Mesdames et messieurs les gouvernants, est-il donc si difficile pour vous de prendre en considération ce qu’il y a eu avant et ce qu’il y aura après vos décisions ?

En 2001, en refusant un mariage que sa famille voulait lui imposer, Emel a épousé Sahin Akdag, lui-même empêtré dans une affreuse et sanglante vendetta familiale. Le 22 novembre 2001, âgée de 19 ans et enceinte de 7 mois, Emel a décidé de s’exiler en France pour protéger sa vie et celle de son enfant à naître en trouvant refuge auprès de sa sœur Sibel, mariée à Erdal Akdag, le frère aîné de Sahin. Le 15 janvier 2002, Ali, le fils d’Emel et de Sahin est né à Mâcon.

Sibel et Erdal Akdag ont été naturalisés français en 1995 en raison de craintes de persécutions réelles et fondées que l’OFPRA avait aisément reconnues. Sahin Akdag n’a pu rejoindre sa femme et son fils que le 25 septembre 2002. Il a alors 23 ans, il pense avoir trouvé la sécurité en rejoignant Erdal, son frère aîné pour reconstruire sa vie et sa famille. Une petite fille, prénommée Gönül, va naître le 12 octobre 2003. Et, aujourd’hui, Ali est scolarisé et assidu à l’école Sonia Delaunay de Mâcon.

Le 20 Août 2004, l’OFPRA leur refuse leur demande de droit d’asile et fait confirmer sa décision par la Commission de Recours des Réfugiés le 16 février 2005 au prétexte que la mise en danger a des raisons privées et non politiques. Or, c’est pourtant en reconnaissant que les craintes de persécutions étaient réelles et fondées que l’OFPRA avait encouragé la Préfecture de Saône-et-Loire à régulariser la situation de Erdal et de Sibel en 1995.

Le 28 février 2005, le secrétaire général de la préfecture, M. Hurlin, prend un arrêté portant refus de séjour, puis deux arrêtés de reconduite à la frontière le 12 mai 2005 contre Sahin et Emel.

Le 31 mai 2005, le Tribunal Administratif de Dijon annule les deux arrêtés de Mr Hurlin en considérant « que les décisions de refus de titre de séjour ainsi que la reconduite à la frontière envisagée, ont porté une atteinte excessive au droit de M et Mme Akdag à mener une vie privée et familiale normale, violant ainsi l’article 8 de la Convention Européenne des droits de l’homme ».

Malgré les nombreux témoignages sur l’intégration républicaine de cette famille, sur leur volonté de s’y établir et d’y travailler, le préfet fait appel de ce jugement le 4 juillet 2005 devant la Cour d’appel de Lyon qui contredit la décision du tribunal de Dijon. Les autorisations de séjour se terminent le 13 décembre 2005.

Sahin est convoqué au bureau des étrangers de la préfecture le 19 janvier 2006, puis au commissariat le 8 février 2006. Il y est arrêté et est transféré au centre de rétention administrative de l’aéroport Saint-Exupéry de Lyon. Le 18 février, il refuse l’embarquement pour la Turquie, et est remis au centre de rétention. Le 22 février, la police de l’air et des frontières veut le mettre, contraint et menotté, dans un avion en partance pour la Turquie. Les militants des Réseaux Education Sans Frontières 71 et 69 se rendent aussitôt à l’aéroport Saint Exupéry et y alertent les passagers et le personnel de bord de l’appareil. Au refus du pilote de décoller et des passagers à bord de voyager dans de telles conditions, Sahin est débarqué.

Sahin est aussitôt incarcéré à la prison St Paul de Lyon. Il sera jugé le 15 mars 2006 par le TGI de Lyon pour refus d’embarquer : il risque de 3 mois à 3 ans de prison et l’interdiction de territoire.

Son épouse Emel n’a plus de titre de séjour et pas le droit de travailler. Elle est privée de toute ressource et harcelée par la Préfecture qui la somme de repartir « volontairement » dans un pays où elle est reniée par sa famille et soumise à de graves persécutions attestées par les Services Sociaux Internationaux.

Mesdames et messieurs les gouvernants, Emel et Sahin demandent l’asile de la France afin de vivre en sécurité dans le pays où leurs enfants sont nés et sont scolarisés pour y reconstituer une vie familiale discrète et régulière.

Vous nous parlez d’ordre et vous ne créez que du malheur ! Imaginez un gamin de 13 ans, né quelque part dans un petit village de la campagne turque, là-bas tout à l’est et qui fuit, en 1988, un pays où on veut le tuer parce qu’il est le fils de son père. Imaginez cet enfant, quatre ans plus tard, qui doit errer dans les rues d’une petite ville provinciale française parce qu’il n’est plus que de nulle part. Imaginez ce jeune homme qui, à force de ténacité, devient un artisan plombier respecté, marié, heureux et père de trois beaux enfants rieurs. Imaginez cet homme à trente ans, dans l’impossibilité de sauver son frère de sept ans son cadet, qu’on a chassé lui aussi de Turquie parce qu’il est le fils de son père et que, là-bas, on ne pardonne pas aux fils ce qui est arrivé au père. Imaginez cet homme et cette femme qui doivent supporter que leur frère et leur sœur soient traités comme des malfaiteurs, mis en prison et bannis parce qu’il ne sont plus que de nulle part.

Non, mesdames et messieurs les gouvernants ! Vous n’honorez pas ce qu’est la France.

Mesdames et messieurs les gouvernants, faites en sorte que vos enfants n’aient pas honte de porter votre nom. Donnez-leur de quoi être fiers de ce que vous avez fait. Mais c’est déjà trop tard pour eux : vous avez semé la douleur et il vous faut maintenant réparer. Et ça, Vous le pouvez encore.

Abandonnez vos poursuites contre Sahin Akdag, laissez-le rentrer, chez lui, à Mâcon, et accordez lui la même nationalité que son frère : la nationalité française.

René de VOS
Sociologue militant à Mâcon
Fils d’un étranger naturalisé français
Membre du Réseau Education Sans frontières 71