3

Deux jours plus tard, le 21 Juillet, on apprend la « légère contamination » de quinze « travailleurs du nucléaire » à la centrale nucléaire de Saint-Alban (Isère). « Les traces de contamination interne relevées sur les personnes sont toutes inférieures au centième de la limite réglementaire », selon la direction de la centrale.
Cinq jours plus tard, le 24 Juillet, on apprend la « légère contamination » de 92 « travailleurs du nucléaire » (salariés d’EDF et sous-traitants) de nouveau à la centrale de Tricastin. « Les traces relevées sur les personnes sont 40 fois inférieures à la limite autorisée de 20 micro Sievert par an par personne; il n’y a aucune conséquence sanitaire ou environnementale », selon le porte-parole d’EDF-Tricastin.
18 jours plus tard, le 7 août, on apprend que le site de la Socatri-Tricastin, suite à une opération de traitement de déchets radioactifs, a dépassé sa limite annuelle de rejet de carbone 14 gazeux. L’Autorité de Sûreté Nucléaire décide de suspendre jusqu’à la fin de l’année toutes les activités de la Socatri rejetant du carbone 14.
34 jours plus tard, le 23 août, on apprend l’existence d’une nouvelle fuite radioactive sur le site du Tricastin, cette fois pour la filiale Comurhex. Selon la préfecture de la Drôme, cette fuite a été « de l’ordre d’un maximum de 250 grammes par an de rejet dans l’environnement, et n’a pas eu d’impact sur celui-ci. »

Vous savez ce que c’est les micro Sievert ou le carbone 14 gazeux ? Et le cancer, ça vous parle ?
Ces normes et ces limites auxquelles vous ne connaissez rien constituent autant de permis de polluer et de contaminer les victimes dans les bornes permises par le rapport de force entre pro et anti-nucléaires.

La stratégie de la transparence à outrance se confirme. Et marche de mieux en mieux car les médias ne montent pas en épingle chaque évènement. Sans doute se sont-ils fait sermonner par Anne Lauvergeon, patronne d’Areva, qui a menacé : « Si à chaque fois que nous sommes transparents, nous provoquons des craintes, il y a un problème. » (Libé, 19 Juillet 2008)

Afin d’éviter ces craintes, l’Autorité de Sûreté Nucléaire a classé ces nouveaux incidents de « niveau 0 ». Les responsables assènent qu’il n’y a « aucune conséquence sanitaire ou environnementale », mais comment les croire ? À quoi correspond cette « limite réglementaire » de contamination par an et par personne ?
Alors que, comme l’affirme un rapport de la Commission Internationale de Radioprotection (CIPR), toute contamination est dangereuse : « Toute dose de rayonnement comporte un risque cancérigène et génétique » (CIPR 1990) ?
Et ces centaines d’autres incidents classés de niveau 0 et 1, sont-ils également « sans impact environnemental et sanitaire »? Par exemple, deux techniciens contaminés après avoir enlevés leurs masques ? Et ces deux opérateurs, n’ayant soi-disant pas « respecté la conduite à tenir », touchés par des poussières radioactives, à qui on refuse l’accès à leur dossier médical (Canard Enchaîné, 23 Juillet 2007) ? N’ont-ils subi aucun impact environnemental et sanitaire ?
Vous y croyez, vous ?

Le nucléaire est une filière plus qu’opaque d’où toute information réelle ne provient que des autorités. Quand bien même les médias feraient leur travail, il leur serait difficile d’obtenir des informations.
Cette opacité – couplée à l’invisibilité immédiate du mal radioactif – explique en partie le fatalisme ambiant vis-à-vis du nucléaire. Comment parler de nuisances invérifiables ?

Du coup, on se bat d’avantage contre les retombées secondaires que contre le nucléaire. Les viticulteurs voisins de la centrale, produisant sous l’appellation « Coteaux du Tricastin », se démènent pour changer le nom de leur AOC. Qui aimerait acheter du vin « Coteaux de Tchernobyl » ?

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4

Le dimanche, les coups de fils ne nous apportent pas plus de succès. Il ne nous reste plus qu’à aller voir l’usine FBFC de plus près.
Retour dans la zone industrielle. Bien entendu, l’usine n’est pas du tout indiquée mais nous finissons quand même par tomber dessus.
L’endroit, désert, ne donne pas vraiment le goût à la flânerie : un enchevêtrement de grilles complété par de gros barbelés et 6 caméras de vidéosurveillance rien que pour l’entrée. Derrière les grilles et les caméras flottent les drapeaux français et européens.

Contemplant ce tableau, je songe aux numéros de La Drôme, le magazine du Conseil Général, feuilletés le matin dans les toilettes de mon ami.
Si l’on croit à ce genre de lecture, on en ressort persuadé que la Drôme est le département de l’agriculture bio et de la « filière bois », des énergies renouvelables et de l’éco-construction, des transports en communs et des voies vertes, de la protection des espèces et des espaces.
Propagande renforcée par l’image d’Épinal d’une Drôme pleine de miel, de villages, de festivals cool, de clairette de Die et de rivières propices à la baignade.

Des pans entiers de la Drôme réelle sont refoulés. La Drôme, son autoroute A7 et ses kilomètres de bouchons. La Drôme, ses champs de manœuvre militaires. La Drôme, son pôle de traçabilité de Valence, où l’on travaille au développement des puces RFID. La Drôme, ses antennes téléphoniques et les cancéreux de Crest. La Drôme, son fleuve le Rhône, surpollué. La Drôme, ses centrales nucléaires, leurs nuages, leurs effluents et leurs déchets. La Drôme, ses usines quadrillées par les barbelés et les caméras.
C’est ça, la Drôme.

Une grosse voix me sort de ma rêverie. Un vigile nous demande ce qu’on fait là. On ne l’avait pas vu venir, lui si. Nous nous présentons poliment en journalistes. Lui en vigile poli décidé à maintenir l’endroit désert. Nous tentons quelques questions sur l’incident, demandons à rencontrer un responsable. Lui nous assure que l’incident « c’était zéro » , que nous n’avons rien à faire là et que nous ferions mieux de déguerpir avant que « les képis rappliquent ».

Tous les 50 mètres du périmètre des 35 hectares de l’usine, une caméra tourne. Derrière l’usine, on passe à côté de champs de maïs et de luzerne, de bottes de foin, d’amas de bois de chauffe et de compost végétal. Étrange sensation que de voir ce décor de campagne aux limites d’une usine nucléaire. Quant aux conséquences de cette cohabitation, allez savoir.

La fuite découverte le 17 Juillet a entraîné – selon les responsables – l’infiltration, entre 1997 et 2008, de 200 à 700 grammes d’uranium dans le sol sous la centrale. À 30 mètres de profondeur se trouve la nappe phréatique qui – selon les mêmes responsables – aurait été épargnée car la molasse du sol empêcherait les infiltrations de la matière. Un collecteur enterré emmène de l’usine à l’Isère des effluents radioactifs qui – selon qui ? les responsables – seraient épurés. Mais comment savoir ? Et si des quantités bien plus importantes d’uranium s’étaient infiltrées dans le sol ? Et si la nappe phréatique avait été polluée ? Et si d’autres fuites existaient ? Et si un certain taux de radioactivité était déversé régulièrement dans l’Isère ? Et si on nous prenait pour des cobayes ou des idiots ?
Non, vous avez raison, ce n’est pas possible.

Le nucléaire est une affaire d’État. La filière a toujours été, est et restera sous secret militaire. À quelques exceptions près, on ne saura jamais la vérité sur les risques. Il n’existera jamais de « nucléaire transparent ». Et cette seule raison devrait suffire à n’importe qui pour s’opposer à l’atome.

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5

Avez-vous lu La Supplication (2) de Svetlana Alexievitch ?
Journaliste, écrivain et dissidente biélorusse, l’auteur a parcouru pendant plusieurs années après la catastrophe les régions sinistrées autour de Tchernobyl. La Supplication parle de la catastrophe comme aucun autre ouvrage, non pas du point de vue technique, mais, à travers les témoignages de victimes.

« Tenter de placer Tchernobyl au niveau des catastrophes les plus connues nous empêche d’avoir une vraie réflexion sur le phénomène qu’il représente. Nous semblons aller tout le temps dans une mauvaise direction. Dans ce cas précis, notre vieille expérience est visiblement insuffisante. Après Tchernobyl, nous vivons dans un monde différent, l’ancien monde n’existe plus. Mais l’homme n’a pas envie de penser à cela, car il n’y a jamais réfléchi. Il a été pris de court.
Mes interlocuteurs m’ont souvent tenu des propos similaires: « Je ne peux pas trouver de mots pour dire ce que j’ai vu et vécu… Je n’ai lu rien de tel dans aucun livre et je ne l’ai pas vu au cinéma… Personne ne m’a jamais raconté des choses semblables à celles que j’ai vécu. » De tels aveux se répétaient et, volontairement, je n’ai pas retiré ces répétitions de mon livre. Je ne les ai pas enlevées non seulement à cause de leur véracité, de leur « vérité sans artifice », mais encore parce qu’il me semblait qu’elles reflétaient le caractère inhabituel des faits. Chaque chose reçoit son nom lorsqu’elle est nommée pour la première fois. Il s’est produit un évènement pour lequel nous n’avons ni système de représentation, ni analogies, ni expérience. Un évènement auquel ne sont adaptés ni nos yeux, ni nos oreilles, ni même notre vocabulaire. »

Contrairement à ce que claironnent ses promoteurs, non, le développement du nucléaire n’est pas « un risque comme les autres ». Michel Destot (député-maire de Grenoble, ancien ingénieur du CEA) :  » le nucléaire est dangereux comme la montagne est dangereuse » (3).
Comme si la mort en montagne, celle d’un Patrick Bérhault (grimpeur fétiche de Michel Destot) en faisant un faux pas au cours d’un défi choisi, présentait la moindre comparaison avec les souffrances subies et imposées de milliers d’Ukrainiens et de Biélorusses.

J’ai lu La Supplication d’une traite, effaré par l’horreur sortant des bouches des victimes et tétanisé par l’ampleur de cette horreur. Comment peut-on, ayant lu ces témoignages, défendre le nucléaire ? En perdant toute sensibilité au profit de mobiles économiques et stratégiques ?
On a du mal à s’endormir après la lecture de ce livre. Me retournant dans mon lit, je ruminais cette phrase de Kundera : « La lutte de l’homme contre le pouvoir est la lutte de la mémoire contre l’oubli. »

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6

Le couple qui nous prend en stop au retour passe par l’autoroute A89 qui relie Romans à Grenoble. Nous traversons des hectares de forêts et de champs de noyers, à jamais dévastés par un ouvrage on ne peut plus inutile. À peine plus rapide que la nationale, très chère, sous-utilisée, toujours financée par le contribuable, l’A89 est l’exemple parfait du scandale autoroutier et la préfiguration du projet d’A51 qui doit relier Grenoble à Sisteron. Tout ce bitume pour faire plaisir aux Chambres de Commerces et d’Industrie et pour mettre les chercheurs du CEA-Grenoble à quarante minutes du pôle de traçabilité de Valence.
Bref.

À propos des derniers incidents, on a beaucoup entendu la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité). Bien que ses travaux soient à priori utiles, sa gestion de catastrophe me laisse pantois. En pleine crise, certains de ses membres se sont rendu à une réunion de la Cigeet (Commission d’Information des Grands Équipements Énergétiques du Tricastin), chipotant quelques points de détails à Areva et au préfet à propos du bilan de l’incident du 8 Juillet. Toute leur contestation fut de réclamer le contrôle des nappes phréatiques des centrales, demande immédiatement acceptée par Jean-Louis Borloo, ministre en charge du développement du nucléaire. Un de leurs responsables est allé jusqu’à se déclarer « agréablement surpris par le délai de réaction dans la communication » (Daubé, 24 Juillet 2008) suite à la contamination de 100 travailleurs du nucléaire au Tricastin.

Peut-on être « agréablement surpris » suite à une contamination ? À quoi bon demander que les failles des centrales soient soignées, de réclamer un nucléaire « plus sûr » si ce n’est pour obtenir un nucléaire « plus durable » ? À quoi cela sert-il de discuter avec les promoteurs du nucléaire quand on prétend s’y opposer ?
En se plaçant dans le rôle du contre-expert, la CRIIRAD place le débat sur le nucléaire autour des questions techniques, dont seuls des « spécialistes » peuvent parler. Les non-spécialistes en sont réduits aux rôles de spectateur ou de supporter.

Face au nucléaire, vaut-il mieux lancer des rapports comme des contre-experts, des scoops comme des journalistes, des roquettes comme cela s’est fait dans les années 70, ou des blagues comme les blasés ?
Que faire ? Je n’en sais rien, et cette ignorance est la première chose que j’ai apprise pendant ce week-end. Me voilà au même point que les manifestants au lendemain de Malville.

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7

Le nucléaire, c’est le triomphe de l’inhumain.
Tel qu’il est paru à Hiroshima et Nagasaki sous sa forme dite militaire. Et tel qu’il se perpétue dans sa forme civile, c’est-à-dire industrielle, hostile à l’environnement et à ses résidents, pour manifester la toute puissance de la technoscience et des nucléocrates.

Pardonnez-moi si je tombe de la dernière pluie, mais je réalise tout-à-coup que la totalité de la population du globe est à tout moment sous l’épée de Damoclès d’une catastrophe nucléaire.
Excusez-moi de découvrir ce qui va sans dire – sans être jamais dit -, mais je me rends compte que l’existence des centrales implique la nécessite d’avoir un corps de spécialistes et de militaires, c’est-à-dire une structure étatique.
Désolé si j’arrive de la lune, mais je comprends soudain que cette nécessité n’aura jamais d’échéance, que nous sommes condamnés au nucléaire à perpétuité, car l’existence des déchets déjà produits entraîne notre prise en otage pour tout l’avenir prévisible. Je comprends soudain que les rêves de vie « libre », « sans État », « en autogestion », sont condamnés à se briser sur ce seul écueil des déchets nucléaires.

Voici jusqu’où va la froide démence des nucléaristes : « Il y a deux ans, le Congrès américain a créé une commission d’experts chargée de développer un langage ou un symbolisme susceptible d’avertir des dangers que représenteront les dépôts de déchets nucléaires américains dans dix mille ans. Le problème à résoudre était de déterminer la façon dont les concepts et les symboles devaient être conçus afin de transmettre un message à des générations qui nous succéderont dans plusieurs milliers d’années » (Ulrich Beck, Le Monde, 6 août 2008).
En France, ils se contentent de chercher des lieux pour stocker les déchets. L’État et l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) ont envoyé une lettre à plus de 3000 maires de communes de l’Est de la France pour leur proposer de devenir « poubelle nucléaire ». L’argument utilisé ? La création d’emplois : « C’est une activité sans risque de délocalisation. Il y a peu d’industries qui possèdent un carnet de commandes assuré pour soixante [NDR : mille ?] ans. » (Le Monde, 26 août 2008)

Le cynisme des manipulateurs est sans limites. Ainsi développent-ils aujourd’hui le nucléaire pour « des raisons écologiques », pour lutter contre l’effet de serre. Ainsi voit-on se multiplier les messages subliminaux comme celui relayé par un sondage du Monde paru le 19 Juillet : « Le nucléaire est perçu comme moins dangereux que le réchauffement climatique. » Ainsi, pendant qu’on s’offense – à raison – du développement nucléaire en Iran, comme si le droit à l’atome valait brevet de vertu ; l’État français est le premier disséminateur de la planète et en vend à tout va dans de multiples autres dictatures ou assimilées. Ainsi existe-t-il même aujourd’hui une « Association des Écologistes pour le Nucléaire ». Fondée autour des thèses de James Lovelock (père de l' »hypothèse Gaia »), elle regroupe des écologistes aussi « prestigieux » que Bruno Comby (auteur de Le nucléaire, avenir de l’écologie, proche de la secte de Montramé) Henri Joyeux (président controversé de Familles de France), ou Vincent Ginocchio (président de « Liberté Chérie », association libérale connue pour ses actions contre les grèves ou les blocages).

L’accélération du développement du nucléaire est l’exemple type de la fuite en avant technologique; où un problème dû à la société industrielle se doit d’être réglé – non pas en s’attaquant aux causes – mais en développant toujours plus cette société industrielle. Alors que pour se borner à la centrale du Tricastin « une grande partie de la production est absorbée par Eurodif, usine d’enrichissement du combustible nucléaire d’Areva NC » (Daubé, 24 Juillet 2008).
Au fait, Eurodif, n’est-ce pas cette usine créée avec les capitaux de l’Iran contre la promesse de lui fournir du combustible nucléaire, c’est-à-dire la possibilité d’avoir « la bombe » ? (4)

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8

En arrivant à Grenoble par la rocade, nous passons devant l’Institut Laue-Langevin, comportant un petit réacteur nucléaire à haut flux. Ici, on ne produit pas d’électricité mais on se sert de la technologie de l’atome pour étudier la matière.

Cet institut est situé sur la presqu’île du Polygone Scientifique, au nord de Grenoble. Ce vaste territoire, pour l’instant quasiment vide d’habitants, fait la fierté des élites grenobloises car il accueille la plupart des institutions scientifiques locales (CEA, CNRS, Minatec, Synchrotron, …). Pour aguicher encore un peu plus les investisseurs, Jean Therme, le directeur du CEA, a convaincu les élus de réaliser le projet GIANT, pour Grenoble Isère Alpes Nano Technologies. Entre autres, il a pour but « d’agrandir le centre-ville sur la presqu’île scientifique », c’est-à-dire d’implanter des milliers d’habitants à proximité de l’Institut Laue-Langevin, qui – je le rappelle – est un réacteur nucléaire. On aurait pu penser que cette proximité pose problème et que les promoteurs du projet s’en préoccupent. Mais plusieurs mois après la présentation de ce projet, ni le CEA, ni la Ville de Grenoble, ni les Verts, ni les médias n’en avaient soufflé mot.
Ce n’était pourtant pas faute d’avoir, dès octobre 2007, pointé le scandale dans plusieurs textes largement publiés (5).

Le 17 juillet 2008, Le Daubé s’interroge « Giant est-il compatible avec les règles de sûreté nucléaire? » en s’appuyant sur un tardif communiqué des Verts, faisant eux-mêmes référence à un avis de l’Autorité de Sûreté nucléaire (datant de mai 2008). Car les Verts et le Daubé sont incapables de repérer un risque s’il n’est pas labellisé par l’ASN.

Dans le monde des apparences, si vous commettez le crime d’exister en-dehors de la scène officielle, peu importe l’intérêt ou la véracité de vos propos, vous ne figurerez nulle part dans la pseudo-réalité. Dans ce pseudo-monde, tous les fantoches se valorisent mutuellement et les journalistes se contentent de tendre le micro aux différents « acteurs » pour recueillir leurs propos convenus.

Le spectacle n’est jamais aussi flagrant que lors des exercices de simulation d’accident nucléaire, comme celui organisé le 8 avril dernier autour de l’Institut Laue-Langevin, à Grenoble et à Fontaine. Une journée de mascarade où les gens sont censés apprendre à réagir « comme il faut » alors que ce « comme il faut » n’existe que dans les cerveaux formatés par la rationalité scientifique et militaire et ignore la réalité des réactions sensibles propres aux humains. Où l’on joue avec le réel en inventant des règles, comme un périmètre de sécurité de 500 mètres autour du réacteur, comme s’il n’y avait aucun risque à habiter à 520 mètres.

Mais, bien entendu, plus qu’un spectacle, le véritable objectif de ces exercices est d’habituer la population à la probabilité de la catastrophe nucléaire et lui faire croire que moyennant sa discipline et son civisme, elle pourrait en limiter les dégâts.

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9

Avez-vous entendu parler des luttes contre les centrales de Chooz, de Fessenheim, de Golfech ou de Plogoff de la fin des années 1970 et du début des années 1980 ? De ces centaines d’actions directes (manifestations, affrontements-barricades, attentats à l’explosif, sabotages,… ) commises autant par des activistes que par de simples habitants, échaudés par la barbarie nucléaire ? (6)

Avez-vous entendu parler de la lutte contre le surgénérateur Superphénix, racontée dans Mémento Malville (7) ? Des nombreux « Comité Malville » un peu partout en France, dont le plus important se situait à Grenoble ? De la manifestation du 31 Juillet 1977, regroupant 60 000 manifestants contre 5 000 gendarmes, sous un déluge de pluie et 2500 grenades à effet de souffle ?
« Jamais avant, et jamais depuis, la contestation ne fut à la fois plus massive et plus radicale. Ce que combattaient les comités Malville au-delà de « l’électro-fascisme », dans la confusion et les contradictions des courants qui s’y croisèrent (gauchistes, pacifistes, écolos, etc.), c’était moins « le risque majeur » (cela viendra avec la régression juridico-technicienne postérieure au rassemblement), que ce qu’on nommerait aujourd’hui : nécrotechnologies, système technicien (Ellul), techno-totalitarisme. »

Non ? C’est logique. Cet immense mouvement conclu dans l’écrasement et le chagrin, fut ensuite refoulé et nié par la plupart de ceux qui y participèrent. On peut aujourd’hui militer dans l’agglomération grenobloise sans en avoir jamais entendu parler.
Le refoulement fut à la mesure de l’investissement dont cette lutte avait fait l’objet. Pour une fois, les militants ne se battaient pas pour « les ouvriers de Neyrpic » ou pour « les Vietnamiens victimes de l’impérialisme », mais pour eux-mêmes, pour préserver leur avenir, leur environnement, leurs rêves de vie libre. Ils se battaient de toutes leurs forces car ils pensaient – à raison – que la mise en service de Superphénix ou des autres centrales nucléaires entraînerait un changement irréversible dans la lutte entre dominants et dominés. Le nucléaire était décrit comme une arme de terreur à la formidable puissance pour les puissants. Au moment de Malville, on était à ce moment charnière où il était encore possible de le battre en brèche et de préserver ainsi ses rêves de révolution et de société heureuse.

Ayant pris acte de la menace, on vit des militants « légalistes », « non-violents » défendre la « légitime défense contre Superphénix », c’est-à-dire le « feu vert à toute action qui peut retarder ou bloquer les travaux, la seule condition étant le respect de l’intégrité des personnes, l’initiative de la violence étant laissée à EDF et ses électro-flics. » On vit un certain Chaim Nissim autodéfini comme « écolo-pacifiste », devenu par la suite député du Parlement genevois, plastiquer des pylônes, incendier des bureaux d’ingénieurs ou tirer à la roquette contre Superphénix, tout ceci aidé par une bande de « babas ».

Le mouvement fut brouillon, éreintant, mais intense aussi, émouvant sûrement. La désastreuse manifestation du 31 Juillet 1977 (voir Mémento Malville), ses retombées et la capitulation devant Superphénix n’en furent que plus écrasantes.
Persévérer aurait impliqué de surmonter la tristesse. La majorité décida donc de ne plus y penser – ou en tout cas de n’en plus rien dire – et de retourner à une vie « normale ». Et voilà pourquoi, nous les jeunes, on ne nous a rien dit.
Certains persévèrent dans la contestation du nucléaire, mais avec des objectifs et un engagement dérisoire par rapport à ceux qui animèrent les Comité Malville. Si le réseau Sortir de Nucléaire a le mérite de faire un travail de veille et de contestation, il patauge le plus souvent dans les pétitions, recours juridiques, ou autres « envois de lettres aux candidats à la Présidence de la République ». À lire ses textes, on se bat aujourd’hui contre « le risque majeur » que représente le nucléaire et non contre le « système technicien » dont il est un des piliers. Et de chipoter des détails techniques sur la sécurité des centrales ou sur la faisabilité d’ITER. Comme si l’enjeu était là.

Quant aux Verts, le « parti de l’écologie politique », s’il se prétend encore hostile au nucléaire – pour ne pas froisser ses électeurs -, il défend bel et bien un « nucléaire durable ». Croyez-vous que ces « héritiers des luttes anti-nucléaires » revendiquent le nécessaire arrêt des centrales ? Non, ils réclament la création d' »une commission d’enquête parlementaire relative à la sécurité des installations électro-nucléaires françaises » afin de « faire des propositions pour améliorer la sécurité des installations » (communiqué du 16 août 2008). À vouloir des places pour « changer le système de l’intérieur », on n’aboutit qu’à faire sa place à l’intérieur du système. Et de troquer ainsi le prestige et la caution d’ex-contestataires contre les fauteuils et les multiples avantages dévolus à ceux qui rentrent dans le système technicien. Mais n’est-ce pas l’histoire des trente dernières années ?

Je me suis souvent dit que j’aurais préféré avoir 20 ans dans les années 1970, en pleine ébullition contestataire. En y réfléchissant à deux fois, je ne crois plus envier ces vies, marquées par l’intensité de belles luttes, mais surtout par d’horribles redescentes, entre amertumes, retournements de veste, oublis, et régressions. Notre chance à nous, qui avons eu 20 ans dans les années 2000, c’est de pouvoir tirer les leçons de ces déchéances.
Mais… rendez-vous dans 30 ans.

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10

Je rentre chez moi un peu blasé. En résumé, ce week-end ne m’aura pas appris grand chose mais m’aura confirmé dans du déjà-vu : le nucléaire menace à perpétuité l’humanité d’une catastrophe aux conséquences définitives, sans que l’individu lambda puisse avoir jamais la moindre prise sur cette menace. Les déchets radioactifs garantissent que l’avenir ne se fera pas sans lui et leur gestion assure le maintien d’une société autoritaire et garni de militaires et de spécialistes. Merci Einstein, Harry Truman, Joliot-Curie, Messmer, De Gaulle, Georges Besse, Néel, Sarkozy, Lovelock, Dubedout, Destot…

Je ne suis pas de ceux qui accusent les plus âgés d’être responsables du monde de la survie. Mais si le nucléaire s’est imposé, ce n’est pas seulement la faute aux technocrates, mais aussi à ceux qui ont laissé faire. Leurs emplois valaient plus que leurs vies. Ils ont vendu leur liberté, leur environnement, leur santé et les fameuses « générations futures » – nous – pour quelques salles polyvalentes, ronds-points et piscines. Aujourd’hui, ils préfèrent traiter de « fous » ceux qui critiquent le nucléaire plutôt que de remettre en cause leur mode de vie énergivore (grille-pains, lave-vaisselle, téléphones portables, chauffage à 23°) et non négociable.

La tête remplie de noires pensées, je songe à une position à laquelle j’ai souvent été confrontée : « Il y en a marre de lire des choses négatives. Vous voulez quoi ? Faire déprimer les gens ? Il faut être constructif. Il faut donner de l’espoir, être positif. »
De nos jours, il est mal vu de « juste critiquer ». Il faut être « en résistance », oui, mais surtout proposer des « alternatives ». Comme le Réseau Sortir du Nucléaire qui se sent obligé d’adjoindre, au slogan « Nucléaire ? Non merci », une tête jaune souriante et un « oui aux alternatives ».

J’aimerais être positif et démontrer pourquoi l’avenir pourrait être radieux plutôt qu’irradié. Hélas chaque jour qui passe me donne d’autres raisons de ne pas espérer. La découverte de la « filière nucléaire » en est une, et non des moindres, et soutenir l’inverse reviendrait à assurer que la Terre est plate. Le nucléaire est une des plus graves défaites des humains face au pouvoir.

Bien qu’étant de tempérament joyeux, refusant rarement de boire un coup et manquant peu de fêtes; le bonheur naïf et les espoirs biaisés m’irritent, même si leur innocence quelques fois me touche. Je ne supporte pas ceux qui, comme Sinsemilia, n’ont rien d’autre à souhaiter que « tout le bonheur du monde ».
En décrivant l’insoutenable lourdeur de la réalité, j’ai peur de casser l’ambiance. Je m’étonne à chaque fois de décevoir ceux qui aimeraient – mais comment leur en vouloir ? – vivre dans le monde des Bisounours. Comme si je devais m’excuser des faits.
Il n’y a plus d’ailleurs à aller, pas de fuite possible. Et ce n’est pas nouveau. Stig Dagerman, 1952 : « Thoreau avait encore la forêt de Walden – mais où est maintenant la forêt où l’être humain puisse prouver qu’il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société ? » (9)

Le désespoir comme seul horizon ? Non, car quand on est lucide sur la situation, les raisons de s’en amuser et de se réjouir ne manquent pas. Les illusions et les faux espoirs sont bien plus déprimants que les vrais constats, si noirs soient-ils.

La possibilité de capituler devant l’adversité et de réduire mes joies de vivre aux parties de coinches, jeux amoureux, improvisations musicales ou balades en montagne ne m’attire pas plus que celle d’être purement négatif ad vitam aeternam.

Reste à trouver les moyens d’exprimer à la fois la violence de mon désespoir et l’ampleur de ma rage. Si je n’attends rien de l’avenir, je brûle d’agir sur le présent. Je refuse de seulement attendre et commenter « la fin de leur monde » (10). Je veux opposer à l’absurdité du monde une absurde résistance.

Benoit Récens
Grenoble, été 2008

(1) http://grenoble.indymedia.org/index.php?page=article&id…=6462
(2) Éditions « J’ai Lu »
(3) http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/Vengeurs_mas…s.pdf
(4) Voir Dominique Lorentz, Une Guerre, Les Arènes,
(5) Voir http://grenoble.indymedia.org/index.php?page=article&id…=5564, ou Giant, un grand pas pour Technopolis sur www.piecesetmaindoeuvre.com
(6) Black-Star éditions, Actions directes contre le nucléaire, 1973-1996, sur www.infokiosques.net.
(7) Simples Citoyens, disponible sur www.piecesetmaindoeuvre.com
(8) Chaïm Nissim. L’amour et le monstre. Roquettes contre Creys-Malville. Ed. Favre.
(9) Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, Actes Sud
(10) Chanson d’Akhénaton, sur l’album Soldats de Fortune