Dili, 25 mai 2006

« Comme vous pouvez le constater [depuis la France], aucune information, exactement comme pendant les 25 dernières années, et une ambassade portugaise débordée qui ne pourra pas nous évacuer, seulement nous accueillir au sein de l’ambassade en cas de reel probleme !! »

Dili, 25 mai 2006, 16h30

Cela faisait maintenant près d’un mois que la situation à Dili (capitale du Timor Oriental) avait retrouvé son calme. C’était surement trop calme pour certains et les rumeurs qui couraient en ville étaient plutôt inquietantes.
En effet, Vendredi 28 avril dernier, une simple manifestation allait devenir critique. Des conflits entre des manifestants (en majorité des groupes opposants), la police (PDTL), et les forces armées (FDTL) allait provoquer la mort de plusieurs timorais. Selon les journaux locaux et australiens, on parlait de cinq à dix morts. Les populations locales en comptent près de 30, sans compter les blesses et les centaines de maisons et voitures brulees dans la banlieue de Taci Tolu et dans le centre ville, en face des bureaux du gouvernement.
Dans un autre pays, cela ne serait pas forcement alarmant, mais au Timor, c’est une autre histoire. Cela fait maintenant pres de quatre ans que ce pays a obtenu son independance dans les larmes et le sang. Après des siecles de colonisation portugaise et vingt-quatre ans d’occupation indonesienne, ce tout nouveau pays ne semble pas s’être reveille de son cauchemar.
Avec plus de 75% de taux de chomage et un PIB par habitant des plus bas en Asie du Sud-Est, le Timor Oriental reste le pays le plus pauvre de la region.
Ce qui se passe aujourd’hui ne laisse pas penser que la situation va en s’ameliorant. Les raisons de ces derniers evenements sont floues, et pourtant cela revele un traumatisme profond. Il y a de cela quelques mois, près de 600 militaires timorais étaient expulses de l’armée pour des raisons peu claires et surtout du jour au lendemain sans indemnites ni aide pour retrouver un travail. D’un autre cote et cela depuis longtemps, des tensions est-ouest existent au sein meme du Timor Oriental (les trois districts les plus à l’Est contre les dix autres districts du pays, qui ne parlent pas le meme dialecte). Enfin, des groupes opposants veulent renverser le gouvernement a cause d’une situation au Timor qui n’a pas evoluee depuis 2002.
Tous ces problemes expliquent les evenements qui se sont passes il y a un mois et qui viennent juste de recommencer aujourd’hui mais de facon beaucoup plus serieuse.
En effet aujourd’hui, jeudi 25 mai 2006, les conflits ont repris tout autour de Dili, les forces armees australiennes, neo-zelandaises, malaisiennes sont venus au secours des forces armees timoraises (FDTL) afin de calmer une situation qui pourrait bien vite degenerer.
Deja, les expatries australiens et americains sont evacues de force du pays et les autres ambassades sont en attente.
Selon les messages que nous recevons d’une amie qui était dans les bureaux du ministere des Affaires Etrangeres aujourd’hui avec Jose Ramos Horta (ministre des Affaires Etrangeres et Prix Nobel durant l’occupation indonésienne), nous suivons plus ou moins les informations. La situation en centre ville est très tendue, les coups de feu sont constants. D’apres d’autres sources il y aurait deja une vingtaine de morts et peut-être meme un membre de l’ONU. Cela pourrait provoquer le depart de ces derniers (qui de toute facon n’ont pas ici le pouvoir d’attaquer).
Il semblerait maintenant que meme la police et les forces armees aient attaque les batiments du gouvernement obligeant notre amie ainsi que les autres à se cacher sous les tables. Ceci devient de plus en plus complique a comprendre, il semble que tout le monde se bat contre tout le monde. Un possible coup d’Etat ne serait non plus surprenant !
La population civile semble cependant plus calme qu’il y a un mois mais les rues sont tout de meme desertes.
Afin d’accompagner une amie australienne à l’aeroport, nous avons risque une sortie avec Gabi (de l’école d’art). Elle n’avait jamais vu autant de journalistes. Ces derniers interviewant des commandants australiens et neo-zelandais tout juste arrives.
La situation semble a cette heure-ci se calmer. Il est 16h30 et les coups de feu se font plus rares mais la situation est loin d’etre calme, elle ne fait que commencer.
Il y a une heure de cela, nous étions au portail de l’ecole quand soudain des coups de feu très proches nous surprennent et nous obligent a courir a l’interieur. Tout peut recommencer et plus violemment lorsque la nuit tombe.
De plus, il y a toujours ces 600 militaires, prets a prendre reellement leur revanche qui se sont cachés, avec des armes, il y a un mois de cela dans les montagnes, et qui n’attendent que le feu vert de leur commandant pour descendre sur Dili.
Il est question que les « peace keepers » de l’ONU débarquent à Dili prochainement. Leur premiere mission serait de desarmer tous les groupes opposants, la police et les forces armees timoraises.

Dili, 26 mai 2006

« Je suis hallucinee moi aussi que les informations ne passent pas, je viens juste de recevoir un message de l’ambassade de Jakarta me prevenant enfin que si il y avait le moindre probleme ils seraient la! »

Dili, 26 mai 2006, 16h

Encore cette nuit des coups de feu. Mais aussi, et de plus en plus nombreux, des helicopteres militaires australiens controlant la ville.
Ce matin, je me reveille, le pain qui normalement est livre à l’école n’est pas livre. On se contentera d’un cafe. Ce marchand a surement du se refugier dans les montagnes avec sa famille…
Comme depuis un certain temps, je vais au portail pour aller aux nouvelles. On m’apprend qu’entre 200 et 300 militaires malais vont baser leur campement dans Arte Moris. En effet, l’espace est grand et se situe juste a cote de l’academie de police.
On va donc se retrouver bien en securite avec des militaires armes jusqu’au cou ! Et oui, en tant de guerre tout est possible, un lieu culturel rempli d’artistes rasta va abriter des forces armees pour une duree indeterminee. On a entendu dire que les militaires australiens vont rester un minimum de six mois et peut-etre meme installer une base militaire au Timor.
Desormais il n’y a plus de coup de feu mais des militaires armes surveillant les rues avec leurs enormes fusils. Cela fait bizarre de se retrouver en face de ces mastodontes.
Vers 10h, je suis sortie en voiture avec Gabi pour aller chercher quelques legumes. Le chauffeur habituel (qui est un eleve de l’ecole d’art) a eu peur d’aller faire les courses. Tout autour des ambassades (australiennes, americaines, portugaises) il y a des centaines de refugies qui tentent de rentrer. Les ambassadeurs n’ont pourtant absolument pas le droit de les laisser passer (le mois dernier, l’ambassade portugaise a accepte, et desormais l’ambassadeur a de serieux problemes).
En passant, nous avons apercu un chauffeur de taxi qui s’est fait frappe (un gars de l’Est contre un gars de l’Ouest).
Tous les supermarches sont fermes, il ne reste que quelques legumes sur le marche local. Un autre marche existait, mais il y a un mois, ce fameux vendredi 28 avril, il a entierement brule. En rentrant, paniques, des eleves demandent si on peut aller chercher leurs familles qui habitent dans des zones pas tellement sures la nuit.
On repart alors…Au loin on voit des maisons qui brulent. Lorsqu’on arrive dans le quartier en question, tout est beaucoup plus calme. Les timorais ne nous saluent plus, ils ont un regard inquiet et froid. C’est un des quartiers ou les premiers affrontements ont eu lieu entre les FDTL et les groupes opposants. Plus loin 5 ou 6 camions de militaires timorais et australiens, tous avec leur fusil. On empreinte alors des routes de terre incroyablement etroites, dans un etat pitoyable, ce qui nous oblige a rouler tres doucement. Situation ideale pour se faire attaquer (la nuit seulement, il y a trop de militaires desormais). C’est une des rares fois ou j’avais hate de partir d’un endroit. On arrive en face d’une maison completement fermee. C’est la ou nous sommes censes recuperer une famille. Apres cinq minutes on était finalement huit dans ce 4X4, sans oublier tous leurs objets de valeurs (TV, radio, couvertures, coussins, riz, eau…)

Dili, 30 mai 2006, 15h

Il faut bien reprendre un rythme normal mais la situation est loin d’etre stable. A priori, il y aurait une réunion afin de savoir qui doit rester au sein du gouvernement et qui doit partir. Mr Lobato, ministre de l’intérieur serait suppose partir. Cependant, Mari Alkatiri, premier ministre, resterait au pouvoir car trop de timorais sont en accord avec sa politique. Ce qui laisse pourtant plus de la moitie de la population mecontente.
D’un autre cote, les troupes australiennes et malaisiennes sont censees rester au moins 3 mois. Ils inspectent tous les jours les routes et les differents quartiers. Cependant la situation se complique car apparemment ce sont desormais les gangs est-ouest qui se bagarrent. Ces derniers sont beaucoup plus durs a calmer et a controler. Il y en a des dizaines et des dizaines. Les australiens et malaisiens ne sont donc pas en nombre suffisant pour tout controler.
Ce matin nous avons eu un peu peur. De chaque cote de notre rue, il y avait une bagarre, les uns coursant les autres. Nous nous retrouvions encercles avec la peur que certains d’entre eux se refugient chez nous et que le gang oppose les poursuive jusque dans l’ecole (armes d’enormes pierres).
Ayant l’academie de police à cote, nous y sommes alles (pour la deuxieme fois), un peu enerves car aucun d’entre eux n’a en realite le pouvoir de se placer en face de notre ecole afin d’assurer une securite. Nous nous sommes retrouves a discuter avec ce commandant afin qu’il trouve une solution pour proteger nos refugies. De carte en carte pour comprendre quel endroit etait sous couvert de l’armee australienne, malaisienne ou portugaise, je realisais et demandais pourquoi finalement notre route n’etait ni sous la protection australienne, ni sous la protection malaisienne !! Ils ont fini par nous dire qu’ils n’etaient pas assez nombreux pour placer deux soldats en face de notre ecole mais qu’ils allaient voir ce qu’ils pouvaient faire.
Apres une rapide assiette de riz, nous avons du repartir pour la enieme fois dans le seul supermarche qui a ose rouvrir, des chinois – il se dit ici que si les chinois ferment leur magasin c’est que c’est reellement sérieux ! En effet, le probleme desormais c’est la nourriture. Si la situation perdure, nous allons manquer de riz et d’eau pour nos refugies. Sans compter les coupures d’eau et d’electricite de plus en plus frequentes.
La situation est vraiment instable. Nous n’avons toujours pas de reelle reponse de la part du gouvernement. Les militaires ne sont pas assez nombreux et il devient de plus en plus complique de controler tous ces gangs qui se multiplient.
Ce qui est inquietant c’est que cette population, qui a toujours vecue dans la violence et la corruption, n’a pas peur de se battre. N’ayant ni travail, ni education, se battre devient leur seule occupation…

Dili, 31 mai 2006

« L’autre francaise a pris un avion pour Darwin, comme je te disais, quasiment tous les etrangers sont partis… »

« Je dois faire l’infirmiere pour nos quelques 400 refugies »

« Maintenant il y a même un couvre-feu entre 20h et 6h. »