Quelle reconnaissance, quelle place, pour les jeunes des quartiers populaires dans la démocratie ?

avec la participation de Joëlle BORDET, psychosociologue, membre du Comité central de la Ligue des droits de l’Homme

Joëlle BORDET s’efforce d’associer les habitants au travail qu’elle mène auprès des équipes de professionnels. Cette
démarche l’a amenée à travailler dans des villes très différentes dont Nantes, et sur des sujets qui relèvent toujours de cette question de la préoccupation du territoire, du lien social et du politique.

Ouvrages récents
– Oui à une société avec les jeunes des cités !Sortir de la spirale sécuritaire, Joëlle Bordet, Editions de l’Atelier, 2007, 208 p.
– Quartiers populaires : Dynamiques sociopolitiques et interventions, Pierre Roche, Joëlle Bordet, Loïc Wacquant, et al., Eres,
2011, 294 p.
– Adolescence et idéal démocratique : accueillir les jeunes des quartiers populaires, Joëlle Bordet, Philippe Gutton, Serge Tisseron,
In Press, 2014, 248 p.

Quelles libertés pour construire nos vies ?
Quelle insertion sociale ?
Quelles dynamiques identitaires ?
Quelle égalité d’accès aux droits ?
Quel accueil du pluralisme et de la diversité ?
Quels moyens pour agir avec toutes les citoyennes et tous les citoyens ?…
Et moi,
et nous,
dans tout ça ?

Nous revendiquons le droit de débattre et de nourrir le débat public.

Le premier acteur de la démocratie,
ce sont les femmes et les hommes qui vivent dans notre pays.

La Ligue des droits de l’Homme est très inquiète du contexte et des termes du débat électoral qui s’engage. Le contexte c’est la peur, le chômage, l’évolution climatique, le pouvoir économique et financier qui domine le pouvoir politique. Les termes, ce sont le discours catastrophiste, la démagogie, les contre-vérités, le « y’a pas d’autre solution », etc. Au contraire, le champ des possibles est immense : alternatives énergétiques, économie solidaire, démocratie inclusive, culture des universalismes accueillant la diversité des peuples.

Nous n’avons pas tous les mêmes réponses mais nous nous accordons sur trois interrogations qui nous semblent fondamentales :
– nos libertés s’amenuisent face à un État qui renforce ses pouvoirs vis-à-vis des citoyens mais renonce vis-à-vis des puissances économiques et financières,
– notre démocratie et ses institutions entraînent manifestement de moins en moins l’adhésion,
– notre capacité à faire vivre la société en respectant l’égale humanité de chacun.

La liberté
Depuis 30 ans, les politiques choisies conduisent à la restriction des libertés, à la surveillance généralisée et au fichage de masse. L’État s’approprie des pans entiers du pouvoir, sans contre-pouvoirs ni contrôles effectifs. Une société de suspects se met en place, ignorant toute proportionnalité entre les moyens mis en oeuvre et les objectifs assignés. Pourtant, le sentiment d’insécurité n’a aucunement diminué. Transférer des pouvoirs de l’ordre judiciaire vers l’ordre administratif, c’est remplacer la force de la preuve par la force du soupçon, porte ouverte à tous les arbitraires. Nous pensons qu’il faut changer ces politiques : arrêt de l’extension du pouvoir des forces de l’ordre et rétablissement de la confiance par leur immersion dans la population, arrêt de la politique d’incarcération de masse et investissement dans la réinsertion, indépendance et moyens pour la justice.

La démocratie
La démocratie, ce n’est pas seulement l’expression du peuple une fois tous les 5 ans. La domination de l’exécutif sur le législatif (ordonnances, procédures d’urgence, 49.3) ne favorise pas la gestion, par nos institutions, des débats et conflits sur les projets. Le peuple se sent exclu face aux déplacements de pouvoirs vers une Europe mal comprise. La « raison économique », au nom de laquelle on accepte que des millions de personnes soient réduites au chômage ou à la précarité, menace les libertés, la démocratie et l’avenir de la planète. Construire de nouvelles démarches est une urgente nécessité : s’attaquer réellement au cumul des mandats, combattre la sous-représentation des femmes et faire respirer la représentation politique en l’ouvrant à toutes les catégories sociales. Les allègements fiscaux pour les plus riches s’appliquent alors que le droit opposable au logement ne s’applique pas effectivement. Il faut rendre effective l’égalité d’accès pour toutes et tous à tous les droits. Qu’il s’agisse des droits économiques, sociaux et environnementaux ou des droits civils et politiques.

Faire vivre la société
La haine rôde et désigne des catégories : les « différent-es » sexuel-les, les étrangers, les pauvres… Elle ne veut voir que de l’identique fondé sur un mythe identitaire indéfinissable. On ne peut que constater l’échec de toutes les politiques visant à résorber les ghettos urbains. Trop souvent, la parole publique est dévoyée et stigmatisante. Des politiques encouragent les discriminations ; ainsi, pourquoi présenter le migrant comme un fraudeur plutôt que comme quelqu’un qui sauve sa peau et celle de sa famille ? Si résorber les inégalités et les ségrégations demande un temps long, dès à présent respectons la laïcité, donc le droit de chacun à pratiquer sa religion ou de n’en avoir aucune, dans le respect de notre Constitution.

Nous voulons porter dans le débat public tous ces enjeux auxquels notre société doit répondre.