Une pote sonne à la porte du Moulin. Je regarde par la fenêtre et j’aperçois avec elle un homme d’une quarantaine d’années, vêtu d’un imperméable. L’amie, gênée visiblement par sa présence, me demande de descendre.

Je descend ouvrir, prenant soin de refermer derrière moi, pour aller parler à notre invité surprise.

L’homme se présente tout de suite comme policier des renseignements. Avant même d’engager la conversation, je lui demande sa carte de visite, qu’il me tend après avoir également montré sa carte de police.

Laurent C., lieutenant au service territorial du renseignement du Val-de-Marne, enchaîne en demandant si le lieu prévoyait d’accueillir des gens pendant la COP 21 et si nous avions prévu d’y organiser des activités. On lui rétorque qu’on n’a pas l’intention de lui répondre, que nous n’avons aucune raison de lui donner des informations sur ce qu’il se passe dans notre domicile et que nous ne comprenons pas pourquoi le fait d’être un squat impliquait de devoir informer les forces de police sur notre volonté d’accueillir ou non des ami-e-s chez nous.

S’engage une discussion surréaliste au cours de laquelle Laurent C. s’inquiète du fait que nous pourrions accueillir des « Black blocs », vous savez, « des personnes en uniforme noir qui jettent des bombes incendiaires sur les forces de police ». On lui répond qu’on ne voit pas de quoi il parle et que cette catégorie de personnes ne correspondait pas à quelque chose qui existe vraiment, que cette manière de fabriquer des cases est pour le moins caricaturale. On ajoute qu’à notre connaissance, « il y a aussi d’autres personnes en uniforme qui jettent des grenades sur les militants ». Pas très subtile comme réponse, mais on peut bien se permettre un peu de provoc.

Un peu nerveux, Laurent C. veut quand même avoir une réponse et insiste, précisant qu’il veut seulement s’assurer que « nous accueillerons des gens calmes ». Il ajoute aussi qu’il est passé précédemment au Dilengo et au Massicot pour les mêmes raisons et qu’il avait été « bien reçu » (soit dit en passant, il est entré au Massicot sans y être invité, profitant qu’une porte soit ouverte : dans la police, on se sent facilement invité quand les portes ne sont pas fermées à clé). On sait également que les renseignements sont passés au cinéma occupé Avesso la semaine dernière, dans le même but.

Devant notre manque de coopération, il se fait plus menaçant, en disant sans ambages que nous nous exposons au risque de voir des « personnes de chez eux entrer de force dans l’immeuble et tout défoncer » pour vérifier si des personnes violentes se trouvent chez nous. C’est étonnant cette incapacité à dire le mot « policiers » pour parler des siens, comme s’il ne savait pas trop quels types de forces pourraient vouloir défoncer notre porte…

Laurent C. justifie alors cette hypothèse par l’état d’urgence. On lui répond que cette évocation pour le moins étrange pourrait laisser entendre que nous aurions un lien avec les attentats, ce qui est tout à fait absurde.

Face à ces menaces, on poursuit la conversation – parce que c’est intéressant – en évoquant les manifestations interdites, pointant du doigt le fait que c’était une manière d’instaurer un climat tout à fait particulier et que la démocratie prenait tout à coup un air de dictature temporaire qui n’aidait pas à apaiser les tensions. Quand on lui demande pourquoi les manifestations sont interdites, mais pas le marché de noël ou des événements qui rapportent de l’argent, il avoue que « des choix ont été faits ».

On lui précise aussi qu’il y a sans doute plus de gens pacifistes chez nous que dans la police et au gouvernement, et que le modèle de société prôné par Valls, son patron, est sans doute beaucoup plus guerrier que celui auquel on pouvait aspirer nous. Ce à quoi, évidemment, il nous répond en louvoyant que c’est pour nous protéger, blablabla, et que leur principale préoccupation est d’éviter un nouveau bain de sang.

Tout à coup, ce qu’il dit n’a plus aucun rapport avec sa visite impromptue chez nous…

La conversation se termine quand on lui fait remarquer que si l’augmentation des forces de police avait la capacité de nous protéger, l’attaque de vendredi aurait pu être empêchée par l’équipe vigipirate postée 24h/24 à côté du Bataclan depuis l’attaque de Charlie Hebdo. Ce sur quoi Laurent C., vexé, tourne les talons en grommelant « vous direz ça aux 127 victimes de vendredi soir ». On n’a pas osé le reprendre sur le nombre de victimes…

Nous savons maintenant que nos lieux de vie sont sous surveillance. Gare à ceux et celles qui voudraient défier l’état d’urgence !