OUTREAU OU L’IMPOSSIBLE AUTODENONCIATION D’UN SYSTEME (I)

Pour le citoyen de base, qui subit depuis deux longues décennies l’évolution néfaste des institutions françaises (mais aussi européennes), c’était trop beau. Ce même Parlement qui depuis 2001 a voté ou soutenu toutes sortes de dispositions réactionnaires en matière de justice, allait-il enfin faire la transparence sur le fonctionnement des institutions judiciaires, non pas dans les « affaires » que l’on sait et qui ont toujours dérangé le monde politique, mais dans le fonctionnement de la justice à l’égard de citoyens sans argent ni influence ? Un tel effort de transparence pouvait d’emblée paraître d’autant plus incroyable que : a) la montée médiatique de l’affaire d’Outreau avait eu lieu en 2001 et début 2002, juste avant ces élections présidentielles qui ont donné toute la mesure de la « popularité » réelle de l’équipe de Lionel Jospin ; b) une enquête sur les procédures de la justice française devait inévitablement conduire à la mise en cause d’autres institutions, et ceci jusqu’à la coupole universitaire, vu par exemple le rôle joué par les « experts » dans l’affaire d’Outreau.

Rappelons, sur ce dernier point, que l’expert très réputé Jean-Luc Viaux (celui qui se plaignait d’être pâyé « comme une femme de ménage ») est professeur de psychopathologie à l’Université de Rouen et l’un des animateurs d’un Diplôme Universitaire « Psychologie et sociologie du crime » que le CESDIP (Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales, rattaché à la fois au CNRS et au Ministère de la Justice) a organisé en 2004-2005 en partenariat avec cette université et l’Ecole Nationale de la Magistrature.

Voir :

Jean-Luc Viaux figure dans l’organigramme de l’Université de Rouen avec la mention: Directeur du Laboratoire « PRIS clinique et Société », membre du Conseil de gestion de l’UF Psychologie – Sociologie – Sciences de l’Education. Ses thèmes de recherche déclarés sont: « Troubles de la fonction parentale et maintien du lien. Violences dans la famille, violences dans la société. Comportements délictueux et criminels (spécialement intrafamiliaux). Victimologie clinique ».

Les « experts » du Procès d’Outreau font donc partie, entre autres, de cette même corporation professorale universitaire à laquelle le Parlement s’apprête à confier l’essentiel du pouvoir exécutif dans la recherche française via la nouvelle loi qu’il entend approuver dans une dizaine de jours.

D’ailleurs, la question des conséquences à tirer de l’affaire d’Outreau constitue à présent un thème prétendument prioritaire pour les parlementaires mais pendant des années il a été très difficile d’évoquer les problèmes de la justice devant l’Assemblée Nationale ou le Sénat sans se voir opposer une fin de non-recevoir au nom de la « sérénité » ou de la « séparation des pouvoirs ». Pour que cette attitude évolue, il a fallu une affaire pénale de pédophilie comme celle d’Outreau, exceptionnelle par: a) sa publicité ; b) le nombre des accusés et les accusations formulées ; b) la « masse critique » du nombre des victimes d’arbitraires ou d’erreurs à présent reconnus ; c) la gravité des préjudices évidents et subis au vu de tous par plusieurs justiciables… et aussi, sans doute, que l’une des victimes soit un prêtre relativement connu et qu’il ait d’emblée bénéficié d’un soutien citoyen. Plus que le contenu des dysfonctionnements de la justice, c’est ce concours de circonstances qui a rendu impossible d’ignorer l’affaire. La publicité faite à l’affaire d’Outreau depuis les mois ayant précédé les élections présidentielles de 2002 ne visait pas, au départ, à mettre en évidence des dysfonctionnements de la justice. Loin de là, car il fallait précisément « montrer un résultat » …

Mais, avec tout les respect dû à la justice et aux magistrats, il paraîtrait irréaliste d’imaginer qu’une telle catastrophe judiciaire ait pu arriver un jour de malheur, spontanément ou par une simple pression médiatique dans une « justice fonctionnant bien », sans une répétition permanente, importante et générale, des dysfonctionnements dans toutes les juridictions. C’est d’ailleurs le sentiment exprimé au cours des années récentes par nombre de justiciables « de base » que personne n’écoutait. Et peut-on séparer les dysfonctionnements de la justice française d’un phénomène plus global, pas seulement dans la justice et pas seulement français ?

Nous venons d’évoquer les liens des experts judiciaires avec le milieu professoral universitaire. Et, comme « par hasard » ( ???), l’affaire « française » d’Outreau éclate au grand jour en même temps que le scandale international des résultats scientifiques falsifiés sur les cellules souches humaines. Si les possibles erreurs d’un jeune juge français avaient apparemment été « couvertes » en première instance par d’autres magistrats français plus expérimentés et gradés, les faux résultats expérimentaux fabriqués par l’équipe de l’Université de Séoul ont passé sans difficulté l’épreuve du « jugement par les pairs » au niveau mondial : la plus prestigieuse revue scientifique américaine (Science) les avait publié à deux reprises ; des institutions de nombreux pays (France comprise) décernaient au professeur dirigeant l’équipe à présent sévèrement mise en cause les titres les plus incroyables : « scientifique suprême » (Corée du Sud), « homme de l’année » (France, où on s’apprêtait déjà à amorcer la « pompe à argent »), « research leader of the year » (USA), etc… Il semble bien que, dans un cas comme dans l’autre et malgré les différences évidentes entre les entités et fonctions concernées, il y ait eu de graves lacunes institutionnelles dans le domaine du contrôle, de la vérification, des limites du pouvoir, de la transparence… Pour quelle raison ?

Cette coïncidence troublante ne saurait être accidentelle : elle reflète, bien au contraire, une profonde dérive globale de la société.

Justiciable

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