Le Liban était un lieu qui rapportait pas mal d’argent aux Syriens, qui ont dû le quitter après l’assassinat de Rafik Hariri. Suite au départ des Syriens, tous les espoirs étaient permis au Liban pour jouer un rôle régional fort en matière économique, servi également par sa diaspora.

Le Sud Liban a été occupé en partie par Israël pendant près d’un quart de siècle, et bien sûr par le Hezbollah, un des deux acteurs-clés au Moyen-Orient avec le Hamas. Le Hezbollah est un mouvement chiite né en 1984, strictement libanais mais soutenu par la Syrie et l’Iran, et son rôle était de tenter de libérer le Sud Liban de la présence israélienne. Bien que la résolution 425 des Nations-Unies ait condamné Israël pour occuper 11 % du territoire libanais depuis 1978, Israël était passé outre et avait mis en place la milice connue sous le nom d’ « Armée du Liban Sud » censée garder la frontière. Ce n’est qu’en 2000 qu’Israël a quitté le Liban. Depuis un quart de siècle, le Hezbollah libanais et l’armée du Liban Sud israélienne s’affrontaient sur place, dans une guerre permanente, sur fonds d’accord tacite. Mais le Hezbollah n’a jamais mené d’actions terroristes en Israël, bien qu’il ait été tardivement reconnu comme une organisation terroriste en 1996 à Sharm-el-Sheik par les américains et les israéliens, ce qui avait servi de prélude et de prétexte à l’opération « raisins de la colère ».

Rien n’est nouveau depuis, hormis l’enlèvement récent de deux soldats israéliens, et ce qui se passe avec les opérations de destructions du Liban par Israël est un remake de « raisins de la colère » de 1996, mais sur une plus bien grande envergure en ampleur et en durée. L’opération « Raisins de la colère » avait été déclenchée suite à de tirs de roquette par le Hezbollah sur Israël. Ici, seul l’enlèvement de 2 soldats israéliens a suffi pour déclencher une guerre de bien plus grande envergure. Rien n’est épargné : les aéroports, les ports de Beyrouth, de tripoli et de Jounyeh, les routes principales, les stations services, les moyens de communication. Pourquoi ?

Dans le jeu régional, si les intérêts d’Israël sont indéniablement politiques, ils sont aussi économiques. Et dans l’hypothèse d’une paix, un jour, dans la région (cela semble paradoxal aujourd’hui, mais pas tellement), Israël a fortement intérêt à ce que Liban ne soit pas son concurrent dans le rôle du pôle économique majeur dans la région. Plus Israël sera fort économiquement et barrera des concurrents potentiels, plus sa survie sera assurée. Depuis le départ des Syriens, le pays Liban devenait un état, première étape vers un Liban fort économiquement. Détruire les infrastructures du Liban et y faire la guerre, c’est retarder son développement économique et ne lui laisser jouer qu’un rôle mineur, laissant la part du lion à Israël. On voit que la suprématie militaire sert bien Israël dans ses intérêts économiques, tout comme celle des Etats-Unis lui sert à imposer son économie. D’ailleurs, les puissances coloniales d’antan, France et Royaume-Uni pour ne citer qu’eux, faisaient de même en colonisant, grâce à leurs forces militaires, des pays faibles mais attractifs au plan de servir leurs économies impériales.

D’autre part, le Hezbollah perdrait tout en cas de paix. Les chiites du Liban ne sont guère conservateurs. Sortir, faire la fête, oui, mais pas adhérer à des thèses religieuses contreignantes. Si bien que, la paix revenue, le Hezbollah ne trouverait guère d’écho au Liban et se diluerait. Provoquer Israël en enlevant deux soldats, c’était contribuer à mettre le feu aux poudres et prolonger son existence. Et puis on peut imaginer que l’Iran ait souhaité que le hezbollah vienne ainsi en renfort du Hamas, mis à mal à Gaza.

Depuis l’offensive israélienne, les chancelleries ont entamé une cacophonie autant stérile que cynique et désabusée. Le prix du pétrole a grimpé un peu, mais de toute façon c’est le sort qui l’attend. Israël a déjà réalisé son rêve du grand Israël en occupant près de 90 % de la Palestine, miraculeusement servie par le Hamas. Abbas en est réduit au rôle de potiche, et les Nations-Unies, complices comme d’habitude, n’ont pas voté pour un arrêt des hostilités d’Israël envers le Liban.

On le voit : Israël a intérêt à ravager le Liban sous prétexte de lutte contre le Hezbollah, pour mettre fin à une future domination économique du Liban. Les intérêts bassement mercantiles, placés dans une perspective de domination géopolitique assise non seulement sur une suprématie militaire mais aussi économique, prévalent. L’armée israélienne, Tsahal, veut faire appliquer par le Liban la résolution 1559 qui l’oblige à reprendre le contrôle du sud du pays et d’évincer le Hezbollah ; et le gouvernement israélien, qui n’est plus gouverné par des généraux comme du temps de Sharon, est bien obligé de donner des gages à son opinion publique, qui applaudit et considère que l’éradication du Hezbollah va augmenter la sécurité des israéliens. Les deux dirigeants du pays, Olmert et Peretz, n’ont aucune expérience militaire et il est probable qu’ils se sont laissés déborder par l’armée, qui a pris des initiatives. C’est une situation dangereuse car une escalade en provenance du Hezbollah, de la Syrie et du Liban dégénèrerait en une guerre incontrôlée. Et puis s’attaquer au Hezbollah, c’est envoyer un message fort à Damas et à Téhéran. Cette opération au Liban est prévue de longue date et l’enlèvement des deux soldats n’est qu’un prétexte.

Le Hezbollah a, lui aussi, intérêt à faire la guerre, pour trouver une justification à son existence. L’Iran, de son côté, espère de la sorte faire un peu oublier la crise nucléaire et détourner l’attention. Quant aux pays arabes de la région, principalement sunnites, ils ne voient pas d’un mauvais oeil l’affaiblissement chiite via la disparition du Hezbollah. Israël ne craint donc pas trop l’hostilité des pays arabes en s’attaquant à cette milice chiite ratachée à l’Iran.

N’empêche qu’Israël pouvait bel et bien s’attaquer au Hezbollah, et depuis longtemps, sans faire une guerre totale au Liban, avec blocus naval, destruction d’infrastructures civiles, de ponts, de routes, d’aéroports. Cette volonté délibérée de détruire le Liban rend crédible la thèse de l’intérêt d’Israël à affaiblir économiquement le Liban et de le frapper du nord au sud. Le Hezbollah étant cantonné au sud Liban, le fait qu’Israël frappe aussi au nord à la frontière syrienne prouve bien que l’attaque sur le Hezbollah ne constitue pas la seule motivation de Tel-Aviv.

En provoquant un exode des populations du Liban Sud, Israël veut avoir le champ libre dans cette zone pour éradiquer le Hezbollah. Mais une fois cet objectif atteint, Israël ne sera-t-il pas tenté d’occuper le Liban Sud et en faire une colonie de plus. Dans ce cas, non seulement satisfait d’avoir spolié les Palestiniens, Israël volerait aussi le sud Liban… En toute impunité, à la face du reste du monde, consentant.

Et les civils dans tout ça ? Ils meurent, sont blessés, et souffrent. Rien n’est nouveau sous le soleil, non ?

dimanche 16 juillet 2006, par Ashoka.

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