Crise des banlieues : capitalisme obsolète et gauche déliquescente

Les ZUP brûlent. La charte d’Athènes sent le roussi. Le Corbusier y avait fourni en 1943 les bases  » théoriques  » d’une forme urbaine détestable, les barres et tours sur no man’s land bituminé ! Elles ont fonctionné depuis comme des accumulateurs de misère et de violence. De l’antiville, disait le philosophe Henri Lefebvre, où la valeur d’usage était perdue au profit de la seule valeur d’échange. Elles sont aujourd’hui livrées à une guérilla urbaine longue…

…Les politiques d’assistanat qui tentent d’opérer un rapiéçage sont usées. Elles ont été déshabillées par la droite chiraquienne : les policiers de proximité qui pouvaient créer, dans ses limites bureaucratiques, du lien social, ont été supprimés, comme les médiateurs et les emplois jeunes. Les commissariats des villes de gauche sont systématiquement affaiblis en effectifs pour prouver l’incapacité de leurs élus en matière de sécurité et il faut embaucher 18 policiers pour en avoir un dans la rue !

A Villetaneuse, haute terre du deal organisé où la loi républicaine ne s’applique pas, le commissariat implanté sous la gauche est fermé. A Pierrefitte, les effectifs sont réduits de moitié. Au Blanc-Mesnil, sept plaintes pour des cambriolages successifs d’un même appartement n’ont jamais été suivies du moindre effet, etc.

La chasse au faciès, les exactions racistes des policiers, parfois lepénistes, sont monnaie courante. Leur efficacité se déploie préférentiellement et sans risque pour piéger les automobilistes, par ailleurs bons citoyens.

Les zones franches qui sont utiles, n’embauchent pas sur place, créant une frustration supplémentaire. Depuis trente ans, les politiques de replâtrage du Palulos, portées par énarques et ingénieurs des Ponts, avaient fait le démonstration de leur inefficacité totale en dépit des milliards engloutis. Ainsi, les 3000 d’Aulnay ont subi trois réhabilitations successives sans la moindre conséquence heureuse !

Le grand Zorloo est arrivé pour casser 125 grands ensembles sur 700 ! Nous réclamions cela depuis trente ans mais avec une condition expresse : qu’on sache, avant toute décision de démolir, par quoi on allait remplacer ces barres et tours HLM non encore complètement amorties. Si on reconstruit la même laideur oppressive, il s’agit d’un irrémédiable gâchis des finances publiques.

Le Ministre, sans doute par tradition d’inculture à ce poste, n’en avait pas la moindre idée. Un membre de son cabinet a pour souci obsessionnel d’éradiquer les expériences urbaines des villes communistes. La rénovation Basilique à Saint Denis est pour lui « stalinienne  » quand ses treize architectes avaient été choisis d’un commun accord avec la direction de l’architecture de Giscard d’Estaing, ce dangereux bolchevik ! Ainsi M.Borloo voulait faire démolir les logements gradins jardins de Jean Renaudie à Villetaneuse et Grande Synthe, puis ceux de Renée Gailhoustet à La Maladrerie à Aubervilliers, aujourd’hui 440 HLM (munis d’un séjour urbain où poussent des plantes tropicales!) de même ambition à Pierrefitte, le quartier des Poètes d’Euvremer et Padron Lopez.

Devant la protestation des architectes et des habitants, le Ministre a dû reculer à Villetaneuse et Aubervilliers et se rapprocher de son collègue de la Culture pour bricoler à la hâte une politique architecturale de raccroc. Pour un coup médiatique, il a donc mobilisé une vingtaine d’architectes qui ont exposé une « pompeuse  » cité-manifeste  » à l’Institut Français d’Architecture. Qu’en est-il ? Une affligeante démonstration d’indigence conceptuelle : des pavillons en accession, au rabais, pis que les  » maisons du maçon  » bien connues, une nouvel (le) opération Million, des chalandonnettes, jadis symboles de malfaçon. Des bicoques en tôle aux prestations bas de gamme, d’un coût plafonné à 100 000 Euros, tout juste le prix d’une cellule de prison neuve.

Le plan masse ? recopié des corons de Schneider et de Wendel en 1830 !

Nous sommes chez Ubu : pourquoi gâcher des millions d’Euros en démolition si c’est pour construire de nouveaux ghettos fragiles, fussent-ils horizontaux ? Pourquoi encourager encore l’accession quand les délocalisations entraînent la mobilité des salariés, que feront-ils avec les traites ou les reventes hasardeuses ?

Engels, dans la  » question du logement « , dénonçait dès 1885 l’illusion entretenue par le réformisme proudhonien sur la propriété de la petite maison qui ramenait les prolétaires à l’isolement, à l’étroitesse rurale.

Le Pen ne fait-il pas florès dans le pavillonnaire ? On veut casser les 440 très bons HLM de Pierrefitte – les socialistes y encouragent, les communistes laissent faire ! – qui ont seulement besoin d’une réhabilitation légère mais on bavarde, voire on manifeste, à chaque incendie parisien contre l’insuffisance de la construction HLM pour loger les migrants.

De qui cette tartufferie se moque-t-elle ? Pourquoi un tel acharnement obscurantiste contre des habitats expérimentaux qui ont fait leurs preuves ? Parce que dans les meilleurs exemples, quand une bonne gestion a suivi la qualité urbaine, ils montrent la voie à suivre. A Blanc-Mesnil, la Pièce Pointue par exemple, petit quartier tout bois de 220 HLM, conçu par une jeune architecte (migrante elle-même), Iwona Buczkowska, chaque logement est dessiné de façon originale, comme une maison. Ils disposent de surhauteurs, de mezzanines, de terrasses, d’un accès à l’air libre.

Dans ce quartier piéton peu dense, abondamment végétalisé, les cheminements se resserrent et s’évasent, s’ouvrent sur des perspectives sans cesse renouvelées qui changent avec les saisons : le quartier est ouvert, il est conçu pour la rencontre, l’échange. Le local résidentiel, bien traité, accueille des cours de sculpture, de peinture, de musique, de gymnastique, des cours d’aide scolaire, l’amicale des locataires, etc. Devant la qualité de cet habitat, des salariés de couches moyennes se sont installés : deux médecins, quelques cadres supérieurs, des professeurs, six artistes peintres, etc. Ils apportent aux quinze pour cent environ de migrants et aux autres salariés une mixité précieuse, le témoignage d’une tolérance réciproque, d’une convivialité possible.

La démonstration était en train de se faire que, sur une génération, l’intégration pouvait être harmonieusement acquise.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? Suite à une gestion médiocre et aux agressions extérieures, nombre de locataires d’origine européenne ont opté pour le pavillonnaire subventionné par l’Etat, quoiqu’il leur en coûte. Ils ont été remplacés par de nouveaux migrants : l’évolution vers le ghetto est engagée. Les nouveaux rapports sociaux n’étaient pas au rendez-vous. Les murs ne réformeront pas la société à eux seuls.

De bonnes âmes qui vivent en général à Paris, hurlent dès qu’on parle de quota. Les migrants sont 7 % de la population française, une vie commune apaisée doit s’inscrire dans une mixité aux proportions voisines, sinon l’installation de ghettos avec les conséquences qu’on mesure aujourd’hui, devient irrémédiable.

Un tel traitement demande du temps. Il requiert des architectes sensibles, plus attaché à la qualité de leur œuvre qu’à l’importance de leur agence ou à leur notoriété. Il exige que les entreprises toutes puissantes du BTP soient remises à leur place et respectent enfin la valeur d’usage. La réussite de ces utopies urbaines concrètes – qui ne coûtent pas plus cher que des barres ou des pavillons – exige en premier lieu des emplois stables, de la formation, de bons salaires, et à moyen terme l’esquisse de nouveaux rapports sociaux. Le énième plan d’urgence pour les banlieues n’y changera rien, c’est le système économique et politique qui est en cause.

Réclamer un  » Grenelle des banlieues  » tient de l’ironie la plus sinistre : c’est en 1968 à Grenelle que fut abandonné le mouvement populaire pour l’autogestion contre le plat de lentilles d’une augmentation de salaire vite reprise par l’inflation ! Il n’est pas certain qu’il soit encore possible de rééditer ce type de solution que la ville de La Courneuve par exemple avait décidé en 1984 : démolir les  » 4000  » mais en construisant auparavant dix quartiers de relogement bien étudiés afin qu’ils soient équilibrés socialement. Trois quartiers HLM ont vu ainsi le jour avec des architectures plurielles et belles : celles de Jean Renaudie, de Ricardo Porro et des frères Goldstein, îlots aujourd’hui bien habités !

Cette volonté municipale a été bloquée par l’Etat. Si on l’avait suivie, on ne parlerait plus aujourd’hui des 4000 ! Les jeunes qui cassent et brûlent aident leurs adversaires : ils sont en train de faire réussir le plan de Sarkozy visant à parvenir à la présidence en jouant sur la peur des couches moyennes.

Démunis en politique, ils s’en tiennent à leur morale, ce qui prouve qu’ils n’en sont pas totalement dépourvus : ils veulent les excuses de Sarkozy, ils ne demandent même pas sa démission quand son action provocatrice est des plus dangereuse pour leur avenir et celui de ce pays. La gauche se devrait de proposer des solutions globales et radicales à ce mal vivre, des réformes anticapitalistes profondes et audacieuses lors des prochaines échéances électorales : l’engagement de l’autogestion progressive des entreprises et de l’économie, la défense des services publics pour les transformer, leur transformation pour mieux les défendre, des comités de quartiers qui contrôlent les mairies et l’Etat, l’aide massive aux HLM locatifs plutôt qu’aux accessions à la propriété et l’appel aux jeunes architectes pour élaborer de nouveaux quartiers de ville équilibrés et humains, après consultation des citoyens !

Lire à ce propos Jospin ou Fabius est bien décevant.

Jean-Pierre Lefebvre, aménageur en Seine-Saint Denis de 1974 à 1994 – novembre. 2005 –