SPECTATEUR / SPECT’ACTEUR

Rencontre-débat à La Sorbonne vendredi 10 mars à 19h

Dans le champ des arts plastiques comme dans celui du spectacle vivant, en particulier dans l’espace public, de nombreuses propositions artistiques sollicitent une participation active du regardeur / spectateur. Celui-ci devient actant, acteur ou activateur de l’œuvre, est engagé ou s’engage dans une interaction, rudimentaire ou complexe, avec un objet, un dispositif ou un comédien. Motivées par une réelle volonté d’interactivité ou découlant d’une certaine « démagogie participative », ces formes qui sollicitent directement le public sont omniprésentes dans la création contemporaine. À partir de quelques exemples précis, cette rencontre se propose d’interroger ces pratiques en compagnie d’artistes et d’observateurs du monde de l’art.

Invités :

BERNARD LUBAT – Multi-instrumentiste et improvisateur inclassable, Bernard Lubat est une personnalité hors norme dont les activités s’affranchissent de toutes catégories. Créateur de la Compagnie Lubat de Gasconha et du Festival d’Uzeste Musical, son travail est marqué par une forte préoccupation « poïelitique ». www.uzeste.com

GREGORY CHATONSKY – Artiste numérique, membre fondateur de la plateforme expérimentale www.incident.net, il s’intéresse de près à la mise en place de fictions interactives et au caractère sensible du numérique.

SERGE CHAUMIER – Professeur à l’université de Bourgogne, IUP Denis Diderot – Master 2 Métiers des arts, de la culture et du patrimoine. Serge Chaumier travaille notamment sur les arts de la rue.

PHILIPPE HENRY – Maître de conférences HDR à l’université Paris 8 Saint-Denis, département théâtre. Axe de recherche : socio-économie des arts de la scène. Il accompagne le réseau Autre(s)pARTs et l’Union Fédérale d’Intervention des Structures Culturelles.

STEPHEN WRIGHT – Critique d’art, directeur de programme au Collège International de Philosophie. Commissaire indépendant d’exposition. Auteur de nombreux textes, notamment pour la revue Parachute.

Vendredi 10 mars 2006 – 19h/21h – La Sorbonne – Amphi Richelieu
Place de la Sorbonne (17 rue de la Sorbonne) Paris 5e – Métro Saint-Michel, Cluny La Sorbonne – RER B : Luxembourg
_ Entrée libre dans la limite des places disponibles. Inscription obligatoire : spectateurinsitu@free.fr

Dans le cadre du cycle IN SITU, programme de rencontres-débats sur les relations entre arts, cultures, populations et territoires, proposé par le Master 2 Projets Culturels dans l’Espace Public / Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Rencontre-débat préparée par Cécile Cano, Elise Coury, Camille Geoffroy, Xavier Montagnon, Camille Poiraud, étudiants au sein du Master. Sous l’impulsion de Pascal Le Brun-Cordier, professeur associé, resp. du Master.

Sur le Journal de Bord du Master, un dossier ressource sur le sujet de la rencontre/débat (dans qq jours) > http://masterpcep.over-blog.com
Sur le site de Paris I, présentation du Master Projets Culturels dans l’Espace Public > cliquez-là

En guise de zakouski, quelques citations sur le sujet de cette rencontre-débat :

« Ici, les gens n’acceptent pas d’être spectateurs. Ils refusent d’assister au spectacle de leur disparition. La question n’est pas tant de savoir ce qui se passe à Uzeste. La question c’est : qu’est-ce qui ne se passe pas ailleurs. » BERNARD LUBAT, entretien, Y a-t-il une vie après la province, Le Monde, 29 mars 1989.

« C’est là que se situe la problématique la plus brûlante de l’art d’aujourd’hui : est-il encore possible de générer des rapports au monde, dans un champ pratique – l’histoire de l’art – traditionnellement dévolu à leur « représentation » ? (…) » NICOLAS BOURRIAUD, Esthétique relationnelle, Les presses du réel, 1998.

« [Le drame du Heysel] relève d’une autre logique encore, qui est l’initiative de l’inversion des rôles : des spectateurs (les supporters anglais) se font acteurs. Ils se substituent aux protagonistes (les footballeurs) et, sous l’œil des médias, inventent leur propre spectacle (qui, avouons-le, est encore plus fascinant que l’autre). Or, n’est-ce pas là ce qu’on exige du spectateur moderne ? Ne lui demande-t-on pas de devenir acteur, d’abandonner son inertie spectatrice et d’intervenir dans le spectacle ? N’est-ce pas le leitmotiv de toute la culture de la participation ? (…) On a beau jeu de le déplorer, mais deux cents fauteuils cassés dans un concert de rock sont le signe du succès. Où finit la participation, où commence l’excès de participation ? En fait, ce qui reste inavoué dans le discours de la participation, c’est que la bonne participation s’arrête aux signes de la participation. Mais les choses ne se passent pas toujours ainsi ». JEAN BAUDRILLARD, Le syndrome du Heysel, Le Monde Diplomatique, 12 juin 1998.

« Je définirais volontiers le spectacle, après quelques autres, comme une action déroulée à distance, et dont je suis exclu. Le lien du spectacle à la spéculation, ou à la théorie, est donc d’origine, comme l’étymologie du mot théâtre nous le rappelle: ce qui m’arrive depuis la scène est une pellicule de signes prélevée sur le bruit et la fureur du monde. Ce simulacre m’informe, me divertit ou m’émeut tout en me protégeant, il me laisse libre de réfléchir et de tirer les conséquences de la représentation « pour moi ». Le dispositif suppose ainsi une double clôture: de la scène limitée par la rampe (il n’y a pas de spectacle, ou celui-ci se trouve amoindri, s’il est loisible à chacun de pénétrer sur la scène, si on ne sait à quelle heure la séance commence ou finit, si les positions entre les acteurs et les spectateurs ne sont pas fermement assignées…), d’un public placé en vis-à-vis et lui-même retranché dans son for intérieur.

Appelons coupure sémiotique cette division spectaculaire, matérialisée au théâtre par la rampe. Sur elle repose le grand partage ou la séparation décriés par Debord : « La séparation est l’alpha et l’oméga du spectacle… Tout pouvoir séparé a donc été spectaculaire. (…) Le spectacle (…) échappe à l’activité des hommes, à la reconsidération et à la correction de leur oeuvre. Il est le contraire du dialogue. Partout où il y a représentation indépendante, le spectacle se reconstitue. » D’un côté s’accumulent les signes d’une vie brillante dans la distance, de l’autre les gens s’attroupent, massivement condamnés à observer ce monde sans pouvoir l’atteindre ni le réaliser. La frustration fascinée constituerait le corrélât ordinaire de ce concept trop général du spectacle, à la fois opium des foules et stade suprême de la marchandise. « A mesure que la nécessité se trouve socialement rêvée, le rêve devient nécessaire. Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n’exprime finalement que son désir de dormir. Le spectacle est le gardien de ce sommeil ».

Il y a plusieurs façons de réfuter ces affirmations péremptoires. La coupure sémiotique, qui est le propre-de-l’homme, ne frustre pas mais libère. La scène n’est pas simulacre exsangue mais existence supérieure, îlot d’ordre et jeu souverain. Sa transcendance n’humilie pas mais procure, selon le mot d’Artaud, une « sublime aération ». Le spectateur n’est pas écrasé dans une flaque de passivité mais lui aussi s’active (question de grain dans l’observation: le corps sans doute ne bouge pas mais l’esprit? Que sait-on des mouvements des affects, des cyclones sous les crânes?) Le rêve qui rayonne du spectacle n’est pas opium mais vitamine. La retraite dans cette action restreinte (comme aurait dit Mallarmé), bien loin de nous diminuer, peut au contraire nous grandir. Etc. » DANIEL BOUGNOUX, Bis ! ou l’action spectrale, in La querelle du spectacle, Les Cahiers de Médiologie, #1, Gallimard, 1996.

«Un artiste peut bien programmer un ordinateur, il pourra décrire par cet étrange logos des événements à venir mais il ne pourra pas prévoir toutes les formes de son œuvre, dont il est alors dépossédé, une forme du lâcher-prise. Il pourra simplement imaginer un spectre de variabilité, bref une action possible qui survivra dans l’usage d’un spect-acteur à chaque fois singulier… » GREGORY CHATONSKY, Actes du colloque du MACM sur Henri Bergson publiés dans la revue Intermédialités.

«Un jour, une spectatrice à Montbéliard qui s’appelait Muguette m’a dit : « On en a marre ! Pourquoi tu ne fais pas des pièces sur nous, sur notre vie ». C’est vrai que notre théâtre est toujours nombriliste. Donc, on a décidé de faire une pièce pour cette Muguette. Elle voulait du Brecht. Elle ne connaissait pas Brecht, mais elle savait que Brecht c’était social et politique. Muguette était syndicaliste ; elle avait été renvoyée de chez Peugeot et aimait le théâtre. Elle voulait voir la vie sur scène. D’ailleurs, quand on s’est mis à faire une pièce sur les gens, sur nos voisins, ils sont venus. C’est le seul moyen. Et là, j’ai mesuré une bonne vibration entre le public et la scène. Nous avons joué la Misère du monde, de Bourdieu, avec des scènes sur les syndicalistes de Peugeot. Ceux qui s’étaient exprimés étaient dans la salle. Ils s’écoutaient, ils étaient contents. On s’est mal servi de ce système. On a pris les forgerons de la ville, on les a interviewés, on les a joués. Ils pleuraient. Ils trouvaient la pièce belle. Normal, ils l’avaient en partie écrite.
_ Par moments, je me demande si ce n’est pas un gadget pour avoir du public de parler de lui-même. Pourquoi tout ce foin pour avoir du public mélangé issu de classes sociales diverses. Parce que si une partie du public ne vient pas, c’est qu’elle peut se passer de nous, mais nous, artistes, nous ne pouvons pas nous passer de cette frange de public inhabituel, extrêmement vivante et qui éclaire nos spectacles. » JACQUES LIVCHINE, « metteur en songes », extrait de « Nouveaux territoires de l’art », propos recueillis par Fabrice Lextrait et Frédéric Kahn, éditions Sujet/Objet, 2005.

« Internet est une toile mondiale où les informations passent d’un lieu à un autre, se dispersent, puis se regroupent prennent des chemins de traverses. Le lieu d’exposition devient une expropriation incertaine. De là une fragmentation de l’œuvre qui loin d’être un objet unifié est une association d’informations numérisées et, de fait, découpables en « paquets » . Les spectateurs ne sont plus passifs. Ce n’est pas dire là qu’ils le sont dans l’art classique, mais plutôt que dans celui-ci l’activité est comme le défaut de la représentation (mimesis) où les lacunes sont autant d’occasions esthétiques. Le spect-acteur peut concrètement manipuler les documents. Il lui est possible de parcourir des chemins à chaque fois différents. L’arborescence permet de distinguer l’être de l’œuvre de son mode d’apparition. Elle s’actualise à chaque fois d’une façon différente selon les chemins empruntés par les utilisateurs . Le net.art procède d’une interactivité coopérative qui lui est particulière… » GREGORY CHATONSKY, Les interactivités du réseau, journal du Centre National de la photographie.