Plaidoirie de Bahar Kimyongür sur fond de complot d’État

20 septembre 2006

BELGIQUE

Plaidoirie
de Bahar Kimyongür sur fond de complot d’État

    Bahar
Kimyongür a été condamné en première instance
à 4 ans fermes pour avoir traduit un tract. Il passe en ce moment-même
en appel au tribunal. Voici sa plaidoirie sur fond de complot d’État.
En effet, ne pouvant livrer Bahar Kimyongür, citoyen belge, à la
Turquie qui veut sa peau, la Belgique s’était débrouillée
pour le faire arrêter aux Pays-bas d’où il pouvait être extradé…

http://mai68.org/ag/1057.htm

http://cronstadt.org/ag/1057.htm

http://kalachnikov.org/ag/1057.htm

http://www.chez.com/vlr/ag/1057.htm

    Remarque
de do :
pour bien savoir de quoi il s’agit, je vous invite à
commencer par lire ceci :

    http://mai68.org/ag/933.htm

    Et :

    http://mai68.org/ag/995.htm

    Extrait
du quotidien belge Le Soir, du 19 septembre 2006 :

    « Le
gouvernement Verhofstadt aurait sciemment organisé la « livraison »
le 28 avril dernier du ressortissant belge Bahar Kimyongür
aux Pays- Bas en vue de son extradition vers la Turquie.

    « Selon
la version constante des autorités belges, mise en doute par des révélations
du Soir en mai et juin derniers, le porte-parole (ce qu’il nie) de l’organisation
turque d’extrême gauche DHKP-C, actuellement jugé devant la cour
d’appel de Gand, aurait été arrêté « fortuitement »
aux Pays-Bas dans la nuit du 27 au 28 avril alors qu’il se rendait à
un concert à ‘s Hertogenbosch.

    « Cette
version, régulièrement avancée par la ministre de la Justice
Laurette Onkelinx (PS), tant à la Chambre qu’au Sénat en
réponse à des questions des parlementaires Ecolo Marie Nagy
(députée) et Josy Dubié (sénateur), est démentie
par un procès-verbal d’une réunion classifiée « confidentielle »,
tenue au centre de crise du ministère de l’Intérieur deux jours
avant l’arrestation de Kimyongür.

    « Cette
réunion, dont nous avons pu consulter le procès-verbal, s’est
ouverte à 17 heures. Elle rassemblait 25 personnes, sous la
présidence de Pascale Vandernacht, chef de cabinet adjoint de la ministre
de la Justice, en charge des dossiers de terrorisme. Y assistaient un conseiller
de Guy Verhofstadt (Premier ministre, VLD), Eugène Dimmock ; le
directeur de la sécurité publique (Intérieur), Alain Lefebvre ;
la conseillère juridique de Laurette Onkelinx, Pascale Petry ; l’administrateur
général ff de la Sûreté de l’État, André
Demoulin ; le procureur fédéral Daniel Bernard et ses adjoints,
Johan Delmulle et Leen Nuyts (qui requièrent contre le DHKP-C) ;
des représentants de la police locale et d’autres directeurs de la Sûreté
ou de la police fédérale antiterroriste dont nous tairons les
noms. »

    Plaidoirie
de Bahar Kimyongür
 :

Gand,
le 19 septembre 2006

À
l’attention de la Présidence de la Cour d’appel de Gand

Bahar
Kimyongür

        Messieurs
les juges,

    Ce
serait un euphémisme que de dire que ce procès auquel nous assistons
depuis quelques jours dans votre palais de justice est historique.

    Et
pour cause, ce sera l’une des premières fois que l’on appliquera en Belgique
une loi qui apparaît comme étant l’une des plus liberticides que
notre code pénal n’ait jamais connu.

    Cette
loi permet en effet au procureur fédéral de me poursuivre alors
que je n’ai jamais commis le moindre crime ou délit, ni n’ai jamais eu
l’intention d’en commettre. En fait, ce qui est fondamentalement attaqué
dans cette affaire, c’est ma qualité de citoyen.

    Je
suis un citoyen belge qui entend jouir de ses droits, à savoir la liberté
d’avoir des opinions et de les exprimer et ce, même si ces idées
ne sont pas partagées par les autorités turques comme c’est le
cas quand je dénonce les tortures subies par les prisonniers politiques
et ce, même si je les exprime via le bureau d’information du DHKC.

    La
responsabilité qui pèse sur vos épaules est donc indiscutablement
lourde.

    En
vous demandant de me condamner, le Parquet vous demande aussi de condamner la
démocratie.

    Aussi,
j’espère, au nom des principes d’impartialité qui caractérise
votre Cour, que votre verdict respectera les libertés individuelles et
collectives dont se targue notre pays.

    D’après
la description du DHKP-C faite par le procureur fédéral Johan
Delmulle et l’avocat de la partie civile Kris Vincke, ce mouvement politique
est présenté comme étant dangereux, sectaire, extrémiste,
fanatique, criminel, terroriste, etc.

    A
l’inverse, ils présentent le régime turc comme une démocratie
et un Etat de droit.

    Je
souhaiterais commencer par épater messieurs Delmulle et Vincke :
Oui, messieurs, l’Etat turc est une démocratie ! Elle est même
LA démocratie de vos rêves. Une démocratie flamboyante dont
vous jetez les bases en Belgique de manière chevronnée.

    Une
démocratie qui pratique la torture.

    Une
démocratie qui maltraite les prisonniers politiques par l’isolement carcéral,
par des mesures coercitives et des châtiments disciplinaires, qui kidnappe
et exécute ses opposants, qui tire sur des enfants, notamment kurdes,
qui tabasse les ouvriers, les employés, les étudiants, les retraités,
les chômeurs et les militants des droits humains, qui protège les
assassins militaires et policiers, qui décore les bourreaux, comme par
exemple le chef des prisons Ali Suat Ertosun, pour leurs loyaux services, qui
impose la censure, qui saisit les organes de presse et emprisonne les journalistes,
qui interdit des concerts de musique et des manifestations, qui suspend des
émissions radio, qui uniformise la pensée et criminalise les idées
alternatives, qui nie l’indéniable génocide arménien, qui
arme des organisations paramilitaires commettant des attentats terroristes,
qui décide « au nom de la nation » et ce, au mépris
total de l’avis de la nation, qui affame la population en bradant les ressources
du pays aux multinationales, qui organise le trafic de drogue avec des convois
entiers escortés par la police, qui introduit la drogue là où
règne la pauvreté, qui organise des attentats à l’étranger,
notamment en Belgique [1]

    Une
démocratie oui, mais une « panzer démocratie » !
Monsieur le Procureur.

    Et
ignorer cette réalité scandaleuse, c’est plus que de la malhonnêteté
intellectuelle, plus que de l’apologie du terrorisme d’Etat, c’est du négationnisme
pur et dur.

    Vous
révisez l’histoire odieusement Monsieur le Procureur. Et votre parti
pris n’illustre que trop bien le caractère politique du procès
que vous nous intentez.

    Oui,
une PANZER DEMOCRATIE ! Messieurs les juges.

    Vous
devez certainement le savoir, l’armée turque est une des armées
les plus spécialisées dans la guerre contre son propre peuple
:

    Ainsi,
le 12 mars 1971, l’armée a pris de pouvoir et entamé une campagne
d’extermination de toutes les forces de gauche, des plus radicales aux plus
modérées. Les salles de torture tournèrent à plein
rendement…

    Le
12 septembre 1980, une junte dirigée par Kenan Evren a parachevé
ce processus d’extermination.

    Aujourd’hui,
l’état d’exception est encore imposé dans plusieurs provinces
où la rébellion nationaliste kurde est active.

    Le
couvre-feu est encore et toujours imposé dans les zones urbaines sous
influence du DHKP-C comme à Armutlu, Gazi, Okmeydani, Nurtepe et autres
quartiers stambouliotes.

    Les
panzers sèment littéralement la terreur durant les manifestations.

    En
août dernier, à l’appel de sympathisants du DHKP-C, des milliers
de commerçants ont participé à une action de fermeture
de leur échoppe qui dura plusieurs heures. Cette action était
destinée à condamner les bombardements israéliens sur le
Liban et la Palestine.

    Le
28 août dernier, les forces de police menèrent plusieurs rafles
à Istanbul et Ankara pour arrêter les instigateurs de cette action
pourtant démocratique. Les commerçants ont été eux
aussi terrorisés et les « agitateurs » jetés
en prison de type F !

    En
voyant les déploiements policiers et leur brutalité, certains
ont cru à un retour au coup d’état de 1980 et à l’état
d’urgence.

    Autre
exemple, aujourd’hui, si vous déclarez que « l’objection de
conscience » est un droit de l’homme, vous vous retrouvez sur le
banc des accusés pour « insulte à l’armée ».

    C’est
ce qui est arrivé à cette malheureuse journaliste Perihan Magden…

    Vous
avez dit « Etat de droit » Monsieur le Procureur ?

    Suis-je
un dirigeant du DHKP-C ?

    Dans
son réquisitoire, Monsieur le Procureur m’accuse d’être un leader
du DHKP-C. Il explique en même temps que cette organisation croit posséder
la vérité absolue et ne respecte aucune autre idée que
la sienne.

    Or,
j’entretiens un contact régulier, avec diverses personnalités
politiques, académiques, artistiques et scientifiques de Belgique et
d’ailleurs, qui prônent des idées parfois diamétralement
opposées aux miennes et collabore avec ces personnalités dans
le respect total de leurs opinions.

    Depuis
6 ans, je me consacre tout particulièrement à défendre
le droit des prisonniers de Turquie à vivre dignement et décemment.

    J’ai
participé à l’envoi de missions d’observation en Turquie. Dans
ce cadre, j’ai arrangé de nombreux rendez-vous entre des institutions
turques et des observateurs européens.

    J’ai
traduit et rédigé des dizaines de milliers de pages de rapports
sur les violations des droits de l’homme, d’articles de la presse gouvernementale,
de témoignages de détenus et de leurs familles, de pétitions,
de communiqués de presse d’ONG ou de lettres personnalisées notamment
à des parlementaires belges et européens.

    En
ce moment même, je contribue activement au dialogue entre les détenus
et le gouvernement pour la cessation du conflit dans les prisons et pour l’amélioration
de leurs conditions de détention.

    Alors
de deux choses l’une : soit le DHKP-C n’est pas une organisation fanatique et
sectaire comme le prétend le Procureur Delmulle. Soit, je ne suis pas
membre de l’organisation.

    Messieurs
les Juges, l’Etat turc assène ses citoyens depuis le berceau jusqu’au
tombeau, à l’école, au travail, à l’armée, de la
devise que « chaque turc naît soldat », que « la
plus grande joie est de se dire Turc » ou encore que « le
Turc n’a d’autre ami que le Turc ».

    Pour
le DHKP-C, à l’inverse, chaque communauté du pays a le droit de
clamer son identité nationale, ethnique, philosophique ou religieuse.

    Musa
Asoglu est Abkhaze.

    Dursun
Karatas et Fehriye Erdal sont Kurdes.

    Sükriye
Akar est Laze.

    Zerrin
Sari et Kaya Saz sont Turcs.

    Et
moi-même, je suis Arabe. Et dans les milieux proches du DHKP-C, j’ai toujours
pu le revendiquer haut et fort.

    Tandis
que l’Etat turc, lui, crachait sur mes origines, mes amis du DHKP-C, les ont
respectées et ont défendu mon droit de les revendiquer.

    Je
n’ai vu l’intolérance, le fanatisme et la cruauté que le procureur
fédéral impute au DHKP-C que dans les agissements de l’Etat turc.

    Regardez
les premières pages du plus grand quotidien turc « Hürriyet »
et vous verrez qu’il y est indiqué en en-tête que « la Turquie
est aux Turcs ».

    Lors
de cérémonies militaires organisées le 30 août
dernier, quatre étudiants ont été violemment molestés
par une foule haineuse [Note de do : il va de soit que cette "foule"
était constituée d’agents de l’État turc, car en Turquie
seul le pouvoir soutient Israël !]. Le crime de ses quatre étudiants
qui entendaient protester contre l’envoi de troupes turques dans le sud Liban
était d’avoir déployé un calicot arborant une devise qui
n’a pourtant rien d’anti-militariste : « Nous ne serons pas
des soldats d’Israël » disait la pancarte.

    Savez-vous
ce que Celalettin Cerrah le chef de la police d’Istanbul a déclaré
suite à ce lynchage ? « Je félicite la population.
Elle a bien réagi ».

    C’est
pas un appel à la haine et au meurtre ça ?

    Vous
avez dit « Etat de droit » et « démocratie »
Monsieur le Procureur ?

    Sympathie
et empathie

    Tout
au long des années 90, les télévisions privées turques
émettant par satellite nous montraient les images de militants, pour
la plupart du DHKP-C, capturés et parqués dans une salle de la
section anti-terroriste de la police après qu’ils aient disparu pendant
plusieurs jours. Ces militants physiquement détruits par plusieurs jours
de tortures, « noirs de barbes, hirsutes, menaçants »
comme disait Louis Aragon dans son célèbre poème  l’Affiche
rouge », se dressaient, le poing levé, fiers, sereins et stoïques.

    En
montrant ces images, l’Etat turc cherchait un effet de peur sur la population.

    Chez
moi comme chez de centaines de milliers de citoyens turcs, ces images suscitaient
le respect.

    Pour
être plus précis, messieurs les juges : j’éprouve de
l’admiration pour le courage, l’abnégation, la sagesse, l’humilité
et l’altruisme des militants du DHKP-C.

    Cela
peut vous paraître invraisemblable mais c’est grâce au DHKP-C que
j’ai commencé à aimer la Turquie, ce pays que j’ai longtemps détesté
en raison du racisme, du chauvinisme et de la répression bestiale, qui
y règnent. Oui, c’est grâce au DHKP-C que j’ai commencé
à véritablement aimer la Turquie, au-delà d’une simple
destination de vacances. C’est le DHKP-C qui m’a permis de refaire confiance
en l’Homme, en ses espoirs et en ses capacités créatrices.

    Sachez,
Messieurs les juges que je n’ai jamais été membre du DHKP-C et
que, par ailleurs, je ne m’étais jamais posé la question jusqu’au
jour où l’on me traîne devant vous.

    Pour
moi, la question de mes sensibilités politiques relève de la liberté
d’opinion et d’expression. Cette question est complètement accessoire.

    J’étais
d’ailleurs marxiste avant d’avoir rencontré le DHKC. J’ai découvert
que son projet de société coïncidait avec mon idéal
social. C’est ainsi que j’ai sympathisé avec ce mouvement populaire à
travers mon engagement au sein du bureau d’information de Bruxelles en tant
que traducteur et coordinateur de campagnes de soutien aux prisonniers politiques
de Turquie.

    Messieurs
les juges, je tiens à souligner qu’il faille ne pas confondre un bureau
d’information avec l’ensemble du mouvement DHKC et de ses formes d’action. Dois-je
rappeler que même Madame la ministre Onkelinx a reconnu en 2004 que
ce bureau agissait selon des droits qui lui étaient garantis par notre
Constitution ?

    Je
demande à la Cour, de faire la distinction entre mon sentiment d’appartenance
que je clame sans réserve et une prétendue appartenance politique
proclamée par des organes de presse sur lequel je n’ai jamais eu le moindre
contrôle. L’empathie et l’appartenance officielle sont deux choses bien
distinctes de même que le DHKC et le bureau d’information du DHKC. Je
n’ai jamais été coopté, nommé, adoubé, hissé,
muté, ni gradé par les dirigeants du DHKP. Je ne connais d’ailleurs
aucun dirigeant de ce mouvement et c’est bien la dernière de mes préoccupations.

    La
seule chose qui compte pour moi est de vivre en harmonie avec mes idéaux
et de soutenir des prisonniers politiques dont j’estime le combat indispensable
pour le progrès social en Turquie. Et rien ne m’en empêchera, ni
la privation de liberté, ni la mort civique ni même la mort physique.

    D’autre
part, je m’indigne de la légèreté avec laquelle les autorités
belges et turques se sont comportées dans le dossier d’extradition de
l’assassin fasciste du journaliste turc Abdi Ipekçi, aussi ancien que
ce crime puisse être. Le « Loup Gris » impliqué
dans cet assassinat datant de 1979 se nomme Yalçin Özbey.
Le journaliste qu’il assassina en Turquie n’était pourtant pas révolutionnaire
et s’opposait ouvertement à la lutte armée. Mais qu’importe, pour
l’extrême droite turque, ceux qui ne pensent pas comme eux sont des ennemis
à exterminer… Grâce à ses liens avec les services secrets
turcs de la MIT, Yalçin Özbey a pu s’en sortir à bon
compte en Turquie et a été très vite relaxé en Belgique.
Les autorités judiciaires turques auraient en effet commis une erreur
formelle dans leur demande d’extradition de ce malfrat…

    Je
constate que le Parquet qui prétend que ce procès n’est pas politique,
demande à la justice de ce faire plus répressive lorsque ce sont
des communistes qui sont incriminés. Pour ma part, je fais simplement
confiance en la justice de mon pays pour ne pas répondre à ces
injonctions qui visent à limiter la liberté d’expression.

    Permettez-moi
de répondre une à une, aux accusations proférées
par le procureur Delmulle et tout d’abord, à l’accusation d’avoir « grandi
dans l’organisation ».

    Dans
son scénario loufoque, il y a :

1.
L’accusation de « dirigeant d’un camp de jeunes du DHKP-C ».

    D’abord,
les activités estivales et hivernales auxquelles j’ai participé
ne sont pas des camps de formation militaire mais des camps de vacances tout
à fait légaux, familiaux et ouverts, destinés à
faire vivre « l’amitié, la solidarité et la culture
populaire anatolienne ».

    Les
familles étaient hautement satisfaites de ce genre de rencontres. Elles
se réjouissaient en effet, de voir leur fille ou leur fils être
plus serviables à la maison, plus respectueux, plus humbles.

    D’après
une vidéo saisie à Amsterdam montrant un camp de vacances organisé
à Spa, on me verrait aux côtés de Nuri Eryüksel,
le « responsable du DHKP-C pour l’Europe ».

    Permettez-moi
de dire, messieurs les juges, que, quand bien même cette information serait
vraie, le fait de côtoyer Nuri Eryüksel ne constitue aucunement
un délit. Et quand bien même cela aurait été le cas,
c’est un honneur pour moi d’avoir faire connaissance avec un homme d’une intelligence,
d’une sagesse et d’un humour exceptionnels, malgré les souffrances qu’il
doit endurer en raison de son handicap physique et de son long passé
carcéral en Turquie. Cet homme qui est non-voyant et que le procureur
dépeint comme un démon est en effet un homme de culture et de
raffinement, qualités qui, manifestement, manquent beaucoup chez ceux
qui le stigmatisent.

    Ce
dernier affirme que j’aurais organisé le camp de Spa et ce, alors que
je déclare dans la même vidéo que c’était la première
fois que j’y participais et que j’avais raté les premiers jours du camp.

    Messieurs
les Juges, permettez-moi de rappeler qu’en tant qu’arabophone n’ayant jamais
fait d’études en langue turque, en 1997, année où le fameux
camp fut organisé, je ne parlais qu’un Turc approximatif et donc, n’aurait
aucunement pu assumer un rôle dirigeant dans ce camp.

    A
l’époque, ce qui m’intéressait, c’était la chanson engagée
et si vous visionnez les images, vous verrez que je chante dans la chorale du
camp. Vous ne pouvez pas ne pas le reconnaître Messieurs les Juges :
la thèse du « dirigeant du camp » est pour le moins
tirée par les cheveux.

    2.
L’interprétation de la phrase : « Les polices belge et
turque collaborent contre le DHKP-C. Nous devons faire une action ».

    Tout
d’abord, cette collaboration existait bel et bien ! A ce propos, je tiens
à préciser que cela fait dix ans déjà que j’organise
des manifestations démocratiques et légales dans le cadre de mon
engagement pour la démocratisation de la Turquie.

    En
tant que citoyen belge, je pense que ma Constitution m’autorise à mener
des actions dénonçant ce genre de collaborations déplorables.

    Le
procureur me dénonce par un procédé malhonnête et
provocateur tout en sachant que « l’action » dont j’aurais parlé
n’avait aucune connotation violente ou illégale.

    3.
La découverte de mes papiers à Knokke

    Permettez-moi
d’expliquer les circonstances de cette découverte.

    Un
jour, quelqu’un est venu me retrouver et m’a confié qu’il me fallait
prêter mon identité pour sauver une personne en danger.

    Bien
entendu, j’ai accepté sans la moindre hésitation. J’ai effectivement
remis un croquis de ma signature avec les indications permettant de la falsifier.

    Ma
motivation était de participer à une cause noble, celle de sauver
la vie d’un être humain.

    Il
y eut un temps en Belgique où il était illégal d’héberger
des Juifs chez soi. Et pourtant, nombreuses sont les familles dont l’éthique
et la conscience ont outrepassé les lois de l’époque, aussi dangereuses
furent-elles.

    Si
j’ai pu sauver une vie humaine, je ne regrette absolument rien…

    Petite
précision : aucun des documents originaux évoqués
par le Procureur fédéral n’a été retrouvé
à Knokke. Je n’ai remis à la personne susmentionnée que
les photocopies de mes pièces d’identité et de ma carte bancaire.

    J’en
tiens pour preuve le passeport que mon conseil Carl Alexander a exhibé
devant la Cour la semaine dernière.

    Encore
une fois, il apparaît que le Procureur joue sur la manipulation, la contrevérité
et la surenchère pour obtenir mon châtiment lourd, objectif qui
semble devenir pour lui une véritable cause.

    4.
L’émission « Au nom de la loi » de janvier 2001

    Sur
les images de cette édition de l’émission « Au nom
de la loi » consacrée à « l’affaire Erdal »,
j’ai effectivement parlé de l’attentat qui a visé le Sabanci Center
ainsi que le jet de cocktails molotov sur des intérêts commerciaux
turcs à Bruxelles. J’ai en effet justifié ces actes mais il serait
abusif de déduire de cela que j’aurais joué un rôle dans
son organisation.

    De
plus, mon état physique et émotionnel était frappé
par une terrible nouvelle.

    Lorsque
je fus interrogé par le journaliste de la RTBF dénommé
Michel Hucorne, c’était le 19 décembre 2000, précisément
le fameux jour du massacre des prisonniers par l’armée turque. C’était
un jour d’apocalypse. Je venais de sortir de 46 jours de grève de la
faim, de deux heures de sommeil et venais d’apprendre le décès
de plusieurs détenus dont certains, que je connaissais personnellement.

    J’avais
cru en une solution pacifique à la tragédie des prisons mais comme
des millions de gens en Turquie, je m’étais trompé : le gouvernement
préféra en effet gazer et achever au lance-flamme des prisonniers
affaiblis par leur grève de la faim plutôt que d’entendre leurs
souffrances et leurs griefs.

    Une
victime directe de cette tragédie aurait, par ailleurs, pu témoigner
devant cette Cour si ses autorités n’avaient pas rejeté son témoignage.

    Mes
affirmations infondées et sans doute maladroites, diffusées dans
l’émission précitée, sont manifestement à mettre
sur le compte de mon affliction par rapport à ce qui venait de se produire
sous nos yeux dans les prisons turques. Il a ainsi été très
facile pour le journaliste de la RTBF de me piéger par ses questions
inquisitrices.

    Suite
à cette interview, j’ai écrit plusieurs fois à Monsieur
Michel Hucorne le conviant à retirer cette interview controversée.

    Le
journaliste m’a répondu par courrier et par téléphone par
la négative, arguant que s’il retirait mon interview, tout son scénario
s’écroulerait.

    Il
lui fallait du sensationnel. Tout comme à vous Monsieur le Procureur
: sans cette interview, votre scénario s’écroule.

    Soit
dit en passant, comme l’a rappelé mon avocat, cette interview ne peut
en aucun cas être retenue contre moi dans ce procès, vu son caractère
obsolète.

    5.
La conférence de presse du 28 juin 2004

    D’emblée,
je tiens à souligner que durant cette conférence de presse organisée
par une coalition du nom de « Resistanbul 2004 » et ce,
en marge du sommet de l’OTAN qui se déroulait à Istanbul, il n’a
jamais été question de parler de l’explosion accidentelle déclenchée
par la combattante dénommée Semiran Polat.

    La
conférence portait strictement sur la militarisation abusive de la ville
d’Istanbul en raison de la venue de Georges W. Bush et d’autres chefs d’état.

    Certains
provocateursde la presse turque ont beau essayé de piéger Musa
Asoglu en tirant le débat sur ce sujet, ce dernier a aimablement éludé
la question pour recentrer le débat sur le véritable sujet de
la conférence de presse. Si Monsieur Delmulle souhaite avoir une copie
de la conférence de presse, il n’a qu’à contacter l’agence de
presse turque Ihlas Haber Ajansi (IHA). Les images qui ont démenti la
version du procureur fédéral proviennent précisément
de cette agence de presse.

    Par
ailleurs, une correspondante de l’agence italienne ADN Kronos a également
assisté à cette conférence de presse. Si une telle revendication
avait été proférée, croyez-vous vraiment qu’une
agence de presse internationale aurait ignoré cette information ?

    Il
est plus que navrant que nous nous retrouvions aujourd’hui à polémiquer
sur de tels infantilismes. Pour dissiper les soupçons, voici un extrait
du seul communiqué lu et distribué au cours de la conférence
de presse que j’ai organisé au New Hotel Charlemagne :

    « Depuis
des mois déjà, la Turquie est sous occupation. C’est devenu un
pays où se pavanent allègrement les agents de la sûreté
de dizaines de pays, CIA et Cie. L’endroit où se tient le sommet a été
baptisé la "vallée de l’OTAN". Dans cette zone de sécurité
qui est la propriété de l’OTAN, aucune loi n’est d’application.
Dans une métropole de 15 millions d’habitants, pas moins de 15 000
policiers, 500 tireurs d’élite et des troupes militaires déployés
par terre, par mer et dans les airs.

    « Plusieurs
associations ont été perquisitionnées et mises sous scellés
sans l’avis d’un procureur, avec le prétexte de "préparatifs
pour le sommet de l’OTAN". Des centaines de personnes ont été
raflées chez eux ou au cours des démonstrations.

    « Dans
cette "vallée", près de 300.000 personnes et 50.000
véhicules ont été fichés. Dans la galerie commerciale
historique de Kapali Çarsi, 15.000 commerçants et ouvriers ont
été interrogés et fichés. Les personnes qui n’ont
pas pu obtenir un certificat de "sécurité" ont vu leur
magasin fermé obligatoirement. Ils ne pourront regagner leur boutique
que sur présentation de leur carte de "sécurité".
Cette galerie commerciale sera ainsi réservée à 800 délégués
de l’OTAN. Les universités seront fermées pendant deux jours. »
Fin de citation.

    6.
Mon interview pour le journal télévisé RTL du 28 juin 2004

    J’ai
beau lire et relire le procès-verbal relatif à mon intervention
télévisée, je n’ai toujours pas reconnu de revendication
dans mes propos.

    Je
m’excuse de devoir dire à nouveau que Monsieur le procureur se livre
au plus odieux des mensonges et ne recule devant aucun artifice.

    On
voit très bien dans l’interview que je parle à la troisième
personne du pluriel et l orsque l’on parle à la troisième personne
du singulier, il n’est pas question d’une quelconque implication de l’orateur.
De plus, pour qu’il y ait revendication d’attentat, il aurait fallu que j’en
aie l’intention. Or, non seulement, ce n’est pas le cas, mais en plus, ce n’est
pas moi qui ai été retrouver le journaliste ; c’est lui qui
est venu vers moi. D’autre part, dans cette interview, je n’ai nullement appelé
à la violence ni la haine.

    C’est
pourquoi je pense que cette nouvelle manipulation du Procureur Delmulle ne peut
qu’être balayée d’un revers de la main.

    Conclusion

    Force
est de constater que les faits énumérés à mon encontre
par le procureur Delmulle n’ont rien de subversif et encore moins de répréhensibles.

    Les
allégations de « dirigeant d’organisation terroriste »
que je serais devenu après « avoir grandi dans l’organisation »
sont manifestement un pur produit de son imagination malveillante et de son
attitude partisane évidente.

    En
effet, en dix ans d’activisme politique et social, j’ai toujours utilisé
les mêmes moyens d’expression légaux et démocratiques.

    Plus
qu’un qualificatif juridique, l’accusation de terroriste est une insulte visant
ma personne mais également toutes celles et ceux qui ont consacré
leur vie à faire de la Turquie et le monde un havre de paix et de fraternité.

    Que
le Procureur Delmulle haïsse mes opinions ne me dérange pas le moins
du monde. Mais qu’il se mette à m’insulter en me traitant de « terroriste » :
je trouve cela inacceptable.

    Ces
dernières années, j’ai eu l’occasion de côtoyer Sükriye
Akar au bureau d’information du DHKC à Bruxelles. Sükriye y a consacré
le plus fort de son temps aux détenus politiques, parmi lesquels Fikret
Akar, son mari.

    Elle
passa des mois entiers à scanner les lettres, les dessins et les revues
envoyés à notre bureau par les prisonniers politiques de Turquie.
Elle organisait la connexion entre les prisonniers politiques de tous les continents
en traduisant les lettres des uns et des autres.

    A
travers son incarcération, des centaines de détenus se retrouvent
un peu plus réduits et condamnés, tant en Turquie que dans le
monde.

    En
la châtiant, ce sont les prisonniers politiques victimes de terrorisme
de l’Etat turc que l’on punirait.

    Je
me souviens que Musa Asoglu et moi-même avions été reçus
le 10 octobre 2002 par le directeur général du Parlement
européen, Monsieur Bo Manderup Jensen, à qui nous avions remis
155 000 signatures collectées lors d’une campagne contre les mauvais
traitements et le régime d’isolement dans les prisons de type F.

    Ces
deux faits indiquent bien que l’activité de Musa Asoglu et de Sükriye Akar
dans le cadre du bureau d’information de Bruxelles, ont été de
nature parfaitement légale et démocratique.

    Tout
au long de mes dix années d’engagement politique et social, je n’ai jamais
appelé à la haine mais bien à la résistance à
l’oppression, tel que me le permet l’article 2 de la Déclaration
universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ce n’est pas moi qui
l’invente.

    Or,
quand je parle de résistance à l’oppression, M. Delmulle parle
de terrorisme contre la démocratie. Ce sont là des points de vue
politiques qui sont exprimés.

    Vous
m’accorderez donc, messieurs les juges, mon « médiactivisme »
est une pratique indiscutablement garantie par l’article 19 de la Déclaration
universelle des droits de l’homme de 1948 qui prévoit que : « Tout
individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui
implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions
et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations
de frontières, les informations et les idées par quelque moyen
d’expression que ce soit ».

    Messieurs
les Juges, c’est par idéal démocratique, par amour des libertés
publiques et privées que je vous demande de ne pas céder aux attaques
que le Procureur portées contre la démocratie et la liberté
d’expression. Son réquisitoire digne des pires périodes du MacCarthysme,
dresse un portrait diabolique de ma personne en mettant bout à bout des
éléments non seulement indépendants les uns des autres,
mais en plus parfaitement anodins et relevant du stricte droit d’expression.
C’est pourquoi messieurs les juges, je vous demande de m’acquitter et de me
permettre de continuer mon travail d’information et de solidarité, pour
que la Turquie que j’aime devienne un jour réellement un pays démocratique.

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[1]
Le 17 novembre 1998, l’institut kurde de Bruxelles situé rue Bonneels
ainsi que d’autres associations kurdes, furent la proie de l’hystérie
fasciste et furent incendiés suite au refus des autorités italiennes
d’extrader le dirigeant du PKK Abdullah Öcalan vers la Turquie A l’époque,
le premier ministre turc de l’époque Mesut Yilmaz avait clairement appelé
aux représailles anti-kurdes en ces termes : « la Turquie
ne laissera pas cela sans réponse ».