POURQUOI NOUS DEMANDONS LE REPORT
DE L’EXAMEN PARLEMENTAIRE
DU PROJET DE LOI SUR LA RECHERCHE

Déclaration de la Plateforme « Indépendance des Chercheurs », 25/02/2006
indep_chercheurs@yahoo.fr ,

Il nous apparaît qu’aucune instance parlementaire française ne s’est à ce jour penchée sur un certain nombre de questions essentielles. En particulier, le projet de loi a été présenté au vote des honorables parlementaires au moment même où trois types d’événements survenaient presque simultanément : a) la crise des instances du CNRS qui a conduit à la démission de son Président, à un changement de Directeur Général et à la fin des fonctions d’un Directeur Général Scientifique dont les missions sont reprises par le nouveau Directeur Général; b) le constat en appel de la déroute des experts du procès d’Outreau, parmi lesquels se trouve notamment un professeur des Universités directeur de laboratoire et responsable pédagogique d’un important diplôme universitaire ; c) l’affaire « coréenne », mais en réalité internationale, des résultats falsifiés sur les cellules souches humaines que la revue américaine Science avait publiés à deux reprises et, en même temps, d’autres affaires de falsification de résultats scientifiques publiés dans des revues britanniques et américaines et impliquant des équipes de plusieurs pays bénéficiant de financements divers.

Une caractéristique des affaires de falsifications de résultats est qu’elles ne mettent pas en cause des chercheurs « de base » ou indépendants, peu introduits dans les circuits, mais précisément des personnes influentes et cotées sur le plan local et international. De surcroît, l’affaire « coréenne » semble avoir dévoilé d’autres pratiques contraires à l’éthique, jusqu’à l’obtention par des pressions d’ovocytes de personnels de l’équipe ou des dons au monde politique pris sur un budget de recherche dont l’usage n’aurait pas été entièrement expliqué. Voir, à ce sujet : ; dans cet article de la Cité des Sciences du 24 mai dernier, qui contient l’intitulé « La Corée : pays roi du clonage humain » , un directeur de laboratoire français très connu estimait que : « les résultats de l’équipe coréenne démontrent que la technique de base est désormais accessible » ; b) le responsable de l’équipe coréenne à présent mise en cause devait tenir, le 24 novembre à Paris, une conférence de presse conjointe avec ce même directeur de laboratoire (Le Monde, 23/11/2005) et se voir décerner par les Victoires de la Médecine, dans une cérémonie aux Folies-Bergère, le prix de « l’homme de l’année 2005 ». Presque en même temps, Scientific American le qualifiait de « Research leader of the year ».

Force est de constater également que l’expert du procès d’Outreau qui s’est récemment plaint d’être rémunéré « comme une femme de ménage » pour justifier les erreurs des expertises est un professeur de psychopathologie et directeur de laboratoire, responsable pédagogique d’un Diplôme Universitaire « Psychologie et sociologie du crime » qu’un important centre de recherches rattaché à la fois au CNRS et au Ministère de la Justice a organisé en 2004-2005 en partenariat avec son université et l’Ecole Nationale de la Magistrature. On trouve aussi parmi ces experts un chef de service hospitalier et une spécialiste apparemment sans diplôme qui semble avoir bénéficié de la confiance d’un Conseil Général. A nouveau, ce n’est pas aux chercheurs « de base » ou indépendants, pas plus qu’à la loi d’orientation et programmation de la recherche existante, qu’il faut reprocher les naufrages d’expertises, à Outreau comme ailleurs. L’affaire du Laboratoire de Physique Corpusculaire du Collège de France des années 1990 a vu notamment la dissolution d’un groupe de chercheurs qui avait osé critiquer le projet dit d’ « amplificateur d’énergie » nucléaire défendu par un puissant lobby. Des vérifications expérimentales réalisées des années plus tard en Suisse ont pourtant montré la justesse des résultats et prédictions de ce groupe qui ne comptait aucun directeur de recherche et qui n’était pas « bien vu ». Voir, par exemple : dont l’auteur suisse écrit à la fin : « Néanmoins, on peut se féliciter que certaines soupapes aient fonctionné, par exemple… le courage de certains scientifiques isolés qui ont pris sur eux de tenir tête à un Prix Nobel » . Un diagnostic de novembre 2003 qu’il convient à présent de rapprocher de celui émis le 10 janvier dernier par la commission d’enquête de l’Université de Séoul à propos de l’affaire des faux résultats sur les cellules souches humaines et des auteurs des premières critiques en Corée même : « The young scientists who courageously pointed out the fallacy and precipitated the initiation of this investigation are our hope for the future ».

Aucun système de recherche scientifique ne peut se développer correctement sans laisser une place importante à la critique qui « ne plaît pas », aux prétendus « marginaux » qui finissent par avoir raison, à la dissidence, à l’initiative individuelle sans « protecteurs », à la création libre… C’est un vieux principe, mais qui ne plaît pas à un certain nombre d’ « élites ». L’actuel projet de loi sur la recherche ne comporte aucune réflexion à ce sujet, alors qu’il pousse à la concentration du pouvoir, des moyens et des structures dans la recherche, au développement de pouvoirs discrétionnaires et à l’intervention plus forte et directe d’intérêts privés, avec le risque d’aboutir à une mauvaise copie d’un système d’autres pays plus ancien que le système français et déjà en difficulté au niveau mondial. Aucune conséquence ne semble avoir été tirée, non plus, de la crise récente de la direction du CNRS qui n’a été qu’un résultat « visible » et public de la spirale de bureaucratisation subie par la recherche française depuis une vingtaine d’années, avec un fort développement d’administrations, structures de gestion, directions, « coordinations », moyens d’embrigadement divers… au détriment du travail de recherche réel, de la liberté d’initiative et de la création scientifique originale. Une évolution que nous avions dénoncée depuis la formation de notre collectif en 2001. En ce qui concerne le statut des personnels, nous ne pouvons que confirmer l’appréciation déjà exprimée (notre site) : la loi d’orientation et de programmation en vigueur est bien préférable, y compris pour les doctorants qui n’ont jamais pu bénéficier d’une réelle application des lois de 1982 et 1984 reconnaissant que la préparation d’un doctorat constitue un travail.

NOUS DEMANDONS DONC LE REPORT DE L’EXAMEN DU PRESENT PROJET DE LOI DE PROGRAMME ET LA MISE EN PLACE D’UNE REFLEXION ACTUALISEE, PLUS OUVERTE, SUR LES PROBLEMES DE LA RECHERCHE.

Indépendance des Chercheurs (attn. Luis Gonzalez-Mestres) 17 rue Albert Bayet, appt 1105 , 75013 Paris , Infos : , Port. 0620601187