Monsieur,

Nous avons bien reçu votre courrier du 29 juin 2006 concernant une « nouvelle » rédaction du projet de loi de prévention de la délinquance. Vous y mettez en avant une prise en compte de nos remarques que nous ne retrouvons pas à la lecture et que nous aimerions vous voir préciser.

Ce texte nous est apparu inchangé sur le fond comme sur la forme pour ce qui concerne ses grandes orientations. La confusion est toujours entretenue entre la délinquance, la précarité, la fragilité, l’absentéisme scolaire, la santé mentale, voire l’immigration,
puisqu’il reste, si notre lecture est bonne, une référence aux étrangers (article 12) qui laisse à penser que le label populiste et xénophobe est devenu incontournable.

Une réforme de la loi de juin 1990 ou de l’organisation des soins en psychiatrie n’a pas sa place dans un projet de loi dit « de prévention de la délinquance ».

Ce projet pourrait être résumé par une partie de l’article 21 : « lorsque l’avis médical précité ne peut être immédiatement obtenu, ou lorsque l’arrêté évoqué à l’alinéa précédent a été rendu mais ne peut être exécuté sur le champ, la personne en cause est retenue, le temps strictement nécessaire et justifié, dans une structure médicale adaptée… », et il ne s’agit là que d’un des axes de l’instrumentalisation de la psychiatrie et de l’ensemble du sanitaire, de ses acteurs (plus besoin de prescription) et de ses structures, instrumentalisation qui concerne, dans les autres parties du texte, les enseignants, les travailleurs sociaux, les éducateurs, le tout à des fins de contrôle social.

Il s’agit toujours, comme nous le signalons depuis la fin 2003 (ci-joint les différents textes et communiqués) de stigmatiser une population pauvre, précaire et/ou étrangère désignée comme potentiellement dangereuse, « criminogène » faisant l’objet d’une assignation à origine comme le souligne Evelyne Sir-Marin.
_ Les casiers éducatifs et sanitaires se multiplient sous forme de fichiers et de traitements automatisés des informations de l’éducation nationale et des caisses d’allocations familiales ou d’un fichier des hospitalisations d’office dont l’article concerné et
d’une totale hypocrisie. Comment, en effet, ne pas considérer la notion d’hospitalisation d’office (qui fait exclusivement référence à la psychiatrie) comme étant elle-même une « donnée à caractère personnel de la nature de celles mentionnées au 1 de l’article 8 de
la loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée… (article 19)

Le secret professionnel est toujours gravement attaqué, sauf à considérer comme une avancée la notion de « gravité des difficultés sociales » définie par un nombre d’intervenants supérieur ou égal à deux (difficile de partager tout seul) ou laissé à la « libre » appréciation (alors que les dérogations prévues par la loi sont extrêmement précises) d’acteurs dont les statuts sont constamment fragilisés, précarisés sur un mode contractuel avec intéressement ne permettant aucune indépendance que ce soit dans le champ social,
médico-social ou sanitaire(hôpital 2007, nouvelle gouvernance, statut des praticiens hospitaliers).

Pour parfaire le dispositif, tout acte de violence ou considéré comme déviant devient opportunément pathologique et fait l’objet d’une prescription de « soins » obligatoires, là encore sans que le médecin
le psychologue ou un autre acteur ne soit convié, si ce n’est comme délateur ou sous la dénomination plus acceptable de « relais » (formulation utilisée par ailleurs pour le coordinateur-délateur social) ou dans le cadre de « visites » régulières et imposées, même
si elles ne présentent aucunes perspectives thérapeutiques du fait même de l’obligation.

Que dire enfin de la « garde à vue » psychiatrique de 72 heures et de toutes les mesures visant à faciliter l’internement ou à retarder la sortie alors que la commission Lopez-Yeni souligne l’utilisation déjà
abusive de la loi de 1990. La commission reconnaît dans la mesure de contrainte et les soins forcés une atteinte sévère à la liberté individuelle (p 6 et 13), elle constate que le nombre des mesures d’hospitalisation sous contrainte a presque doublé depuis 1990 (p 1/5), que les mesures d’urgence (qui devaient être l’exception) prennent une place de plus en plus importante dans les procédures de mise en œuvre. Cette commission admet qu’il s’agit de situations douloureuses et stigmatisantes pour les personnes.

Non, il n’est décidément rien, Monsieur, dans cette nouvelle formulation, qui puisse nous permettre de demander autre chose que le retrait total de ce texte et plus particulièrement de toutes les références sanitaires ou à des supposés soins.

Pierre Paresys
_ Président de l’Union Syndicale de la Psychiatrie