Assurément, le paternalisme à l’égard des Noirs trouvera toujours de nouveaux adeptes dans ce pays. C’est définitivement une posture d’avenir. Voici donc un conseil religieux communautaire qui désire réécrire l’histoire des Noirs tout en interdisant à ces mêmes Noirs d’évoquer la leur sous menace d’accusation d’antisémitisme.

Mais à force de prendre les Noirs pour des imbéciles, des grands enfants et de croire que les problèmes que le CRIF a avec quelques uns d’entre eux lui permet de dire n’importe quoi sur leur histoire, l’ on va finir par voir des gens, non-concernés par ces faux-débats jusqu’ici, venir se jeter dans la bataille face aux énormités proférées. Il y a un an, le CRIF triomphait suite à un dossier du Nouvel Observateur titré « la vérité sur l’esclavage » et envoyait ce communiqué que l’on peut lire sur son site ( les mots en gras sont présentés ainsi dans le document d’origine ) :

{« Dossier spécial sur l’esclavage 04/03/05 – – : Histoire

Dans un dossier spécial sur l’esclavage, le Nouvel Observateur explique ce qu’a été la traite des Noirs. Le magazine revient notamment sur le Code noir, dont le premier article stipule que les marchands juifs ne participaient pas à la traite atlantique puisqu’ils étaient exclu des îles : «Enjoignons à tous nos officiers de chasser hors de nos îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d’en sortir dans trois mois, à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens.»}

Ainsi donc, le CRIF se permet d’affirmer des choses aussi péremptoirement sur la base d’un article du seul Code noir. Alain Finkielkraut avait déjà utilisé cette argutie dans son émission du dimanche sur RCJ. En réalité, cet article ne dit absolument pas ce que le CRIF prétend et comprend : l’article exige l’expulsion des Juifs des colonies françaises, ce qui présuppose donc qu’ils y sont. S’ils y sont, est-ce en tant qu’esclaves ? Bien sûr que non mais le fait de dénoncer l’antisémitisme ne justifie pas que l’on dise n’importe quoi et que l’on alimente l’idée que tous ceux qui ne sont pas d’accord avec le discours du CRIF sont des antisémites.

Éric Zemmour, Alain Finkielkraut, Élisabeth Lévy, qui se fichent de l’histoire des Noirs comme de leurs premières chemises, se répandent depuis des mois en calomniant les Noirs à quasiment chacune de leur sortie, tout cela pour relativiser cette chose qui n’est qu’une petite chose propre à toutes les civilisations disent-ils. Ils martèlent leurs « vérités » et accusent les Noirs d’être les inventeurs de la traite des Noirs. Mais personne n’est là pour les contredire et eux ne sont pas racistes mais juste des gens courageux.

Dans ce sens, le dossier du Nouvel Observateur – qui est pris par le CRIF en référence – ne relève que de la manipulation. Reprenons le passage de Laurent Lemire :

{« Les marchands juifs participent-ils à la traite atlantique?
_ Faux. Et la meilleure preuve qu’il s’agit là d’une élucubration sans réalité historique figure dans le Code noir, promulgué en 1685 par Louis XIV. Le premier article de ce texte qui réglemente l’esclavage aux Antilles, en Guyane et en Louisiane exclut formellement les juifs des territoires concernés:  » Enjoignons à tous nos officiers de chasser hors de nos îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d’en sortir dans trois mois, à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens. » A La Rochelle, Nantes et Bordeaux, de grandes familles protestantes ont en revanche prospéré grâce au commerce triangulaire » }

Nous revoici donc avec l’alibi du Code noir instrumenté à des fins de disculpation. C’est écrit dedans, donc c’est bien la preuve qu’il n’y a pas de Juifs impliqués dans ce commerce et ceux qui affirment le contraire ne sont que des rejetons d’ Adolf Farrakhan – à moins que ce ne soit de Louis Hitler. _ Mais qu’est-ce que des Juifs font dans ces îles et pourquoi le Code noir veut-il les en chasser ?

Une tribune de Libération ( février 2005 ) de Maistre, Mendès-France et Taube répond à cette question : {« Il existe un moyen très simple de clouer le bec à tous les Dieudonné qui essaient de mettre en concurrence les porteurs de mémoires des génocides et autres crimes contre l’humanité. Il suffit de relire l’article 1 du code noir par lequel, en 1685, Louis XIV instaura l’esclavage dans le royaume de France […]
L’acte même de fondation de l’esclavage intégra donc les juifs dans la communauté des exclus. Ce texte nous apprend ce que savent la majorité des juifs : les victimes des horreurs criminelles de l’Occident furent, sont et seront toujours solidaires par respect mutuel entre elles.» }

Le Code noir n’est pas l’ « acte de fondation de l’esclavage » mais l’acte codifiant officiellement le statut des esclaves. L’esclavage existait avant le Code noir. Nous tournons donc en rond et l’on pourrait continuer ainsi pendant longtemps. Nous allons pourtant voir ci-après les véritables raisons de l’évocation des Juifs dans le Code noir.

Tout commence en 1533, au Brésil, avec l’or blanc : le sucre. Les Portugais du Brésil maîtrisent parfaitement la fabrication de cette substance et ont une industrie sucrière des plus productives. Lorsque le Code noir est rédigé en 1685 les Portugais ont plus de 300 sucreries qui font leur fortune, car le sucre est à la base de la composition des confiseries et autres pâtisseries qui font fureur au Portugal chez les nobles et les bourgeois.
_ Constatant ce nouveau filon, toutes les autres nations esclavagistes se mettent en tête d’imiter les Portugais avec plus ou moins de réussite. Les Espagnols ont, dès 1540, des sucreries à Saint-Domingue. Les Anglais arriveront plus tard.

De leur côté, les Français de Martinique, très en retard dans ce domaine, peinent à maîtriser la fabrication de l’or blanc. Selon l’historien Armand Nicolas,

« à la Martinique, avant 1654, tous les efforts ont abouti à l’échec et aucune sucrerie ne fonctionne. On obtient qu’une sorte de bouillie noirâtre. Il faudra l’arrivée en Martinique en 1654 des Hollandais ( juifs surtout ), chassés du Brésil par les Portugais, pour qu’ils apportent le secret de fabrication et de raffinage du sucre ainsi que les moules où le sucre se cristallise. Ils sont accompagnés d’esclaves noirs qui sont déjà expérimentés dans ce domaine »

( Armand Nicolas « Histoire de la Martinique » Tome 1, page 73 et 74, éditions l’Harmattan )

En 1496, les Juifs du Portugal sont chassés du pays et lorsque l’Inquisition s’intensifie ils fuient en nombre vers les colonies de l’Empire. Dans son livre « Au temps des îsles » (éditions Tallandier p. 103 ), Christian Bouyer, professeur agrégé d’histoire-géographie et docteur en Études européennes, nous avise sur l’arrivée de ces Juifs dans les colonies américaines suite à l’intolérance religieuse qui se propage dans la péninsule ibérique :

{« (…) les départs [des Juifs] vers les colonies s’amplifient vers Madère et les Açores, où le sucre est cultivé. Surtout, ils sont aidés depuis le décret de 1516 du roi Manuel pour émigrer au Brésil et s’y consacrer à la production du sucre. L’État les aide à s’installer, à créer des plantations et produire avec des techniques efficaces. Ils vont devenir  » les agents les plus actifs dans la conquête du marché du sucre au Brésil durant le premier centenaire de la colonisation » . Dans la Province de Pernambouc, ils représentent près de la moitié de la population sous l’autorité bienveillante des Hollandais après 1630. Lorsqu’en 1654, les Portugais occupent la province, les Juifs sont expulsés en même temps que les Hollandais et se dirigent vers la Guyane et les Antilles
[…]
_ L’essor de la canne à sucre est amorcé. En fait, les juifs brésiliens sont davantage des négociants que des planteurs. Ils connaissent parfaitement les rouages de ce commerce et possèdent aussi les techniques les plus modernes. Devenus partie prenante dans la culture de la canne, ils vont se placer en position de contrôle de la production »}

Chassés du Brésil après la reconquête d’une partie de la colonie sur les Hollandais, les Juifs, dont un grand nombre sont des financiers de l’industrie sucrière, embarquent sur des navires en direction des colonies françaises avec leurs esclaves noirs. C’est ainsi qu’en arrivant en Martinique, ils font face à l’intolérance des Jésuites qui exigent du gouverneur de la Martinique, M. du Parquet, qu’il les refoule. Rejetés, ils iront proposer leur service à la Guadeloupe, où le gouverneur Charles Houël les accueille à bras ouverts. Deux autres navires de Juifs portugais et d’Hollandais suivront par la suite et demanderont refuge dans la colonie. Face à l’intégration des Juifs de Guadeloupe et aux bénéfices que les Français peuvent tirer du savoir-faire des Portugais, M. du Parquet accepte d’accueillir les immigrants brésiliens en Martinique malgré la colère des religieux. « Peu de temps après, un grand navire arriva [du Brésil], rempli de Juifs, le tout faisant 300 » ( Christian Bouyer, p.103 ).

Des terres près de Fort-de-France leur seront attribuées et l’un d’eux, Benjamin da Costa sera l’un des premiers à faire fortune dans le sucre.

En 15 ans, la Martinique devient un respectable producteur de sucre de canne grâce au savoir-faire apporté par ces nouveaux arrivants. C’est le « triomphe de la canne [qui] fut à l’origine d’une véritable révolution économique et sociale » ( Armand Nicolas. p. 74). La culture de canne est très gourmande en superficie de terres cultivables et la rapacité des colons français se voit justifier par la réalité des faits : 117 sucreries sont construites en 15 ans et la Martinique annonce un revenu annuel de 10 millions de livres. La folie du sucre s’empare totalement des colons qui rêvent de faire fortune. Mais la Martinique n’est pas intégralement entre les mains des Français car une partie de l’île est « occupée » par les « sauvages » – c’est ainsi que les Français appellent les Indiens Caraïbes. En 1658, les Français lanceront un raid-surprise afin de massacrer les Caraïbes et prendre possession de l’entièreté de l’île. Femmes, hommes et enfants sont décimés. Les quelques survivants s’enfuient dans les îles voisines rejoindre leurs cousins Caraïbes. La Martinique ethniquement nettoyée, le révérend Père Boulogne, de l’Ordre des Dominicains, plantera les armes et les Croix du roi pour entériner définitivement la possession d’une nouvelle terre au nom du roi et au détriment des « païens sauvages »

La référence aux Juifs dans le premier article du Code noir n’est donc pas inopinée. Elle n’est que le fruit de l’intolérance religieuse à l’égard des Juifs ainsi que de la jalousie des Français face à la foudroyante réussite des Sépharades dans l’industrie sucrière alors qu’ils sont arrivés bien après les colons. C’est cette jalousie qui ordonne, dès le premier article du Code noir, leur mention afin de réserver le filon rentable de la traite des Noirs et de l’esclavage aux seuls Catholiques français.

Aussi l’on ne peut être que terrifié de lire sous la plume de Laurent Lemire une énormité comme « il s’agit là d’une élucubration sans réalité historique » à propos de la présence de Juifs. Non seulement cela est faux mais le plus grave est que toutes ces informations sont données par le Père Révérend du Tertre dans le Tome 1 de « Histoire générale des Antilles Habitée par les Français », dans lequel les pages 460 à 463 évoquent l’arrivée de ces Sépharades dans les colonies françaises. Comment Laurent Lemire peut-il avoir le culot de prétendre que cela n’est qu’élucubration sans réalité historique ? Cette affirmation n’est pas faite dans un cadre critiquant l’idée que c’étaient les Juifs qui contrôlaient TOUT le commerce esclavagiste, puisqu’il va de soi que c’est faux. Mais ils étaient présents en nombre, et affirmer le contraire est aussi grave que ce qui motive ce mensonge éhonté. Surtout lorsqu’en plus un chantage perpétuel à l’antisémitisme est pratiqué. Cette réalité n’est pas une thèse. Christian Bouyer :

« Il y a d’abord le Code noir, qui souhaite mettre un terme à la présence des juifs sépharades. Dans son premier paragraphe, le Code indique :  » Enjoignons à tous nos officiers de chasser hors de nos îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d’en sortir dans trois mois  » (…) »

Dès 1670, Colbert parle de l’exclusif, en d’autres termes, le commerce des colonies ne doit appartenir qu’aux seuls colons français qui commercent avec la métropole. Il faut arrêter l’hémorragie des colonies de peuplement d’étrangers pour s’inscrire dans une colonisation de production sucrière au bénéfice de la France. C’est une consigne de Colbert que Pélissier, le directeur de la Compagnie des Indes Occidentales se fait fort d’appliquer. Le cas des étrangers étant réglé en deux ans, reste celui des Juifs…Et c’est le Code noir de Colbert qui s’en chargera en les chassant des îles françaises.

© Kahm Piankhy Juin 2006 – Texte libre d’utilisation, conditionné par la citation de la source –

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Source :

Armand Nicolas « Histoire de la Martinique » Tome 1, éditions l’Harmattan

Christian Bouyer « Au temps des îsles », éditions Tallandier

Émile Eadie « Les Sépharades et l’expansion des activités sucrières aux Caraïbes au XVIIIé siècle » ; Mordechai Arbell «comfortable disappearance, lessons from the Caribbean jewish experience » in Lettre Sépharade n°31 – Sept. 99, page 12