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Vous avez dit violence?

Un sujet à la mode

D. Friard

La violence est un sujet à la mode. On ne compte plus les séminaires, symposium, conférences, articles, ouvrages qui lui sont consacrés. La télévision fait frissonner le bourgeois qui sommeille en chacun de nous à chaque journal télévisé. La violence est partout. Dans nos  » étranges lucarnes « , les conducteurs de bus lapidés dans les banlieues succèdent aux mères de famille dont les enfants ont été violentés par d’affreux pédophiles. L’interview d’enseignant martyrisé par des hordes de collégiens sans repères devient l’exercice obligé pour journaliste débutant. La ménagère de moins de cinquante ans doit en avoir pour sa redevance. L’information n’est plus qu’un feuilleton américain à la française : un peu plus lent, un peu plus psychologique.

Les sociologues invités au Journal Télévisé comme experts expliquent doctement que plus qu’une flambée de violence, nous assistons à une multiplication de manifestations d’incivilité. Ils en rendent responsable la rupture du lien social, la faillite des institutions. Il suffirait donc d’introduire l’éducation civique à l’école pour que le problème soit en parti résolu.

Invité à décrire le point de vue des usagers de psychiatrie sur leur perception de la violence de l’institution, je n’en ferais rien. Leurs associations sont suffisamment développées pour que je ne substitue pas ma parole à la leur.
Il m’apparaît par contre nécessaire de prendre parti sur la question de la violence des institutions. Je ne ferais pas ici le tour de la question mais aborderais un préalable : celui de l’ouverture des institutions à l’extérieur.

La  » violence  » des institutions

Il suffit d’être parent d’élève et de participer à un Conseil d’Administration pour éprouver des envies de meurtre. Il suffit d’être usager des transports parisiens et d’être contrôlé pour la quatrième fois de la journée pour éprouver un agacement légitime. Il suffit de venir à une consultation dans un hôpital pour se demander si c’est l’institution qui est au service du public ou le contraire. Il suffit d’avoir attendu depuis deux heures dans une quelconque administration et de se faire dire que notre dossier ne peut pas être traité parce qu’il manque l’extrait de naissance de la grand-mère du petit cousin au quatrième degré pour avoir envie de tout casser. Et plus on dépend d’un nombre important d’institutions plus ce type de situation est fréquent.

La question n’est pas pourquoi tant de violence, mais pourquoi éclate-t-on si peu ? Il faut croire que nous avons bien intégré les interdits, que le lien social est suffisamment fort pour nous permettre de supporter ces vexations quotidiennes.

Lorsque je descends du R.E.R. à Champigny et que je vois une escouade de costumes verts, encadrés par une armada de C.R.S. ou d’inspecteurs look  » racaille  » contrôler les billets et que je sais que c’est moi qui les paye, que je sais qu’ils ne sont là que pour pister les chômeurs alors qu’il est impossible d’acheter un billet demi-tarif ailleurs qu’au guichet, j’aimerais qu’on me respecte. Lorsque sur le ton mielleux appris en formation continue le contrôleur me demande mon billet, lorsque je l’entends accentuer la première syllabe du  » Monsieur  » qui s’adresse à mon voisin qui se trouve pur hasard être marocain, lorsque s’agissant de verbaliser un client qui n’a pas de billet, il se dirige vers le plus jeune, le plus  » coloré  » des mes voisins, lequel a son billet je me demande qui est  » incivil « . Lorsque je me rends compte en prenant mon bus sous la pluie que l’abri-bus vient d’être supprimé et qu’aucun mot n’en informe l’usager je suis prêt à lancer des cailloux sur le premier bus qui passe.

Lorsque le principal du collège où va ma fille m’explique que le professeur de latin souffre de dépression et que c’est peut-être pour çà qu’elle insulte les élèves en leur disant qu’ils n’y arriveront pas, qu’ils sont bons à rien; lorsque les enseignants se plaignent que les parents ne sont pas concernés par la scolarité de leurs enfants et qu’ils persistent à organiser les conseils de classe à 14 heures, j’ai envie d’être un éléphant dans ce magasin de porcelaine.

Il suffit d’en être usager pour être confronté à la violence de l’institution.

L’institution psychiatrique a beaucoup évolué
En vingt ans, la psychiatrie a considérablement évolué (développement des structures extra-hospitalières, diminution du nombre de lits, développement de l’évaluation, etc.). Cette évolution est d’autant plus remarquable qu’aucun élément de progrès scientifique n’en est la cause.

Et pourtant …
– Bonjour Madame. Je suis le père de M. Foucault. Il ne va pas bien et je voudrais savoir si …
– Ecoutez, moi je ne peux rien vous dire au téléphone, il faudrait voir avec le médecin.
– Enfin madame, il recommence à entendre des voix, j’ai essayé de lui dire d’aller voir le D. Durkheim, mais il ne veux rien savoir. Je voudrais un conseil pour l’hospitaliser. Est-ce que je peux vous l’amener ?
-Je ne peux rien vous dire. Appeler le médecin demain matin. Il vous répondra. « 

Pourquoi est-ce si difficile d’expliquer à cet homme débordé par la souffrance de son fils que tout près de chez lui existe un Centre d’Accueil, qu’il y trouverait des soignants qui évalueraient avec lui ce qu’il est possible de mettre en place pour soulager et son fils et lui ? Hospitalisé, son fils le sera, il n’est plus possible de le contenir à domicile, mais deux jours plus tard. Entre temps il aura frappé son père.

Il faudrait se considérer comme un sujet et non pas comme un exécutant anonyme au service d’une institution qui ne reconnaît pas les individus.

Et pourtant :
–  » Claudine, comme tout est tranquille, je vais accompagner les patients de l’unité au Groupe Parole.
-Oui, tu vas te tourner les pouces et pendant ce temps là, moi je vais me taper tout le sale boulot. Merci beaucoup !
-Ben si tu préfères, moi je reste et je ferais tout le sale boulot. Comme çà, les patients seront accompagnés et le travail sera fait.
-J’vais certainement pas y aller à ton groupe Parole. Je déteste me tourner les pouces !
– ! ! ! « 
La jeune infirmière (programme 1992) pleine de bonne volonté reprendra-t-elle une initiative de ce genre ? Claudine (programme 1979) continuera à manifester pour la reconnaissance de son diplôme. Elle ne veut pas avoir le statut d’aide-soignante. Qu’importe ! Elle a la pratique d’une bureaucrate de la sécurité sociale.

Progrès, Qualité, Extra-hospitalier.
Les violences ou contre-violence infirmières tendent à être de plus en plus exceptionnelles. Elles se produisent lors de situations qui excèdent les capacités de réactions de soignants déboussolés, abandonnés à eux-mêmes par des cadres ou des médecins absents.

Lorsque l’on écoute certains soignants, les patients seraient de plus en plus violents. Les chambres d’isolement ne désempliraient plus. Les transgressions de divers ordres se multiplieraient (des insultes aux passages à l’acte graves en passant par le recours de plus en plus fréquent aux drogues douces). Ouverte sur l’extérieur, l’institution psychiatrique ne ferait qu’être confrontée à un phénomène social qui la dépasse et dont elle n’est pas responsable.

Intolérance à la frustration ?
Je soupèse mon trousseau de clés et je m’interroge.
–  » Dominique, je n’ai plus de cigarettes, je ne pourrais pas aller en chercher à la cafétéria ?
– Tout à l’heure. Vous voyez bien que je donne son bain à Mme Beauvoir. « 
Un peu plus loin, dix secondes plus tard.
–  » Haldol : vingt gouttes …
– Claudine, je peux sortir m’acheter des cigarettes ?
– Ecoutez M. Dubar, je ne peux pas préparer les traitements si je dois m’interrompre toutes les minutes pour ouvrir les portes. Vous êtes le cinquième en trois minutes. « 
Excédé, M. Dubar donne un coup de pied dans la porte fermée de l’unité.

Le soir, les infirmiers noteront sur le dossier de soin infirmier :
 » Ne supporte pas la frustration. Incapable de différer une demande. A donné des coups de pied dans la porte de l’unité. Trafique les cigarettes avec ses voisins de chambre. « 
Le lendemain, le traitement de M. Dubar sera augmenté.
Vous avez dit violence de l’institution ?

La loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation rappelle que  » toute personne hospitalisée avec son consentement pour des troubles mentaux est dite en hospitalisation libre « . Elle bénéficie alors des mêmes droits et statuts qu’un malade hospitalisé dans un service quelconque d’hôpital général. La circulaire du 19 juillet 1993 précise que les patients admis en Hospitalisation Libre ont le droit d’aller librement à l’intérieur de l’établissement où ils sont soignés. Ces malades, sous les réserves liées au bon fonctionnement du service, ont le droit de circuler librement dans le service et  » ne peuvent en aucun cas être installés dans des chambres fermées à clé ni a fortiori dans des chambres verrouillées. « 

Dans combien d’unités ces textes sont-ils respectés ? L’ouverture n’est elle pas l’exception et la fermeture la règle ?

L’application aveugle de cette règle pourrait impliquer la création d’unités ghetto au sein desquelles seraient enfermés les patients hospitalisés sous contrainte. L’histoire a montré que de telles unités deviennent vite chroniques et ne sont que des lieux où la contre-violence des soignants répond à la violence des patients.
Est-ce une raison pour maintenir le statu quo ?

Portes fermées !

Rien n’est plus simple que fermer les portes d’une unité. Les patients sont bien gardés. Ils ne peuvent sortir sans autorisation. L’obligation de sécurité est respectée. Psychiatres et infirmiers peuvent  » dormir  » tranquille. On note peut-être davantage d’agressivité ou de violence dans ces unités. Mais nous n’en sommes pas responsables. C’est une conséquence de la violence sociale. C’est l’effet des nouvelles pathologies. Il suffit d’isoler les plus vindicatifs et l’ordre règne à nouveau.
Si nous regardons d’un peu plus près, nous verrons que les temps d’hospitalisation sont plus importants, que la resocialisation des patients enfermés est plus difficile, qu’ils sont plus dépendants de l’institution.

Etre hospitalisé dans une unité fermée oblige le patient (c’est volontairement que je n’écris pas le sujet) à être constamment demandeur, quémandeur. Il doit constamment demander à l’infirmier de lui ouvrir la porte. Il doit justifier chaque sortie. Lorsqu’il revient de la cafétéria, du parc ou de permission, il doit sonner et attendre qu’un soignant soit suffisamment disponible pour ouvrir. Il n’est pas vrai que cette nécessité permet une meilleure relation avec le soignant qui ouvrant la porte peut demander comment s’est passée la sortie, la permission. Les écrits infirmiers se contentent de noter :  » Rentré de permission à 17 h 02 (pour montrer qu’il a deux minutes de retard) « ,  » S’est rendu à la cafétéria « , etc.

La fermeture des portes crée une relation de dépendance avec l’équipe soignante. A la régression impliquée par la pathologie, s’en ajoute une, créée par l’institution et son fonctionnement. Comment une personne ainsi infantilisée pourrait elle retrouver une autonomie suffisante pour prendre des décisions concernant sa vie, pour reprendre une activité professionnelle ?

L’infirmier, ainsi considéré comme un gardien des portes, finit lui-même par être persécuté par les demandes des patients. Il ne peut jamais être tranquille : qu’il soit en entretien, en train d’effectuer un soin délicat, de donner un bain, de préparer les traitements, d’animer un groupe sociothérapique, de s’accorder une pause café. Vous avez dit soignant ?

Lorsque le patient abuse, lorsqu’il remet en cause le fonctionnement de l’unité, du soignant lui-même, lorsque le patient met l’équipe en échec, il est tellement tentant de le faire attendre, de finir son café, d’achever ce que l’on est en train de faire avant d’ouvrir la porte. Prend ton temps petit homme, c’est tellement bon … de se sentir un petit peu puissant … Tes collègues de la sécurité sociale, de la préfecture, de la prison de la Santé connaissent les mêmes jouissances dérisoires.

Est-ce que l’activité infirmière c’est tourner cinquante fois par jour sa clé dans la serrure ?
Enfermé dans ses murs, le portier oublie qu’un extérieur existe. Le patient finit par être un objet de soins qu’il est inutile d’informer sur son traitement, sur ses conditions d’hospitalisation (de toute façon on ne respecte pas les textes). Ainsi objectivé, le patient, le schizophrène, le malade ne peut plus réagir qu’en malade, patient ou schizophrène. Qu’il se plaigne et il sera décrit comme persécuté, qu’il prenne sur lui et renonce, nous en ferons un apragmatique. La violence est ainsi inscrite dans son comportement. L’étonnant n’est pas qu’ils soit agressif ou violent mais qu’il le soit si peu. La prescription à la louche de neuroleptiques ne favorise certes pas la révolte !

La fermeture des portes finit ainsi par être une source constante de frictions entre portiers et soignés occultant même tout souci psychosociothérapique.

De ce point de vue, l’I.S.P. est beaucoup trop reconnu par les textes (il n’est pas besoin de diplôme d’Etat pour ouvrir ou fermer des portes).
Arrêtons de raconter n’importe quoi !
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle. Je soupèse mes clés en pensant aux fantômes de Tosquelles, de Lainé, et de tous les psychothérapeutes institutionnels. Après tant de combats, alors que nous fêtons aujourd’hui les trente ans de mai 68, il me semble désespérant de devoir rappeler de telles évidences !

Si l’ouverture des portes des unités implique une meilleure qualité de présence infirmière, elle est aussi plus économique psychiquement tant pour le soignant que pour le soigné. Projet d’équipe, l’ouverture des portes suppose une cohésion sans faille des différents partenaires de l’équipe pluridisciplinaire.

Le patient reconnu comme sujet sera informé de ses droits, de son traitement. Ouvrir les portes, çà n’est pas succomber au laxisme, les transgressions seront reprises en entretien médical ou infirmier. Ces entretiens seront pour le sujet l’occasion d’élaborer.

Utopie ?

Il existe heureusement de nombreuses unités ouvertes au sein desquelles personnes en H.O., en H.D.T. ou en H.L. cohabitent. Elles ne comptent pas davantage de sorties sans autorisations que les autres. Les  » fugueurs  » reviennent souvent plus facilement. Mon expérience personnelle montre qu’un sujet qui rechute consent d’autant plus facilement à être réhospitalisé qu’il sait qu’il le sera dans une unité ouverte.
Ouvrons nos institutions, nous pourrons ensuite commencer à réfléchir sur la violence.