Vous trouverez ci-joint un long article (12 pages) de Michel Staszewski, membre de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB) , daté de janvier 2006 paru dans Les Cahiers du Libre Examen, revue du Cercle du Libre Examen de l’Université Libre de Bruxelles, n° 43 – mars 2006, pp. 15 à 34.

Ce texte est aussi publié par l’Union Juive Française pour la Paix (Ujfp , site www.ujfp.org ; le site, de création récente, reprend une partie des textes de l’Ujfp)

Le site de l’UPJB http://www.upjb.be/

A noter que l’Ujfp et l’UPJB font partie du réseau  » JUIFS EUROPEENS POUR UNE PAIX JUSTE », reroupant 17 organisations juives européennes, pour réclamer une paix juste au Proche-Orient

Patrice Bardet (membre de l’UJFP
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brève présentation des chapîtres (et sans les notes de bas de page) :

Juif et antisioniste : une perversion ?

Pour répondre à cette question, il faut d’abord s’entendre sur le sens qu’on donne aux termes « juif », « sioniste » et « antisioniste », car une grande confusion règne actuellement sur le sens de ces mots.

juif » ou « Juif » ?

_ Pour beaucoup de gens, les juifs (dans ce cas écrit avec un « j » minuscule) sont les adeptes du judaïsme, une religion monothéiste, un point c’est tout. Le problème est, particulièrement en Europe, que de nombreux Juifs ont perdu la foi ou n’ont jamais cru en Dieu mais continuent à se définir comme juifs.
_ Comment l’expliquer ?

(…)

Sionismes

_ Pour « Le Petit Robert » le sionisme est un

« mouvement politique et religieux, visant à l’établissement puis à la consolidation d’un Etat juif (la nouvelle Sion) en Palestine »

. Denis Charbit a réuni dans un
volumineux ouvrage de nombreux écrits et discours émanant de penseurs et de dirigeants sionistes. S’y manifeste à la fois la diversité de la pensée sioniste mais aussi ce qui fait son unité :

« Le programme commun admis par tous les courants dits sionistes découle en premier lieu d’une affirmation de principe essentielle : les Juifs constituent une nation. »

Sur cette base, le sionisme {« se résume, toutes tendances confondues, par :
_ 1) L’aspiration au rassemblement national des Juifs sur un même territoire.
_ 2) La revendication d’« Eretz Israël » 6 comme le lieu unique, nécessaire et désirable, de ce rassemblement (…).
_ 3) La revendication d’un régime d’autonomie la plus large possible afin de permettre aux Juifs de déterminer leur destin collectif.
_ 4) Enfin, l’adoption de l’hébreu comme langue de communication quotidienne entre les Juifs installés en Palestine »}

Je fais mienne cette définition résumée.

Notons cependant qu’aujourd’hui, de nombreux partisans déclarés du sionisme le présentent comme le

« mouvement de libération nationale du peuple juif »

. Sur base d’une telle définition, tout opposant au sionisme peut être taxé d’antisémitisme puisque opposé à la

«libération des Juifs ».

(…)

Antisionismes

_ Le Petit Robert ne comporte pas de définition de l’antisionisme. On peut tout de même déduire de la définition qu’il propose du sionisme que l’antisionisme serait l’opposition au {« mouvement politique et
religieux, visant à l’établissement puis à la consolidation d’un Etat juif (la nouvelle Sion) en Palestine. »}

Les sionistes définissent en général les antisionistes comme des partisans de la destruction de l’Etat d’Israël. Mais qu’entendent-ils par là ? Que les opposants au sionisme veulent

« jeter les Juifs (israéliens)à la mer »

comme on l’entend souvent dire ? En réalité les choses sont plus complexes.

(…)

Pourquoi, aujourd’hui, tant de Juifs adhèrentils au Sionisme ?

_ Dans le dernier quart du XIXe et au début du XXe siècle, les communautés juives d’Europe furent victimes de nombreuses manifestations d’antisémitisme dont les pires furent les pogroms perpétrés dans l’Empire russe, qui coûtèrent la vie à des milliers de personnes. Contemporain de ces tragiques événements, Theodor Herzl (1860-1904), journaliste juif hongrois, fut un témoin privilégié des violences antisémites qui ponctuèrent, en France, l’affaire Dreyfus. Il en conclut que si même le pays de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 pouvait être touché à ce point par des manifestations de haine antisémite, il ne restait qu’une seule solution aux Juifs pour vivre en paix : la séparation d’avec les nonjuifs par le regroupement des Juifs dans un Etat qui leur serait propre. Son ouvrage,

L’Etat des Juifs

, publié en 1896, fut le livre fondateur du sionisme politique. Le premier congrès sioniste fut réuni à Bâle en 1897.

Ce projet politique fut donc fondé sur la conviction qu’une cohabitation harmonieuse entre les minorités juives et les populations non juives majoritaires dans les Etats où ils vivaient était décidément impossible.

Mais jusqu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l’idéologie sioniste resta minoritaire parmi les Juifs européens et quasi absente des autres communautés juives dont les membres vivaient généralement en bonne entente avec leurs voisins non juifs. Le sionisme n’est devenu l’idéologie dominante dans la plupart des communautés juives qu’après la Deuxième Guerre mondiale.

Comment l’expliquer ?

(…)

Le « complexe de Massada » à l’œuvre en Belgique : un exemple

En juin 2004, quatre jeunes Juifs religieux sortant d’une école talmudique située à Wilrijk (banlieue d’Anvers) étaient agressés par plusieurs jeunes dont l’un blessa grièvement un des écoliers, d’un coup de couteau. Dès le lendemain, de nombreuses manifestations d’indignation témoignèrent d’une émotion partagée par une grande partie de l’opinion publique face à cette agression très vraisemblablement de nature antisémite. Trois jours après le drame, une manifestation de protestation eut lieu à Bruxelles. Elle fut organisée par le Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique (C.C.O.J.B.) qui regroupe la majorité des associations juives de ce pays. Cet événement se déroula au « Mémorial aux Martyrs Juifs de Belgique ». Ce monument, inauguré en 1970, est un lieu hautement symbolique puisqu’on y trouve, gravés dans la pierre, les noms de plus de 24.000 Juifs déportés vers Auschwitz au départ de Malines et qui n’en sont pas revenus. Le mémorial est situé au cœur d’un quartier populaire d’Anderlecht (commune de l’agglomération bruxelloise), où les familles de Juifs immigrés habitaient jadis nombreux; actuellement ce sont des familles d’origine maghrébine qui constituent la majorité des habitants d’origine étrangère de ce quartier.

(….)

Les ravages du « sécuritisme »

_ Dans le contexte de l’« après 11 septembre 2001 » et de la « guerre contre le terrorisme international », cette tendance au repli sur sa communauté, au refus de rencontrer l’Autre ou certains « Autres » perçus comme inquiétants voire menaçants sont des phénomènes qui se développent, bien au delà de la communauté juive. L’idéologie « sécuritaire » fait des ravages. Si au XIXe siècle, les nantis qualifiaient
de « classes dangereuses » l’immense majorité pauvre de la population, la seconde moitié du XXe siècle a vu apparaître le concept de « quartiers difficiles » et aussi la réalité des quartiers riches séparés, parfois hermétiquement, de leur environnement plus « populaire ».

(….)

Pourquoi beaucoup de Juifs, qu’ils soient israéliens ou non, confondent-ils antisémitisme et antisionisme ?

Certains opposants au sionisme sont antisémites, cela ne fait aucun doute. Mais il existe aussi des sionistes antisémites. En effet, nombreux sont les non juifs qui se proclament sionistes et, depuis la naissance du mouvement sioniste, des antisémites ont souvent applaudi des deux mains à l’idée du regroupement des Juifs dans un Etat qui leur serait propre (« qu’ils rentrent dans leur pays ! »). Aux Etats Unis, de puissants groupes de chrétiens fondamentalistes s’affirment sionistes et soutiennent l’Etat d’Israël … comme la corde soutient le pendu : ils militent pour le rassemblement de tous les Juifs en Palestine, préalable indispensable, selon eux, au jugement dernier auquel ils aspirent … mais à l’occasion duquel ne seront sauvées que les âmes de ceux qui auront adhéré au christianisme.

Il n’est pas vrai non plus que tout opposant à cette idéologie est leur ennemi. Certaines personnes ou courants se présentant comme antisionistes aspirent sans doute à ce que les Juifs soient chassés du ProcheOrient.
_ Mais ce n’est certainement pas le cas de la majorité d’entre eux. Ce que les opposants au sionisme ont en commun n’est pas l’opposition à l’existence de l’Etat d’Israël mais bien à sa définition comme « Etat juif » ou « Etat des Juifs » autrement dit au fait que les Juifs du monde entier y soient les bienvenus alors que les Arabes palestiniens y sont ou bien tolérés (il s’agit des descendants de la minorité demeurée sur place après la première israéloarabe, celle de 1948) ou bien interdits de séjour.

Mais un grand nombre de Juifs considèrent de bonne foi que le fait d’être partisan de la transformation d’Israël d’un « Etat juif » en un «Etat de tous ses citoyens» est une manifestation d’antisémitisme.
_ Comment l’expliquer ?

Tout simplement parce qu’ils sont imprégnés de l’idéologie sioniste.

(…)

Mon antisionisme

Le sionisme a-t-il réussi ?

A première vue oui puisque son objectif était la création d’un « Etat des Juifs » en Palestine et que cet Etat existe et est reconnu par la Communauté internationale depuis plus d’un demi siècle.

En réalité, si on y regarde de plus près, c’est un échec cuisant :

(…)

Aujourd’hui, l’idéal sioniste d’un Israël, « Etat des Juifs » sert à justifier l’injustifiable :
– les nombreuses discriminations à l’encontre du million de Palestiniens qui sont citoyens de l’Etat d’Israël 30 ;
– l’occupation et la colonisation des territoires conquis en 1967 que sont Jérusalem est, Cisjordanie et le plateau syrien du Golan ;
– les confiscations de terres ;
– le pillage des ressources en eau ;
– les destructions de bâtiments ;
– les arrachages de dizaines de milliers d’arbres ;
– les couvrefeux;
– les « bouclages » des villes et villages palestiniens de Cisjordanie ;
– l’interdiction our tout citoyen Israélien de se rendre dans ces villages et ces villes : cette mesure, officiellement justifiée par des raisons de sécurité, contribue efficacement à empêcher les rencontres entre Israéliens et Palestiniens de Cisjordanie ; rien de tel pour favoriser encore plus la peur de l’Autre et sa diabolisation ;
– la construction, en territoire occupé, d’une « barrière de sécurité » de plusieurs centaines de kilomètres au prix d’immenses destructions, d’encore plus de confiscations de terres et de réserves d’eau ainsi que de très sévères restrictions à la liberté de circuler pour les Palestiniens
– les arrestations et les emprisonnements arbitraires ;
– les mauvais traitements infligés aux prisonniers ;
– les assassinats « ciblés » et leurs « dégâts collatéraux ».

(…)

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Je m’oppose à l’idéologie sioniste parce que la création, en Palestine, d’un « Etat refuge » pour les Juifs du monde entier s’est faite aux dépens du peuple palestinien alors que, dans les faits, l’existence de cet Etat ne met absolument pas les Juifs, qu’ils soient israéliens ou non, à l’abri des persécutions antisémites.

Je m’y oppose aussi parce que sa seule réponse à l’antisémitisme est le repli sur soi, concrétisé par l’appel au « retour » de tous les Juifs en « Terre promise ». Cette position s’accorde parfaitement aux discours xénophobes prônant le « chacun chez soi ».

Je ne suis pas opposé à l’existence de l’Etat d’Israël mais partisan de sa « désionisation ». Ceci implique qu’il renonce à être l’Etat des Juifs du monde entier pour devenir, comme toute démocratie digne de ce nom, un Etat traitant tous ses citoyens de la même manière.

Si je combats l’idéologie sioniste c’est parce qu’elle sert à justifier une politique contraire aux Droits de l’Homme qui a provoqué et aggrave sans cesse l’interminable malheur du peuple palestinien tout en conduisant à terme le peuple juif israélien tout droit vers l’abîme.

Michel Staszewski

, Janvier 2006

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