Proximité et radicalisation dans le temps
entre l’opposition à Serre de la Fare (1989-90)
et la Zone à défendre à NDDL

S’il fallait garder en mémoire pour les temps futurs ce qu’apporta à la conscience humaine l’opposition au projet de barrage de Serre de la Fare, dans les Gorges de la Loire en amont du Puy-en-Velay, indéniablement ce serait la construction du néologisme « écolocrates ». C’est dire si l’opposition a constitué le sens le plus déterminant de cette lutte. Non pas que la défense de ce site sauvage n’ait pas mobilisé des milliers d’individus : aussi bien la population locale attachée à cette arrière-cour, emplie de mystères et d’émotions, que cette circulation continuelle d’individus, pris souvent dans d’autres conflits du même genre (vallée d’Aspe, Gardon du Mialet, etc.), et que l’éclatement de la crise écologique avait mis sur la brêche. Des traits communs à ces oppositions locales émergentes apparaissent : manifestation nationale au Puy au printemps 1989, occupation du site du futur chantier, coordination des associations sur le bassin de Loire.

Á cette époque, la crise de l’Économie n’avait pas atteint le niveau que l’on connaît maintenant ; c’est-à-dire que pour l’Etat la gestion écologiste apparaissait d’autant plus prioritaire qu’il lui fallait imposer l’idée que toute solution (partielle évidemment) ne pouvait passer que par lui et ainsi renforcer son autorité, et donc pour cette tâche recruter un nouveau personnel d’encadrement : l’opposition à la poursuite de l’aménagement de la Loire a pu nourrir en son sein une véritable pépinière de contre-experts que l’Etat ne tardera pas à coopter dans des organes croissants de bureaucratisation. Rapidement le petit comité local d’origine (SOS Loire vivante) se métamorphosa en institution locale, connectée à un réseau d’ONG. De plus, l’essor du parti des Verts, suite à son succès aux municipales de 1989, ou les ambitions du WWF qui avait dépêché sur place un émissaire pour « manager » l’opposition, eurent tôt fait de vouloir imposer leur tutelle : mais ils butèrent contre l’autonomie dont faisaient preuve partiellement les occupants du site du futur chantier. L’opposition n’était pas le fait de propriétaires ou d’habitants expulsables de ce site majoritairement sauvage. Cette absence à l’origine de base sociale homogène (à la différence du Larzac ou de Plogoff) suscita un atout nouveau : n’importe qui pouvait s’identifier à cette opposition, y participer et occuper. Il y avait un contraste entre les occupants dont la présence s’éternisait agréablement et qui aiguisaient au fil des jours leurs convictions anti-barrage, et des visiteurs, pourtant armés de leur bonne conscience écolo mais qui ne pouvait pas rester davantage. Seuls ceux qui ne jouissent d’aucun rôle social pouvaient s’attarder et être disponible pour autre chose.

Le roulement continu des occupants s’appuyait sur un noyau stable d’une trentaine d’individus. Le rapport conflictuel ente les occupants et l’encadrement citoyenniste portait évidement sur la tentative permanente d’instrumentaliser les fantassins sur place par l’état major en bureau au Puy : en même temps l’encadrement ne pouvait évidement se passer d’eux pour espérer avoir quelque poids dans les approches ou discussions avec l’Etat ; en même temps, les occupants, quoi que dépendants pour l’intendance, ne se laissaient pas modeler pour constituer une vitrine « clean ». Mais,à la différence du rapport entre les forces en présence à NDDL, les zadistes de l’époque pesaient peu de poids par rapport à la base électorale de Verts aux municipales de 1989 au Puy, ville distante de 15 km seulement (23% des voix). Faut-il voir dans l’approfondissement actuel de la crise sociale le terreau qui nourrit de plus massives résolution ? Heureusement qu’à Serre de la Fare pour nuire à l’ambiance médiatique et citoyenne (nous étions en 1989 !) une fraction des occupants quitta l’association initiale, créa un comité d’action et poussa la critique incessante contre les combinaisons possibles par une chronique assez intensive, qui parut soit par articles dans la presse libertaire nationale, soi par tracts réguliers diffusés localement, soit par brochures, ce qui permit de battre en brêche toute prétention des citoyennistes à monopoliser le sens et l’expression de cette opposition. Les textes étaient lus,ils étaient clairs et cohérents, ils établissaient une continuité critique et ils venaient de la base : autant dire que cette activité critique a pu peser sur le cours des événements. En définitive, après plusieurs moratoires et reports,l’engagement du projet sans cesse différé fut abandonné, mais de sorte que la manœuvre soit réglée hors de portée des émotions populaires.