Droits de la personne et marquage nominatif obligatoire des bagages dans les trains

En France, la campagne électorale de 2007 a déjà commencé et la propagande sécuritaire y tient une place de choix. La surenchère que se livrent en la matière Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy fait régulièrement la une des journaux. Mais on oublie souvent le rôle de l’actuel Premier Ministre Dominique de Villepin, plus connu récemment pour ses ordonnances très conflictuelles de casse du Code du Travail mais qui fut auparavant Ministre de l’Intérieur du 30 mars 2004 au 31 mai 2005. Une période d’essor de la politique sécuritaire, et pas seulement dans le domaine de la vidéosurveillance.

Par exemple, Dominique de Villepin est en tant que Ministre de l’Intérieur, l’un des signataires du décret 2004-1022 du 22 septembre 2004 modifiant le décret 42-730 du 22 mars 1942 qui régit « la police, la sûreté et l’exploitation des voies ferrées d’intérêt général et d’intérêt local ». Ledit décret de septembre 2004 prescrit :

« Article 1

Le décret du 22 mars 1942 susvisé est modifié ainsi qu’il suit :

I. – L’article 75 est rétabli dans la rédaction suivante :

« Art. 75. – Dans les catégories de trains désignées par arrêté du ministre chargé des transports, il est interdit à toute personne de déposer, dans l’espace situé au-dessus et au-dessous de la place à laquelle elle a droit ainsi que dans les espaces collectifs prévus à cet effet dans les voitures, un bagage ne comportant pas de manière visible la mention de ses nom et prénom.

L’accès aux trains désignés en application de l’alinéa précédent est interdit à toute personne portant avec elle des bagages ne comportant pas de manière visible la mention de ses nom et prénom.

(…) »

II. – Il est ajouté à l’article 80-2 un quatrième alinéa ainsi rédigé :

« Sera puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 1re classe quiconque aura contrevenu aux dispositions de l’article 75. »

(…) »

(fin de citation)

En octobre 2004, un usager des chemins de fer français avait saisi le Conseil d’Etat d’un recours demandant l’annulation du décret 2004-1022. L’auteur du recours estime que le décret est « vicié sur la forme et sur le fond… En particulier :

– En imposant aux usagers du train de se déplacer uniquement avec « des bagages comportant de manière visible la mention de ses nom et prénom », sous peine d’une « contravention de la 1re classe », le décret introduit une limitation des droits et libertés fondamentaux et de la parcelle privé de la personne du voyageur, car une telle mesure contraint dans la pratique l’intéressé(e) à dévoiler son identité, non pas devant un agent de la SNCF ou un fonctionnaire de police, mais devant l’ensemble des voyageurs. (…)

– Malgré cela, les attendus du décret ne font mention d’aucune loi ni disposition protégeant les droits de la personne. Aucune instance n’a été consultée à ce sujet, si l’on s’en tient au texte du décret. (…)

– … la mesure adoptée est manifestement disproportionnée par rapport à tout but utile recherché. Il est possible d’étiqueter un bagage de manière suffisante pour tout contrôle, mais discrète, sans être pour autant obligé(e) d’afficher « de manière visible la mention de ses nom et prénom ».

(…) » (fin de citation)

En somme, on peut déduire de cet argumentaire que l’obligation introduite par le décret du 22 septembre 2004 comporte d’une part un contrôle d’identité déguisé potentiellement anonyme et, de l’autre, la violation de la confidentialité d’une information à caractère nominatif et privé qui se trouve ainsi exposée à la curiosité des autres voyageurs. Un éventuel étiquetage des bagages pourrait très bien être codé et n’a pas besoin d’être nominatif. Et pourquoi contraindre le voyageur à dévoiler son identité, si une fouille du bagage suspect de contenir un explosif ou une arme ne découvre rien d’anormal ?

On semble avoir affaire, plus qu’à des mesures de prévention contre un éventuel attentat, à l’idéologie sécuritaire et autoritaire du « on veut savoir qui… ». Mais qu’est-ce qu’on veut savoir, au juste, et pour quoi faire ? La SNCF n’a pas procédé à une réelle application des dispositions du décret 2004-1022, ce qui constitue en soi un aveu des dangers potentiels qu’elles comportent.

La requête demandant l’annulation de ce décret se trouve inscrite au rôle de l’audience publique de la 2ème Sous-Section du Contentieux du Conseil d’Etat du jeudi 15 juin, à 9h30.