Chers lecteurs,
Il y a quelques semaines, une organisation terroriste avait attaqué une librairie dans la ville kurde de Semdinli. A la suite de l’attentat, des badauds se sont mis à poursuivre les assaillants et finirent par les intercepter. Stupeur et colère : les terroristes étaient en fait trois officiers du service de renseignement de la gendarmerie. Dans leur véhicule, on découvrit une importante quantité d’armes, des croquis ainsi qu’une liste d’hommes à abattre.
Ce genre d’opérations secrètes ne sont certes pas nouvelles : le 3 octobre 1996, lors d’un banal accident routier survenu à Susurluk (ouest de la Turquie), on découvrit dans la carcasse d’une voiture de luxe sinistrée, un trio saisissant composé d’un trafiquant de drogue faisant partie de la milice fasciste des ‘Loups Gris’ dénommé Abdullah Catli, recherché par Interpol et auteur d’innombrables assassinats politiques, un officier de police dénommé Hüseyin Kocadag qui est en même temps l’un des fondateurs des unités spéciales d’intervention, ainsi qu’un parlementaire véreux du parti de droite ‘DYP’ (à l’époque au gouvernement) dénommé Sedat Bucak et à la fois, seigneur de guerre à la solde de l’armée régnant dans le district kurde de Siverek.
Les gouvernements successifs et surtout celui de Tayyip Erdogan (AKP) se sont démenés pour dissimuler le terrorisme de l’Etat turc.
Mais a la suite de l’attentat de Semdinli, tout est ressorti au grand jour. Depuis l’attentat de la librairie de Semdinli, plusieurs villes kurdes se sont embrasées tandis que dans le reste du pays, les organisations de gauche dont le Front pour les droits et les libertés (HÖC), ont organisé plusieurs manifestations de dénonciation du terrorisme d’Etat.
A Semdinli, Cizre, Yüksekova et Mersin, des manifestants ont été assassinés par les forces de police. Durant les funérailles organisées à Yüksekova, l’armée fit survoler des F 16 pour intimider la population.
Pour couronner le tout, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan s’est rendu à la dérobée à Semdinli pour lui aussi, menacer la population de son attitude provocatrice voire conciliante à l’égard du terrorisme pro-kurde (!)
Tel est le sujet du nouveau communiqué de l’organisation HÖC que nous vous faisons parvenir ci-dessous.
Bonne lecture.

Communiqué n° 77
Date : le 23 novembre 2005

Visite furtive du premier ministre à Semdinli ou les aveux d’un criminel

Les préparatifs de sa visite se sont déroulés dans la plus grande confidentialité. Même ses proches n’en eurent pas le moindre écho. Il quitta discrètement Ankara, une fois que le ciel se fut assombri, passa la nuit à Van et finalement, se rendit à l’improviste à Semdinli, à l’aube.

Devant une foule rassemblée à la hâte, il tint une allocution tout aussi improvisée.
Telle fut la visite effectuée par le Premier ministre de la république de Turquie à Semdinli, Yüksekova et Hakkari, c’est-à-dire, trois régions bel et bien situées dans le « sacro-saint territoire unifié et indivisible de la nation turque »

Face à des agissements aussi scabreux, un chapelet de questions s’imposent : est-il avant tout digne pour un premier ministre de se déplacer de la sorte dans un pays qu’il est sensé administrer ? Durant son allocution au peuple, pourquoi s’est-il terré derrière un véritable bouclier de véhicules blindés ? De qui et de quel pays est-il donc le Premier ministre ?

Il serait franchement risible d’expliquer ce dispositif démesuré par des motivations purement sécuritaires.
Certains députés ont comparé le voyage d’Erdogan à Semdinli à celui de George Bush en Irak quoiqu’ils se soient limités dans leur critique à mettre en parallèle la seule arrivée de l’un et de l’autre.

L’AKP a peur parce qu’il se sait coupable !
Le parti au pouvoir, nommément l’AKP craint le peuple. Car les dirigeants de l’AKP savent qu’ils perpétuent un passé de 80 années, fait d’annexionnisme, d’exterminations, de campagnes d’assimilation et de tyrannie envers le peuple kurde.
Le pouvoir a peur parce qu’il craint les représailles d’une population excédée par les exécutions extra-judiciaires commises tantôt à Semdinli, tantôt à Kiziltepe, par les tortures et par les campagnes de lynchage orchestrées par les mouvements fascistes, eux-mêmes galvanisés par ce même pouvoir.
Et c’est bien parce qu’il a peur, que ce pouvoir, acculé, se met à menacer la population pour l’intimider.
L’AKP n’est donc pas en rupture mais en pleine continuité par rapport aux gouvernements précédents.
Cela semble plus qu’évident par le simple fait du pillage des ressources de notre pays et des actes de malversation auxquels ils se livrent.
L’AKP est criminel et s’il ne désire pas « lever le rideau » sur l’affaire de Semdinli, c’est parce qu’il sera lui-même « à découvert ». De même que s’il ne veut pas résoudre la question kurde, c’est parce qu’il refuse de rompre avec la tradition chauvine, annexionniste et exterminationniste de l’Etat turc.

Pourquoi Tayyip Erdogan s’est-il rendu à Semdinli ?

D’aucuns s’interrogent évidemment sur le contenu du discours qu’Erdogan a tenu durant sa fameuse visite à la dérobée. Cette fois, force est de constater qu’Erdogan a été plus que médiocre en comparaison avec ces autres performances, ne parlant même pas d’une illusoire « démocratisation », ni même du moindre « paquet de réforme » cosmétique. On peut alors se demander ce qu’il a été vraiment faire, n’est-ce pas ?
Au passage, nous tenons à exprimer notre étonnement face à ceux qui ont accueilli la visite d’Erdogan à Semdinli comme un geste positif. Comment peut-on en effet se féliciter d’une telle visite dénuée de toute perspective d’élucidation des crimes occultes de l’Etat, où aucune garantie n’a été donnée à la population ? En quoi peut-on déceler de l’optimisme dans le simple fait de se rendre dans une ville du pays que ce ministre est sensé diriger ?
Alors que le message principal de Tayyip Erdogan est une menace ouverte contre le peuple.
A part quelques expressions évasives sur la « poursuite de l’enquête » prononcées du coin de la bouche, nous n’avons relevé que des diatribes et des menaces et des mises en garde contre la population. Il n’a surtout pas supporté la présence de quelques panneaux parmi la foule dénonçant les intrigues ourdies par l’Etat ni le slogan de cette même multitude réclamant la démission du gouverneur.
Comment certains milieux peuvent aller jusqu’à croire que les revendications nationales du peuple kurde puissent être un jour respectées par ce gouvernement ?
Souvenons-nous des funérailles de ces manifestants kurdes assassinés par la police à Yüksekova il y a quelques jours : durant les obsèques, l’aviation fit décoller des F 16 en guise d’avertissements et de menaces aux manifestants endeuillés. La population s’est plainte de cette hostilité manifestée par le pouvoir à son égard. Mais face à ces plaintes, quelle a été la réaction d’Erdogan ? « Des drapeaux du PKK ont été déployés durant les funérailles. C’est donc une question d’action et de réaction… »
Alors ainsi, l’Etat turc fonctionne par ‘actions et réactions’ et non pas avec une constitution et des lois.
On a donc affaire à un premier ministre qui justifie le lâché de F 16 sur la population. Si vous faites l’apologie du PKK ou même si vous ne faites que défendre votre identité kurde, vous risquez franchement votre peau. En bref, il exprime la même mentalité que ces prédécesseurs et envisage même d’agir comme eux. Que dire à ceux qui voient du positif dans le discours d’Erdogan ?

Ce qui apparaît à Semdinli, c’est Susurluk. En trois ans de gouvernance, l’AKP n’a fait que perpétuer Susurluk. Le reste n’est que bavardage.
Toute personne avertie se doit de se rendre compte du rôle joué par chacun des protagonistes de la scène politique. Il ne faut certainement pas voir en l’AKP un redresseur de tords mais au contraire, un coupable à dénoncer et qui doit rendre des comptes. Certains retiennent la phrase d’Erdogan où il dit que « cela ne sera pas comme Susurluk car le gouvernement est décidé d’aller jusqu’au bout de l’affaire » Certains persistent donc dans l’erreur.
Qui donc dirige ce pays depuis 3 ans ?
N’y a-t-il pas des exécutions, des lynchages, des attaques à la bombe, depuis trois ans ? Les salles de torture n’ont-elles pas tourné à plein régime ces trois dernières années ? La terreur de la police et de la gendarmerie n’a-t-elle pas continué ? Peut-on prétendre que l’AKP n’était au courant de rien et responsable de rien ? Les corbeaux en riraient. Pourtant, malheureusement, des partis politique et des intellectuels pensent ainsi…
Pourtant, certains se savent impliqués: l’AKP et son président, Tayyip Erdogan. C’est pour cela que l’AKP a peur. Malgré son titre de Premier ministre, Erdogan se rend à Semdinli en catimini. Ce dont on a été témoin à Semdinli, c’est du Susurluk tout craché. Le reste n’est que du bavardage stérile.
Est-il sensé de croire que la lumière sera faite par un Premier ministre qui veut charger les tribunaux de l’affaire en nous appelant à patienter avec de « inchallahs » et en attendant le verdict ou par un ministre de la justice qui, d’emblée, certifie, avant l’issue même de l’enquête qu’il n’y a « pas la moindre trace de continuité entre l’affaire de Susurluk et celle de Semdinli » ?
Ce pouvoir est tout simplement incapable de résoudre des crimes du calibre de Susurluk. Pareil de la question kurde. Et d’une manière générale, de la question de la démocratie en Turquie. Il n’y a donc aucune raison de penser que l’AKP pourrait réagir différemment de ses prédécesseurs.

L’AKP doit rendre des comptes !

Front pour les droits et les libertés