Le syndicalisme-révolutionnaire, n’a jamais été hostile aux partis politiques en soit (confère la Charte d’Amiens). Un parti communiste ou anti-capitaliste peut, en effet, être utile pour développer une propagande révolutionnaire dans la société et inciter les travailleurs à se syndiquer pour mener le combat de classe. Nous constatons que malheureusement les comités du NPA n’ont pas, pour l’instant, pris en charge cette activité qui rappellerait que « le syndicat c’est l’école du communisme ». Bien au contraire, nous avons l’impression que les camarades du futur NPA ont tendance, ces derniers temps, à s’éloigner de la lutte syndicale… au moment où l’on a besoin de troupes pour la bataille dans les entreprises.

Nous vous avouerons même que nous nous inquiétons de la dérive qui accompagne la création du NPA dans certains milieux syndicaux. La constitution de votre parti s’aligne de plus en plus sur le schéma social-démocrate traditionnel : le syndicat organisant les luttes « économiques » et le parti se spécialisant dans les mots d’ordre « politiques ». Cette dérive a pour danger d’enfermer les équipes syndicales dans l’entreprise, dans des logiques corporatistes. Le parti deviendrait alors le lieu de coordination entre les secteurs professionnels, et à vrai dire on ne voit pas très bien comment. Cette vision porte aussi en elle une remise en cause de l’indépendance politique du mouvement syndical, c’est à dire sa propre capacité à produire sa politique. Le danger existe également à voir, à nouveau, le mouvement syndical devenir un terrain d’affrontement entre organisations philosophiques qui viendraient y recruter des militants.

Vous n’êtes pas sans savoir que le syndicalisme de classe n’est pas né de la pensée lumineuse de quelques intellectuels mais de l’expérience interprofessionnelle menée dans les Bourses du Travail puis dans les organisations territoriales de la CGT (UL et UD). Vous n’êtes pas non plus sans savoir que depuis une vingtaine d’années les militants, qu’ils se disent révolutionnaires ou non, ont tendance à fuir le syndicalisme de classe et se concentrer sur leurs revendications de boite. Ils sont, pour la plupart d’entre eux, totalement absents de leurs organisations de classes (UL et UD). Nous ne voyons donc pas très bien en quoi la création d’un parti politique servirait exclusivement de « débouché politique ». Bien au contraire, si l’on suit ce schéma simpliste, cela aurait pour conséquence de remplacer le syndicalisme de classe par des discours virtuels sur la « lutte révolutionnaire ». Il n’y aurait alors aucune pratique réelle si ce n’est des « tracts de boite » sans implication concrète dans les organisations syndicales.

Comme nous l’avons déjà dit, nous ne rejetons pas les organisations politiques. Nous refusons cependant le schéma social-démocrate qui sépare artificiellement « le politique » et « l’économique ». Le capitalisme est un système, un tout en soit et le combat de classe est lui aussi un tout en soit. Saucissonner ce combat de classe c’est prendre le risque de créer la confusion, de favoriser des dérives réformistes et institutionnelles dans la tête des travailleurs. Les débouchés aux luttes d’entreprise ce n’est pas faire élire des révolutionnaires dans les institutions bourgeoises (conseils municipaux, généraux, …). Le seule débouché politique réellement anti-capitaliste c’est coordonner ces luttes de boite dans une démarche interprofessionnelle et construire une contre société ouvrière : mutuelles syndicales, coopératives de production et de diffusion, associations culturelles et sportives ouvrières, éducation populaire,…. Ces deux conditions sont les seules qui peuvent donner un sens à la perspective de la grève générale expropriatrice, puis la construction du Socialisme. Car une classe ne se lance pas collectivement dans la prise du pouvoir si au quotidien elle n’est pas structurée sur des bases interprofessionnelles.

Aucun bilan sérieux n’a été produit sur l’échec des « révolutions » dirigées par des partis politiques (Russie, Chine, Cuba, Nicaragua,…). C’est pourtant la nature même du Socialisme qui est posé à travers un bilan de ces expériences passées. Une révolution socialiste, c’est le parti ou le prolétariat qui prend le pouvoir ? Si c’est la classe, alors c’est à l’organisation de la classe, le syndicat, d’impulser la révolution puis d’organiser la gestion socialiste des usines et des services. Dès 1906, les syndicalistes de la CGT avaient élaboré ce programme révolutionnaire à travers la Charte d’Amiens. Cette stratégie a ensuite été remplacée par un autre modèle, celui du parti qui devait se substituer à la classe. Une multitude d’échecs se sont naturellement produits, discréditant au passage tout projet de transformation socialiste. Une bureaucratie, issue de « l ’avant garde », a remplacé l’ancienne classe exploiteuse. Il n’y a rien d’étonnant à cela puisque le parti révolutionnaire a reproduit le schéma bourgeois selon lequel c’est aux cadres (dénommés « révolutionnaires » pour l’occasion) que revenait la gestion des usines et des services.

Aujourd’hui, les syndicalistes doivent se réapproprier leur stratégie historique et se libérer des visions simplistes issue de la culture capitaliste. Nous comprenons très bien ce qu’il y a de plaisant dans la création d’un nouveau parti . Depuis 20 ans, les syndicats ont perdu bien des défaites dans les entreprises, la lutte y est plus que jamais difficile. Il est donc tentant de trouver des solutions miracles et des raccourcis politiques. Cela apparaît d’autant plus confortable qu’il n’y a pas besoin de combattre de front les bourgeois dans les entreprises. Mais dans la lutte révolutionnaire il n’y a pas de raccourci car la classe ne peut prendre le pouvoir que quand elle dispose des capacités et des organisations qui le lui permettent.

Le syndicalisme de classe passe par un travail de terrain, patient, fait d’organisation et de formation. Mais c’est la seule façon de bâtir sur des bases solides et d’impulser des mobilisations interprofessionnelles. Ce sont ces bases solides qui ont permis les grèves générales de 1919, 1936, 1944 et 1968. Quel rôle ont joué les « partis révolutionnaires » dans ces mobilisations ? Ces victoires n’ont été possibles que grâce à l’existence de sections syndicales fédérées dans leurs Unions Locales et leur fédération d’industrie. Ce ne sont pas les partis qui ont structuré le mouvement mais les réseaux de solidarité qui existaient dans les quartiers, dans les UL. Si ces mobilisations n’ont pas débouché sur la prise du pouvoir par le prolétariat, c’est justement parce que l’on a dit alors aux travailleurs que les partis devaient prendre en main les « perspectives politiques ». La CGT n’a pas pris le pouvoir… et le capitalisme est resté, rénové par l’intégration de partis autrefois révolutionnaires.

Nous pensons comme vous que les révolutionnaires doivent se rassembler. Mais ils doivent le faire dans le cadre de la lutte des classes, aux côtés des autres travailleurs, c’est à dire dans leurs organisations de classe et de masse. Une organisation révolutionnaire doit émerger de la classe et de ses combats. Elle passe nécessairement par la constitution d’un courant syndical regroupant les militants révolutionnaires. Cela oblige ces derniers à assumer leurs responsabilités collectives et à ne pas renvoyer constamment les échecs aux « bureaucraties syndicales ». Les débats politiques doivent se mener au cœur même de l’organisation syndicale avec le maximum de travailleurs et non pas de l’extérieur de façon incantatoire et inefficace.

Depuis des décennies, bien des partis politiques ont tenté, en France et ailleurs, de rivaliser avec le Parti Communiste et de reproduire son influence. Mais c’était oublier que le PC français, tout comme de nombreux autres PC, n’avait acquis son influence ouvrière qu’en 1923 grâce l’adhésion massive des syndicaliste-révolutionnaires de la CGTU. Avant de devenir progressivement un parti institutionnel, le PC était avant tout une tendance syndicale issue de la CGTU. A cette époque déjà, de nombreux syndicalistes ont cru à la nécessité d’un parti comme « débouché politique ». Mais l’histoire a parlé. Aujourd’hui, la confusion est encore plus grande et la culture syndicaliste a perdu du terrain et avec elle les repères de classes naturels. Si les nombreuses luttes sociales ne trouvent pas de débouché ce n’est pas en raison de l’absence d’un parti guide. Des milliers de militants sont désorientés car ils ne disposent pas de la formation et de l’expérience syndicaliste qui leur permettrait de comprendre comment utiliser les outils à leur disposition. Combien de militants savent ce qu’est un « syndicat d’industrie », une fédération, une Bourse du Travail, … ? Quand on veut construire une maison il faut savoir utiliser les outils et les matériaux. Alors comment s’étonner que l’on ne sache pas même monter droit un mur en briques ?

Chers camarades, que vous soyez ou non adhérent à un parti politique, nous espérons vous voir très prochainement à nos côtés dans vos organisations de classes : vos syndicats d’industrie (regroupant tous les travailleurs d’une même branche) et vos Unions Locales. Car c’est là nous réapprendrons l’expérience du syndicalisme de classe.

Nous nous permettons de reproduire la Charte d’Amiens qui sert de fondement stratégique au syndicalisme de classe depuis 100 ans… et que de nombreux militants n’ont jamais lu.

La Charte d’Amiens

Le Congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2, constitutif de la CGT :  » La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat « . Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe, qui oppose sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en oeuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière. Le Congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique : dans l’oeuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc.

Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’oeuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale.

Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait, à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat. Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors.

En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale. Résultats du vote : Pour 830 – Contre 8 – Blanc 1 Amiens, 8-16 octobre 1906, XVe Congrès national corporatif – IXe de la CGT