Ecrire depuis la France, c’est le faire depuis un pays qui demeure dans le déni du colonial ; depuis un pays où le système politico-médiatique a largement donné le point de vue des Israéliens, tout en invisibilisant celui des Palestiniens…

J’ai réalisé en 1976 Frontline, un film sur l’apartheid en Afrique du Sud. Le film n’a jamais obtenu de visa de diffusion en France. Et là, qu’est-ce que j’apprends ! Qu’on veut offrir le film à Mandela quand il viendra en visite officielle en France. Au nom de quoi ? Au nom de qui ? Au nom des gusses qui l’ont interdit pendant vingt ans ? »

René Vautier (Libération, 8 juillet 1998). Cinéaste anticolonialiste majeur – ami de la révolution algérienne – cinéaste français le plus censuré.

La référence à René Vautier ici n’est pas fortuite. Elle invite à la prudence critique. Ecrire depuis la France, c’est le faire depuis un pays qui a un lourd passif colonial et de soutien aux régimes d’apartheid (comme en témoigne la censure du documentaire Frontline). Une grande partie du travail de René Vautier, depuis Afrique 50’ (réalisé en 1950) a été de déconstruire, à son corps défendant et malgré la censure, la propagande qui accompagne le processus colonial. On mettra ici une petite vidéo explicative de René Vautier.

Ecrire depuis la France, c’est également le faire depuis un pays qui demeure dans le déni du colonial ; depuis un pays où le système politico-médiatique a largement donné le point de vue des Israéliens, tout en invisibilisant celui des Palestiniens ; depuis un pays où les hautes autorités politiques se sont alignées en faveur du « soutien inconditionnel » à Israël ; où ces dernières ont toujours soutenu, ou du moins se sont tues devant, les nombreuses enfreintes au droit international et crimes perpétrés par Israël.

Au moment où la rhétorique du terrorisme et de « l’apologie du terrorisme » a été brandie pour étouffer toutes les voix critiques – y compris auprès des universitaires spécialistes du Proche-Orient et du Monde Arabe – on dira, pour notre part, deux convictions que nous avons acquises durant une décennie de terrorisme (90’). Elle se résume en la célèbre phrase du journaliste, romancier et poète algérien, Tahar Djaout, mort le 2 juin 1993 des suites d’un attentat : « Le silence, c’est la mort, et toi, si tu te tais, tu meurs. Et si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs ! ».

Cette formule nous dit deux choses. D’une part, il ne faut pas vivre avec ses peurs. D’autre part, il faut toujours défendre la liberté d’expression.

Plus encore, pour le chercheur critique, il faut toujours faire un pas de côté, ne pas accepter comme allant de soi les narratifs qu’on nous présente comme des évidences, et chercher, sources à l’appui, les éléments qui nuancent ou contredisent la doxa.

On commencera donc par poser ici un document datant du 7 octobre 2023. Il s’agit du statement du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), d’orientation marxiste-léniniste. La propagande israélienne, reprise en France, aux USA et ailleurs, et relayée par leurs intellectuels organiques, ont omis de mentionner dès le départ la participation du FPLP, mais aussi du Front Démocratique de Libération pour la Palestine (de gauche), et d’autres groupes armés à l’attaque du 7 octobre. Ce fait nuance fortement le narratif qui consiste à parler seulement du Hamas (la fameuse guerre « Israël/Hamas »). Ce récit, biaisé, permet de mieux dire la guerre contre le terrorisme, de surcroit islamiste…avec tous les parallèles que cela autorise sur les attentats du 11 septembre, du Bataclan, Al Qaeda et Daesh… La guerre contre le terrorisme : forme de guerre qui légitime les destructions sans limite – comme nous l’avons vu pour l’Irak, et comme nous le constatons actuellement pour Gaza.

Dans sa lettre de démission (28 octobre 2023), Craig Mokhiber, maintenant ex-Directeur du bureau de New York du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme, parle de text book case of genocide – de cas typique de génocideCe terme a été utilisé par de nombreux universitaires et spécialistes du droit international et des droits humains (ici, ici, ici). En date du 17 novembre des plaintes ont été déposées à la Cour Pénale Internationale et aux Etats Unis en ce sens. D’autres plaintes portées par des pays du Sud arriveront bientôt.

Mais le terme « génocide » a aussi fait l’objet de critiques qui situent le niveau d’indécence, voire d’obscénité intellectuelle où se déploie le débat, tout au moins en France. En effet, il y a juste quelques semaines de cela, c’était le mot « apartheid » qui faisait l’objet de polémiques. Au lieu de saisir les alertes au génocide pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire comme des importants signaux qui indiquent cette grande fuite en avant dans la barbarie de la part du gouvernement israélien, certains en sont encore à gloser sur la pertinence du terme. Dans le même moment, les corps continuent à s’amonceler à Gaza. Au 16 novembre l’UNICEF y dénombrait 11 255 victimes, dont 4 630 enfants, ainsi qu’au moins 3200 disparus dont 1500 enfants. Combien de corps soufflés ? Combien sous les gravats ?

Alors qu’Israël avait déjà, en date du 2 novembre, frappé la bande de Gaza avec l’équivalent de deux bombes nucléaires – il n’est pas inutile pour comprendre ce qui se joue à Gaza de citer ce petit passage d’un hommage d’Enzo Traverso à l’intellectuel juif allemand Günther Anders :

« Avec Hiroshima, un nouveau pas était franchi dans ce processus de destruction, sa devise étant désormais : « L’humanité tout entière est éliminable » La société capitaliste moderne atteignait ainsi le stade du « cannibalisme post-civilisé ». Anders soulignera toujours ce rapport d’affinité constitutive, « matricielle », entre les chambres à gaz et la bombe atomique. Dans les deux cas, l’extermination a dépassé le stade de la guerre ; il ne s’agit plus de supprimer un ennemi mais d’éliminer, par un procédé technique, une masse d’individus pour lesquels toute possibilité de résistance est exclue à l’avance. Depuis l’antiquité, toute l’histoire est jalonnée de massacres de guerre qui semblent revêtir maintenant un caractère « humain » à côté des exterminations froides, techniques, sans ennemi et sans résistance expérimentées à Auschwitz et Hiroshima. Autrement dit, « la guerre, en tant que destruction ou anéantissement, n’est plus une action stratégique, mais un processus technique, qui lui enlève son caractère de guerre ». (Traverso, 1995, p. 21)[1]

Il faudrait y ajouter un trop long développement sur l’archéologie de la violence fasciste et coloniale en Palestine. Et sur les collusions entre les fascistes israéliens et ceux aux USA (État responsable des actes terroristes les plus absolus que sont les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki – pour faire le lien avec la citation du haut). On se contentera ici d’un document du New York Times, datant de 1948, signé par des intellectuels juifs de renom, dont Hannah Arendt et Albert Einstein, concernant le massacre de Deir Yassin par ceux qui allaient devenir des hauts responsables de l’Etat d’Israël et qui fondèrent le Likoud (parti actuellement au pouvoir).

Plus que le double standard dans la couverture des événements, dénoncé à juste titre par des journalistes (ici et ici), nous constatons également, depuis le 7 octobre, un cas typique (text book case) de propagande qui accompagne, autorise et légitime les massacres de type génocidaire en cours. Il suffit pour s’en convaincre de s’appuyer sur le décompte produit par l’UNICEF et d’établir un constat à froid : les enfants israéliens constituent 2,75 % des victimes des groupes armés palestiniens (33 sur 1 200) ; les enfants palestiniens constituent 41,1% des victimes de Tsahal (4 630 sur 11 255 en date du 16 novembre, et cela n’est pas définitif). Puis, on mettra cela en parallèle avec la manière dont les groupes armés palestiniens et l’armée israélienne sont dépeints par les responsables politiques du moment, par les grands médias, et les intellectuels organiques.

Beaucoup connaissent la fameuse phrase de Malcolm X : If you are not careful the newspapers will have you hating the people who are being oppressed and loving the people who are doing the oppressing.

Peu savent que Malcolm X avait déjà, en septembre 1964, visité les camps de réfugiés de Khan Younes dans la bande de Gaza.

Palestine : « Un jour pourtant, un jour viendra couleur d’orange »

Yazid Ben Hounet, anthropologue

Nous sommes avec la Palestine ! | Le Club (mediapart.fr)

We stand with Palestine, whether right or wrong – Allegra Lab (allegralaboratory.net)

[1] Traverso, Ezo, 1995, « Auschwitz et Hiroshima: Pour un portrait intellectuel de Günther Anders ». Lignes, 26, 7-33. https://doi.org/10.3917/lignes0.026.0007

https://blogs.mediapart.fr/yazidben-hounet/blog/181123/palestine-terrorisme-genocide-et-propagande