C’est pourquoi le poids des mots est si important chez les propagandistes du sionisme, qui ont tout mis en œuvre, par médias, politiciens et intellectuels populistes interposés, pour transformer toute forme d’antisionisme, ou même de simple soutien aux Palestiniens, en antisémitisme. Toute critique, allusion ou même plaisanterie concernant le sionisme peuvent donner lieu à des campagnes médiatiques ou des procès. Bientôt, je ne pourrai plus vous parler de mon correcteur orthographique, qui s’évertue, chaque fois que j’écris le mot « antisionisme », à le souligner en rouge et à me proposer à la place « antisémitisme » (authentique !). Une telle plaisanterie pourrait me valoir un procès pour « allusion à un complot juif mondial dans l’informatique ».

Plus sérieusement, tout ça ne devrait pas nous amener à nous justifier en permanence, mais au contraire à dénoncer ceux qui utilisent la calomnie et la langue de bois comme seuls arguments.

Dans un article publié dans « Le Monde » du 19 février 2004 (« Antisémitisme, antijudaïsme, anti-israélisme » [ http://ldh-toulon.net/antisemitisme… ]), Edgar Morin a tenté d’apporter des éclaircissements sur ces termes et l’utilisation qui en est faite. Le vice-président de l’UJFP (Union juive française pour la paix), Pierre Stambul, a fait de même le 10 mars sur le Web. Le point commun de ces deux textes est leur honnêteté et le désir de poser les vraies questions à travers une approche qui reflète les positions et les engagements politiques de leurs auteurs. Un autre texte est paru sur le Web à peu près en même temps sous la forme d’une interview de l’historien Philippe Oriol par l’organisation La Paix maintenant sous le titre « L’extrême gauche, Israël et les juifs » (http://www.lapaixmaintenant.org/L-e… ), mais qui s’en prend plus spécialement au « milieu libertaire », ou considéré comme tel, et nous verrons qu’il est loin de laisser la même impression d’honnêteté intellectuelle.

Pour en revenir à Edgar Morin, ce dernier fait une distinction (que ne partage pas Pierre Stambul) traduisant son souci de ne pas heurter la sensibilité de certains Israéliens, ou même de certains juifs : « Il y a des mots qu’il faut distinguer, comme l’antisionisme de l’anti-israélisme, ce qui n’empêche pas qu’il s’opère des glissements de sens des uns aux autres. En effet, l’antisionisme dénie non seulement l’installation juive en Palestine, mais essentiellement l’existence d’Israël comme nation. Il méconnaît que le sionisme, au siècle des nationalismes, correspond à l’aspiration d’innombrables juifs, rejetés des nations, à constituer leur nation. »

On est là au cœur du problème, car ce n’est pas à mon sens la bonne définition de l’antisionisme. Ce que disent les antisionistes, c’est que RIEN ne justifie la déportation d’un peuple pour en installer un autre à sa place, quels que soient les événements dramatiques que le premier a subis. Ni les pogroms, ni les ghettos, ni la Shoah ne peuvent justifier qu’on en fasse payer le prix aux Palestiniens, qui n’y étaient pour rien, en les transformant à leur tour en peuple paria, en leur prenant leurs biens, leurs terres, leurs ressources, en les traitant comme des sous-hommes. Dans ce sens, en effet, les antisionistes disent que RIEN ne justifie la création d’un Etat comme Israël avec de telles conséquences. Pas plus que l’installation des Européens en Amérique, qui s’est faite au prix d’un génocide, pour ne parler que d’exemples de l’histoire moderne.

Mais ils ne dénient pas « essentiellement l’existence d’Israël comme nation »,tout dépend de leur conception des nations, et plus précisément de l’Etat. Dire que les antisionistes veulent « jeter les juifs à la mer » puisqu’ils ne reconnaissent pas la légitimité d’Israël est une pure affabulation, de même qu’on ne fera pas partir les Blancs d’Amérique : on ne peut pas refaire l’Histoire. Mais on ne donnera pas aux sionistes ce qu’ils réclament : une JUSTIFICATION qui leur permettrait de continuer leur sale boulot la conscience tranquille. Les antisionistes ne luttent pas parce que l’idée d’un Etat juif leur est particulièrement insupportable, mais parce que cet Etat joue sur son prétendu bon droit et la légitime défense pour justifier sa politique génocidaire.

Pouvait-on éviter cette situation en Palestine en ne gardant que la « partie noble » du sionisme ? Bien sûr que non. Le sionisme n’est pas un simple nationalisme, mais une idéologie qui justifie une politique soit coloniale et d’apartheid (si on ne fait pas partir tous les Palestiniens), soit de déportation (la solution finale pour une paix définitive). Les justifications (religieuses ou politiques) sont connues et font largement appel au sentiment de culpabilité des Occidentaux en même temps qu’à leur désir de revanche après un début d’émancipation du tiers-monde.

LES JUSTIFICATIONS

Est-il besoin de s’étendre sur la justification religieuse ? De nombreux Etats se sont imposés au nom de Dieu, mais sans jamais réussir à convaincre leurs victimes.

En l’occurrence, il est difficile d’expliquer aux Palestiniens qu’ils ont eu tort de naître sur une terre que Dieu avait réservée aux juifs. Peut-être pourraient-ils objecter que Dieu, dans sa grande bonté et sa grande sagesse, aurait dû donner à ces derniers une terre inhabitée pour qu’ils puissent s’y installer pacifiquement. Et aussi que, si Dieu avait donné cette terre aux juifs, il la leur avait reprise depuis deux mille ans.

Les arguments religieux ont une constante, ils ont toujours servi à justifier les conquêtes et la domination. C’est tout aussi vrai pour l’Alliance de l’Ancien Testament que pour les deux millénaires de domination chrétienne qui ont suivi (« Dieu le veult ! », « Got mit uns ! », etc.).

L’histoire se répète, mais, dans notre monde occidental, la religion a perdu du terrain au profit de l’idéologie. D’où l’émergence du mythe cynique et détestable d’ »une terre sans peuple pour un peuple sans terre] ». Mais même la crédulité a des limites. Si la Palestine était une terre sans peuple, contre qui les sionistes font-ils la guerre depuis si longtemps ? Cet argument a dû lui aussi être abandonné, car trop simpliste et donc contre-productif.

Il a été remplacé par un autre, tout aussi hypocrite mais qui a permis de gagner du temps jusqu’à la création sur le terrain d’une situation irréversible : « Il y a de la place pour deux peuples qui veulent vivre en paix. » Et d’insister sur le fait qu’Israël a accepté le plan de partage de la Palestine de l’ONU alors que les Arabes le refusaient. Ce qui ne les a pas empêchés d’annexer dès le départ une grande partie de la zone allouée aux Palestiniens et de faire partir plus de la moitié de sa population. Puis d’occuper en 1967 la totalité de la Palestine, en débordant sur la Syrie et l’Egypte.

Mais la version officielle reste que les Israéliens voulaient la paix et que leur expansionnisme n’est que de l’autodéfense. Cette interprétation a été remise en question en Israël même par les « nouveaux historiens », mais elle est pourtant largement diffusée ici dans les médias et la classe politique. Et de toute façon, tout en reconnaissant la responsabilité d’Israël dans l’exode des Palestiniens, l’un de ces « nouveaux historiens », Benny Morris, avoue qu’il aurait préféré qu’Israël « finisse le travai » en 1948 en expulsant toute la population palestinienne.

Après ça, à qui veut-on faire croire qu’Israël se serait contenté du plan de partage de 1947 ? Quand on parle de retour des réfugiés, ou même d’une partie d’entre eux, les sionistes, y compris de « gauche », poussent de grands cris : « Ce serait détruire Israël ! » C’est bien reconnaître que le départ des Palestiniens était indispensable à l’établissement d’un « Etat juif ».

D’ailleurs, qui peut douter un seul instant des buts du sionisme ? Quand on prétend vivre en paix avec un peuple dont on a pris les quatre cinquièmes des terres, on ne commence pas par anéantir ce qui reste avant d’entamer des discussions de paix. Israël ne lutte pas pour sa survie (c’est la quatrième puissance militaire de la planète), mais pour développer son hégémonie sur la région.

Quant à la « nécessité » de construire un Etat juif pour éviter un nouvel Holocauste, je préfère laisser parler Pierre Stambul :

« Au départ, la justification de l’existence d’Israël était que c’était la seule solution pour les Juifs persécutés dans le monde entier. Cette justification ne tient plus. Seule une minorité d’Israéliens a connu ces persécutions. L’arrivée massive des Juifs du monde arabe, des Juifs soviétiques ou l’émigration actuelle correspondent à une autre histoire, celle d’un prétendu « retour identitaire ». […] Le projet sioniste est devenu dès les années 50 un projet de conquête et de peuplement. Pour fabriquer l’Israélien nouveau, il a fallu détruire patiemment le « Juif », l’étranger, le cosmopolite, l’universaliste, l’exilé… Il a fallu liquider les langues de la diaspora. Il a fallu redéfinir le Juif, définition forcément raciale et religieuse. »

DE L’UTILITÉ DE L’ANTISÉMITISME

Mais l’argument majeur pour justifier Israël reste bien sûr l’antisémitisme, qu’on nous ressort quotidiennement jusqu’à la nausée. Par une inversion à leur profit des vieilles théories du complot, les zélateurs du sionisme cherchent à accréditer la thèse d’un complot antisémite, qu’ils utilisent de la même manière que les antisémites (les vrais) avaient utilisé celle du « complot juif ».

-Défense des Palestiniens, critique d’Israël, dénonciation de crimes contre l’humanité = antisémitisme déguisé.

-Article d’Edgar Morin dénonçant les crimes commis par les descendants d’un peuple persécuté = antisémitisme par « glissement sémantique ».

-Sketch de Dieudonné sur les colons israéliens = antisémitisme par assimilation des colons juifs avec l’ensemble des juifs.

Mais ce n’est pas encore assez ubuesque, ils peuvent faire mieux :

-Critique du capitalisme = antisémitisme par allusion à la relation entre les juifs et le monde de l’argent.

Et la cerise sur le gâteau avec Elie Chouraqui à propos du film La Passion du Christ : antisémitisme, car on voit un juif (Judas) compter avec cupidité les deniers qu’on lui a jetés à la figure pour prix de sa trahison. Ce même Chouraqui qui vient de nous régaler, dans « Envoyé spécial », du énième documentaire manipulateur sur la montée de l’antisémitisme en France.

A propos de l’antisémitisme et de son instrumentalisation, voyons ce qu’en dit, là encore, Pierre Stambul :

« L’antisémitisme est un « carburant » fondamental pour la politique de colonisation entamée dès les années 70. Jouant sur le traumatisme réel d’un grand nombre de Juifs, les gouvernements israéliens et, dans la diaspora, les « institutions » censées représenter les Juifs assimilent toute critique d’Israël et tout soutien à la Palestine à de l’antisémitisme. La confusion est entretenue à l’extrême quand on voit par exemple le gala « pour le bien-être du soldat israélien » se tenir dans une synagogue. Comment s’étonner après de retrouver la confusion en face avec des gens qui caillassent une synagogue en croyant défendre les Palestiniens ? […]

Le sionisme […] a besoin en permanence de l’antisémitisme pour justifier la politique israélienne, pour maintenir un flux d’immigration et pour poursuivre la colonisation. Au départ, le sionisme avait pour objectif de faire disparaître l’antisémitisme. Aujourd’hui, il en vit. […] La société israélienne est malade et éclatée. Sa seule cohésion, c’est le fantasme de l’encerclement hostile et de la destruction, c’est l’agitation perpétuelle du souvenir de l’antisémitisme et de la Shoah. Mais là encore il y a à mon sens une escroquerie. Le sionisme n’a aucune vocation à lutter contre l’antisémitisme et n’a aucun droit à récupérer la Shoah. »

Laissons conclure Edgar Morin, qui vient de gagner le procès que lui avaient intenté France-Israël et Avocats sans frontières pour « diffamation à caractère racial » à la suite de ces propos dans « Le Monde » :

« Les juifs d’Israël, descendants des victimes d’un apartheid nommé ghetto, ghettoïsent les Palestiniens. Les juifs qui furent humiliés, méprisés, persécutés, humilient, méprisent et persécutent les Palestiniens. Les juifs qui furent victimes d’un ordre impitoyable imposent leur ordre impitoyable aux Palestiniens. Les juifs victimes de l’inhumanité montrent une terrible inhumanité. Les juifs, boucs émissaires de tous les maux, « bouc-émissarisent » Arafat et l’Autorité palestinienne, rendus responsables d’attentats qu’on les empêche d’empêcher. »

ET LES ANARS ?

Nous ne pouvons que faire un constat accablant de la nouvelle donne mondiale. La pensée unique et la soumission règnent sur le monde. Le prêt-à-penser, unique message diffusé par les médias, a remplacé la réflexion et la critique. Les mots ont perdu leur sens et servent à désigner autre chose, réalisant la vision de George Orwell et l’usage de la novlangue :

La censure c’est la liberté, la guerre c’est la civilisation, la soumission c’est la démocratie, l’occupation c’est la libération, la lutte des classes c’est la théorie du complot, l’apartheid c’est l’autodéfense, L’ANTISIONISME C’EST L’ANTISEMITISME.

Y aurait-il tout de même un petit village gaulois pour résister à l’occupation romaine ? On pourrait penser que c’est dans le milieu révolutionnaire, et plus spécialement chez les libertaires, qu’on va trouver la plus grande résistance. Mais même là l’offensive est lancée.

Témoin ce texte (choisi parce qu’il est sorti en même temps que les deux autres, mais qui n’est pas le seul, loin de là), extrait de « Chroniques pour la paix », où Philippe Oriol est interviewé par un militant de La Paix maintenant (la même organisation qui manifestait à Jussieu aux côtés de BHL, Adler, Finkielkraut, etc., contre le boycott d’Israël, et qui avait refusé de participer au Forum européen parce que trop propalestinien).

On n’est plus là dans la finesse : l’intervieweur ne se donne même pas la peine de faire un rapprochement entre antisionisme et antisémitisme, il emploie uniquement le premier terme, pour lui synonyme évident (à moins que son correcteur orthographique fonctionne à l’inverse du mien) : « nombreux sont les juifs qui militent dans ces courants d’extrême gauche, et pourtant ces courants ont pris des positions antisionistes », « la montée d’un antisionisme de plus en plus affirmé, qui accable Israël de tous les maux et idéalise les Palestiniens », « Comment expliquer la place de plus en plus importante que prend l’antisionisme et cette représentation de la question juive au sein de la gauche extrême ? », etc.

Oriol, lui, ne relève pas la confusion et au contraire y ajoute la sienne en amalgamant la gauche, l’extrême gauche et les libertaires. Probablement en tant que spécialiste des « questions anarchistes », il se contente d’opiner : « j’ai milité avec un petit groupe d’historiens proches de l’anarchisme, mais pas longtemps, car j’ai trouvé justement chez quelques anars un antisémitisme tout à fait insupportable », « Prenons le cas Dieudonné : […] En réalité, ce n’est pas une caricature contre Sharon, mais contre les juifs dans leur ensemble, et pas autre chose ! », « les très récents événements nous prouvent que finalement les choses n’ont pas fondamentalement changé dans ces milieux. Ce n’est pas seulement le cas chez les anarchistes, mais aussi chez les trotskistes, la mouvance altermondialiste, etc. », « C’est un fait, il y a un moment où l’extrême gauche et l’extrême droite peuvent se retrouver… », « cet antiaméricanisme qui n’est même plus primaire, mais primate », « On retrouve aussi cette radicalisation du côté des Palestiniens, ainsi que du côté de certains militants européens, français, allemands, espagnols, etc., qui les ont rejoints pour se battre depuis déjà une vingtaine d’années. C’est tout à fait dramatique. »

Ainsi, par rapport à ce qui se passe en Palestine, aucun écart n’est permis, et le clivage n’est plus entre gauche et droite, entre socialistes et libéraux, entre révolutionnaires et réformistes, mais entre ennemis et défenseurs d’Israël. L’antisémitisme ne concerne plus seulement les antisémites, mais toute forme de soutien aux Palestiniens, même celui provenant de l’extrême gauche et des libertaires, dont on croyait naïvement qu’ils avaient vocation à combattre les injustices. Mais apparemment, les tabous sont plus forts que les injustices.

N’y a-t-il donc aucun espoir face à cet antisémitisme qui pollue jusqu’aux milieux libertaires ? Si, quand même : « Cependant, il y a des militants qui se battent aujourd’hui pour que l’on en finisse avec ces préjugés, comme par exemple Jean-Marc Izrine, auteur d’un ouvrage intitulé « Les Anarchistes du Yiddishland » (Alternative libertaire). Mais le fait qu’il faille publier un tel livre, et qu’un militant soit obligé de retracer l’itinéraire d’un certain nombre de juifs anars afin d’expliquer tout cela à ces militants qui continuent à articuler des bêtises invraisemblables, ce fait même est tragique…« 

La solution existe donc : si les libertaires veulent parler des juifs sans être taxés d’antisémitisme, qu’ils parlent donc du Yiddishland ou de l’affaire Dreyfus, mais qu’ils ne se mêlent pas trop des crimes contre l’humanité commis en Palestine, le dérapage les guette !

Certains ont compris la leçon, puisqu’on trouve dans une certaine presse « libertaire » soit des attaques s’inspirant directement de l’accusation d’antisémitisme déguisé, soit d’autres plus spécialement dirigées contre des camarades qui auraient renié leurs « principes » en soutenant des luttes de libération « non libertaires ».

On comprend mieux que ces gens-là préfèrent parler du passé, puisque l’Histoire se serait arrêtée à la guerre d’Espagne. Leur méthode, c’est d’appliquer l’ »idéologie de la symétrie » pour nier toute lutte qui ne serait pas spécifiquement anarchiste. Il n’y a plus ni victimes, ni bourreaux, ni colonialisme, ni apartheid, ni génocide : il n’y a que deux nationalismes qui s’affrontent, ce qui ne concerne donc pas les anarchistes.

Dans le domaine, le premier prix de stupidité va encore une fois et sans conteste à la CNT-AIT de Toulouse, que tout le monde applaudira bien fort :« L’Etat d’Israël et les dirigeants du mouvement palestinien sont les deux faces d’une même médaille […]. C’est pourquoi nous appelons à la désertion dans les deux camps » (n° 65 du « Combat syndicaliste » de Midi-Pyrénées, novembre-décembre 2000). Confirmé dans leur site : « Nous soutenons tous les déserteurs israéliens ou palestiniens », et par un tract de novembre 2003 de leurs compères parisiens : « C’est pourquoi, aujourd’hui, le STCPP apporte son soutien aux antimilitaristes, déserteurs, objecteurs israéliens et palestiniens. » 

JUDAÏSME ET CHRISTIANISME : L’OPIUM DU PEUPLE 

Pour finir, je voudrais quand même dire quelques mots sur l’antijudaïsme, dont parlent Pierre Stambul et Edgar Morin et dont la définition prête à confusion. Pour les deux, il s’agit essentiellement d’un antijudaïsme chrétien, lié à la persécution des juifs en Europe par l’Église romaine.

Les persécutions quelles qu’elles soient sont naturellement inacceptable, mais il est tout aussi inacceptable d’utiliser une persécution religieuse pour exonérer sa religion de toute critique ou pour en faire un argument politique. On ne peut juger une communauté que sur ses valeurs propres, et non sur les persécutions subies dans le passé.

Pour des militants révolutionnaires et anticléricaux, comme j’ai toujours essayé de l’être, dénoncer une persécution, ce n’est pas adopter les idées des persécutés. Dans ma vie militante, j’ai été amené à combattre l’Eglise catholique parce que son histoire est liée à vingt siècles de domination, de massacres et d’obscurantisme, dirigés non seulement contre les juifs, mais contre les hérétiques, les cathares, les populations des terres nouvelles, les Eglises réformées, etc. Mais aussi parce que je la côtoyais quotidiennement et qu’elle pesait aussi bien sur mes luttes que sur ma vie de tous les jours.

L’objet de mon militantisme n’était pas spécialement cette religion, mais plus généralement l’ensemble des institutions et des systèmes de pensée qui nous oppressent.

Ne pas parler de morale chrétienne, mais de morale judéo-chrétienne, pour bien marquer que les deux religions étaient intimement liées et indissociables dans le fondement de notre idéologie occidentale, ne posait à l’époque aucun problème.

Aujourd’hui, on dirait que le communautarisme a remplacé toute intelligence, au point que des gens considérés comme sérieux (et parmi eux des non-croyants !) en arrivent à débattre sur les responsabilités respectives des juifs et des Romains dans l’exécution du Christ à l’occasion de la sortie de tel film à scandale, ou de l’antisémitisme rampant des premières communautés chrétiennes cristallisé dans la rivalité entre les apôtres Paul et Jacques dans tel débat-feuilleton télévisé sur Arte.

On croit rêver ! Il devient urgent de se réveiller et de savoir de quoi on parle. Et redéfinir un peu les mots qu’on utilise. Entre autres, pour commencer, faire la distinction entre critique et persécution. Des individus, des peuples peuvent être persécutés pour leurs religions ou pour leurs idées sans que cela prouve la justesse de ces dernières ni leur supériorité morale. Et cela ne les place pas au-dessus de toute critique.

L’histoire fourmille de ces retournements entre persécuteurs et persécutés : Eglise protestante évangéliste aux Etats-Unis, juifs dans les territoire occupés, islamistes dans les pays musulmans récemment décolonisés… Se servir des persécutions religieuses pour justifier une politique est aussi dangereux que se servir des persécutions raciales ou politiques. A tous ces tartufes je conseille de méditer cette pensée de Nietzsche : « Toutes les religions sont, au fond d’elles-mêmes, des systèmes de cruauté. »

Partout dans le monde, de véritables progrès n’ont été obtenus qu’en mettant en cause les religions. Il ne faudrait pas que ces manipulateurs nous le fassent oublier.