Le Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen a assuré la traduction (pas trop mauvaise nous semble-t-il) de ce texte en anglais trouvé sur internet. Nous ne lui connaissons pas d’autres traductions en français. Nous avons publié cette traduction dans notre journal « Solidarité » N°24 de Mai 2006. On peut s’abonner à « Solidarité » pour 8 euros (4 N° par an, port compris, chèque à l’ordre du SIA) à l’adresse suivante : SIA BP 257 14013 Caen cedex. Bonne lecture.

L’INSURRECTION DE KWANGJU
EN COREE DU SUD (1980)

Dans les deux siècles passés, deux évènements se détachent comme symboles de la capacité spontanée de milliers de personnes à se gouverner elles-mêmes : la Commune de Paris en 1871 et l’insurrection de la population de Kwangju en 1980.

Dans les deux villes, les habitants désarmés, en opposition à leurs propres gouvernements, gagnèrent effectivement le contrôle de l’espace urbain et le tinrent malgré la présence de forces militaires bien armées cherchant à ré-établir « la loi et l’ordre » ; des centaines de milliers de personnes se levèrent à ces occasions et créèrent des organes populaires qui avec efficacité et efficience remplacèrent les formes traditionnelles de gouvernement ; les taux de criminalité chutèrent en flèche durant la période de libération ; et les gens éprouvèrent entre eux des formes de parenté inexpérimentées auparavant.

Les réalités libérées des Communes de Paris et Kwangju contredisent le mythe largement propagé que les êtres humains sont essentiellement mauvais et ont en conséquence besoin de gouvernements forts pour maintenir l’ordre et la justice. Plus exactement, le comportement des citoyens durant ces moments de libération révèlent une capacité innée à l’auto-gouvernement et à la coopération. Ce furent les forces du gouvernement, pas les gens ingouvernés, qui agirent avec une grande brutalité et injustice.

Les évènements de Kwangju se déroulèrent après que le dictateur de la Corée du Sud, Park Chung-Hee, fut assassiné par son propre chef des services de renseignements. Dans l’euphorie qui suivit la mort de Park, les étudiants menèrent un vaste mouvement pour la démocratie mais le général Chun Doo-Hwan prit le pouvoir et menaça de réprimer violemment si le mouvement continuait. Dans toute la Corée, avec la seule exception de Kwangju, les gens restèrent chez eux. Avec l’approbation des Etats-Unis, le nouveau gouvernement militaire dégagea des limites de la Zone Démilitarisée* quelques une des unités parachutistes les plus aguerries pour donner une leçon à Kwangju. Une fois que ces troupes atteignirent Kwangju, elles terrorisèrent la population de façons inimaginables. Au cours de la première confrontation le matin du 18 mai, des matraques spécialement conçues brisèrent les cranes des étudiants sans défense. Alors que les refluaient précipitamment pour se mettre en sécurité et se regrouper, les parachutistes attaquèrent brutalement : « un groupe de parachutistes attaqua chaque étudiant individuellement. Ils éclataient sa tête, cognaient son dos, lui donnaient des coups de pieds dans le visage. Quand les soldats avaient terminé, il ressemblait à un tas de vêtements dans de la sauce à la viande. » [Lee Jae-Eui, Kwangju Diary: Beyond Death, Beyond the Darkness of the Age, p. 46] Les corps furent empilés dans des camions où les soldats continuaient à les frapper et à leur donner des coups de pieds. A la nuit, les parachutistes avaient dressé leurs camps dans plusieurs universités.

Comme les étudiants ripostaient, les soldats utilisèrent leurs baïonnettes sur eux et arrêtèrent des douzaines de personnes supplémentaires qui furent mises à nu, violées et encore davantage brutalisées. Un soldat brandissait sa baïonnette à des étudiants arrêtés et leur hurlait « C’est la baïonnette que j’ai utilisé pour couper 40 seins de femmes Viet-Cong ! » La population entière était choquée par la réaction extrême des parachutistes. Les parachutistes étaient tellement hors contrôle qu’ils poignardèrent à mort le directeur de l’information de la radio de la police qui tentait de les convaincre d’arrêter de brutaliser les gens. [Kwangju Diary, p. 79]

Malgré de sévères tabassages et des centaines d’arrestations, les étudiants se regroupaient continuellement et ripostaient avec ténacité. Comme la ville se mobilisait le jour suivant, des gens de toutes conditions sociales éclipsèrent le nombre d’étudiants parmi les protestataires. [The May 18 Kwangju Democratic Uprising, p. 127] Cette génération spontanée d’un mouvement populaire transcenda les divisions traditionnelles entre la ville et l’université, un des premiers indices de la généralisation de la révolte. Les parachutistes eurent recours à une brutalité sans cœur – tuant et mutilant les gens qu’ils rencontraient dans les rues. Même des taxis et des chauffeurs de bus cherchant à aider des gens blessés et saignant furent poignardés, battus et parfois tués. Quelques policiers essayèrent de relâcher secrètement des prisonniers et eux aussi reçurent des coups de baïonnettes. [Kwangju Diary, p.113] Beaucoup de policiers rentrèrent simplement chez eux et le chef de la police refusa d’ordonner à ses hommes d’ouvrir le feu sur les protestataires malgré l’insistance des militaires.

Les gens ripostèrent avec des pierres, des battes, des couteaux, des tuyaux, des barres de fer et des marteaux contre 18 000 policiers anti-émeutes et 3000 parachutistes. Bien que de nombreuses personnes aient été tuées, la ville refusaient d’être pacifiée. Le 20 mai, un journal intitulé Le bulletin des militants fut publié pour la première fois, fournissant des nouvelles fidèles – à la différence des médias officiels. A 17H50, une foule de 5000 personne surgit sur un barrage de la police. Quand les parachutiste les repoussèrent, ils se regroupèrent et s’assirent sur la route. Ils choisirent alors des représentants pour essayer de diviser encore plus la police et l’armée. Dans la soirée, la manifestation enfla à plus de 200 000 personnes dans une ville qui comptait alors 700 000 habitants. La foule massive unifiait des ouvriers, des paysans, des étudiants et des gens de toute condition sociale. Neuf bus et plus de 200 taxis menaient la marche sur l’avenue Kumnam, du la zone marchande du centre-ville. Une nouvelle fois les parachutistes attaquèrent avec brutalité et cette fois la ville entière résista. Durant la nuit des voitures, des jeeps, des taxis et d’autres véhicules furent incendiés et poussés au milieu des forces militaires. Bien que l’armée attaquait de manière répétée, la soirée termina dans une impasse à Democracy Square. A la gare de nombreux manifestants furent tués et à la préfecture, à coté de Democracy Square, les parachutistes ouvrirent le feu sur la foule avec leurs M-16, tuant de nombreuses autres personnes.

Les médias censurés dissimulèrent les tueries. A la place, ils fabriquèrent des fausses nouvelles d’actes de vandalisme et d’action de police mineures. La brutalité de l’armée ne fut pas mentionnée. Après la nuit les informations négligèrent une nouvelle fois de rendre compte de la situation, des milliers de personnes encerclèrent l’immeuble de la MBC. Rapidement la direction de la station et les soldats qui la gardaient battirent en retraite et la foule fit irruption à l’intérieur. Incapable de faire marcher les équipements de la radio, les gens incendièrent le bâtiment. La foule frappa les bâtiments intelligemment :
« A 1H du matin, les citoyens vinrent en foule à l’Hôtel des Impôts, le saccagèrent et l’incendièrent. La raison en était que les impôts qui auraient dû être utilisés pour la vie et le bien-être des gens avaient été utilisés pour l’armée et la production des armes qui tuaient et frappaient les gens. C’était une chose très inhabituelle d’incendier les stations de radio et les bureaux des impôts pendant que le commissariat et d’autres bâtiments étaient épargnés et protégés. » [The May 18 Kwangju Democratic Uprising, p. 138]

En plus de l’Hôtel des impôts et de 2 immeubles de médias, le Bureau de Supervision du Travail, le dépôt de véhicules de la préfecture et 16 voitures de police furent incendiés. La bataille finale à la gare vers 4H du matin fut intense. Les soldats utilisèrent de nouveau leurs M-16 contre la foule, tuant de nombreuses personnes dans les premiers rangs. D’autres grimpaient sur les corps pour poursuivre le combat contre l’armée. Avec une incroyable force d’âme, le peuple l’emporta et l’armée battit en retraite précipitamment.

A 9H le matin suivant (le 21 mai), plus de 100 000 personnes se rassemblèrent de nouveau sur l’avenue Kumnam face aux parachutistes. Un petit groupe cria que des gens feraient bien d’aller à Asia Motors (un entrepreneur militaire) pour saisir des véhicules. Quelques douzaines de personnes y allèrent, en ramenant seulement sept (le nombre exact de rebelles qui savaient conduire). Comme ils faisaient la navette avec de plus en plus de chauffeurs, ce furent bientôt plus de 350 véhicules, incluant des transports de troupes blindés, qui furent aux mains du peuple. Conduisant ces véhicules expropriés tout autour de la ville, les manifestants rallièrent la population et allèrent aussi dans les villes et villages avoisinants pour répandre la révolte. Certains camions amenaient du pain et de la boisson en provenance de l’usine Coca-Cola. Des négociateurs furent choisis dans la foule et envoyés auprès des militaires. Soudain des coups de feu percèrent une atmosphère déjà épaisse, éliminant l’espoir d’un arrangement pacifique. Pendant 10 minutes l’armée tira de manière indiscriminée et des douzaines de personnes furent tuées et plus de 500 blessées dans le carnage.

Le peuple répondit rapidement. Moins de deux heures après les tirs, la première station de police fut attaquée pour trouver des armes. Plus de gens formèrent des équipes d’action et firent des raids sur les arsenaux de la police et de la garde nationale. Ils s’assemblèrent à deux endroits centraux. Avec l’aide des mineurs de charbon de Hwasun, les manifestants obtinrent de grandes quantités de dynamite et de détonateurs. [The May 18 Kwangju Democratic Uprising, p.143] Sept bus remplis de travailleuses du textile se rendirent à Naju où elles capturèrent des centaines de fusils et des munitions qu’elles ramenèrent à Kwangju. Des saisies similaires d’armes eurent lieu dans les comtés de Changsong, Yoggwang et Tamyang. Le mouvement s’étendit rapidement à Hwasun, Naju, Hampyung, Youngkwang, Kangjin, Mooan, Haenam, Mokpo – en tout dans au moins seize autres parties de la Corée du Sud-Ouest. [The May 18 Kwangju Democratic Uprising, p. 164] La prolifération rapide de la révolte est un autre indice de la capacité du peuple à l’auto-gouvernement et à l’initiative autonome. Espérant amener le soulèvement à Chunju et Seoul, des manifestants se mirent en route mais furent repoussés par des troupes bloquant les autoroutes, les routes et les voies de chemin de fer. Des hélicoptères de combat dispersèrent des unités de manifestants armés des comtés de Hwasun et Yonggwang qui essayaient d’atteindre Kwangju. Si les militaires n’avaient pas contrôlé si étroitement les médias et restreint les déplacements, la révolte aurait pu tourner en soulèvement national.

Dans la chaleur du moment, une structure se développa qui était plus démocratique que les administrations antérieures de la ville. S’assemblant à Kwangju Park et Yu-tong Junction, des cellules de combat et un commandement furent formés. Des mitrailleuses furent pointées sur la préfecture (où les militaires avaient leur poste de commandement ). A 17H30 l’armée battit en retraite, à 20H le peuple contrôlait la ville. Des acclamations retentissaient partout. Bien que leurs armes de la seconde guerre mondiale aient été de loin inférieure à celle de l’armée, la bravoure et les sacrifices du peuple s’avérèrent plus puissant que la supériorité technique de l’armée. La Commune Libre dura six jours. Des assemblées quotidiennes de citoyens donnaient voix à des années de frustrations et aux aspirations profondes des gens ordinaires. Des groupes locaux de citoyens maintenaient l’ordre et créaient un nouveau type d’administration sociale- une qui était de, par et pour le peuple. Par coïncidence, le 27 mai, le même jour que l’écrasement de la Commune de Paris plus d’un siècle plus tôt, la Commune de Kwangju fut écrasée par la force militaire malgré une résistance héroïque. Bien que brutalement supprimé en 1980, le mouvement continua à lutter durant les sept années suivantes, et en 1987 un soulèvement à l’échelle de la nation fut organisé qui obtint finalement un réforme électorale démocratique en Corée du Sud.

Comme le cuirassé Potemkine, le peuple de Kwangju a très souvent signalé l’avènement de révolution en Corée du Sud – depuis la rébellion Tonghak en 1894 et la révolte des étudiants en 1929 jusqu’à l’insurrection de 1980. Comme la Commune de Paris ou le cuirassé Potemkine, la portée de Kwangju est internationale, pas seulement coréenne (ou française ou russe). Sa signification et ses leçons s’appliquent également à l’Est et à l’Ouest, au Nord et au Sud. L’insurrection populaire de 1980, comme ces symboles plus précoces de la révolution, a déjà eu des répercussions mondiales. Après des décennies durant lesquelles les droits démocratiques furent réprimés dans tout l’Est de l’Asie, une vague de révolte et de soulèvements transformèrent la région. Les révolutions de 1989 en Europe sont bien connues, mais l’eurocentrisme empêche souvent la compréhension de leurs homologues asiatiques. Six ans aprés l’insurrection de Kwangju, la dictature de Marcos fut renversée aux Philippines. Aquino et Kim Dae-Jung s’étaient connus aux Etats-Unis et les expériences de Kwangju aidèrent à inspirer l’action à Manille.

Dans toute l’Asie, des mouvements populaires pour la démocratie et les droits de l’homme apparurent : une fin de la loi martiale fut gagnée à Taiwan en 1987 ; en Birmanie un mouvement populaire explosa en mars 1988, quand les étudiants et les minorités ethniques prirent les rues de Rangoon. Malgré une répression horrible, le mouvement contraignit le président Ne win à se désister après 26 ans de pouvoir. L’année suivante, les activistes étudiants lancèrent un large cri public, seulement pour être abattus Place Tienanmen et pourchassés pendant des années après. Le tour du Népal était proche. Sept semaines de protestations commencèrent en avril 1990 et contraignirent le roi à démocratiser le gouvernement. Le pays suivant à expérimenter une explosion fut la Thaïlande quand 20 jours de grève de la faim par un leader politique de l’opposition amena des centaines de milliers de personnes dans les rues en mai 1992. Des douzaines furent tuées lorsque les militaires interdirent les manifestations de rues et, à cause de la brutalité, le général Suchinda Krapayoon fut forcé de se désister. En 1998 en Indonésie, les étudiants appelèrent à la « révolution du pouvoir populaire» et furent capables de renverser Suharto. Des interviews réalisées par un correspondant américain dans les universités en Indonésie déterminèrent que le slogan de « pouvoir populaire » était repris des Philippines comme l’était l’innovation tactique de l’occupation de l’espace public.

Ecrit par George Katsiaficas.

Repris du site web de la NEFAC (North-Eastern Federation of Anarcho-Communists) : www.nefac.net

Source Solidarité.