Par Richard FARNETTI, Catherine MATHIEU et Dominique PLIHON

Richard Farnetti est professeur à l’université Paris-XIII, Catherine
Mathieu économiste à l’OFCE
et Dominique Plihon professeur à l’université Paris-XIII.

mardi 25 octobre 2005

Le 27 octobre va se tenir un sommet informel européen à Hampton Court à l’invitation de l’actuelle présidence britannique de l’UE, sur le thème du modèle social européen. Tony Blair et son chancelier de l’Echiquier, Gordon Brown, vont essayer de «vendre» les bienfaits du
modèle britannique dont ils sont les artisans. Un colloque international s’est tenu le 14 octobre à l’Assemblée nationale dont l’ambition a été de décrypter la réalité du modèle blairiste, et de
déterminer l’intérêt qu’il y aurait à le transposer en Europe continentale.

Le faible niveau du taux de chômage, inférieur à 5 % de la population active, donc deux fois moindre que celui de la France, est souvent mis en avant comme la principale réussite du New Labour.

Les ressorts de cette victoire sur le chômage en apparence sans appel méritent cependant d’être analysés. Depuis l’arrivée de Tony Blair au
pouvoir en 1997, l’emploi s’est accru de 6,5 % seulement au Royaume-Uni, soit nettement moins qu’en France (+ 9,4 %), ceci en dépit d’une croissance un peu plus forte de l’activité. Les créations d’emploi ne
sont donc pas à l’origine de l’apparente réussite du modèle blairiste, dont on veut nous faire croire que la clé serait la flexibilité du marché du travail.

En fait, les travaux existants montrent que le marché du travail est extrêmement segmenté au Royaume-Uni, la mobilité y est faible, et la flexibilité correspond surtout à une précarisation des salariés.
_ Certes, l’emploi à temps partiel subi est fortement développé, touchant en particulier les personnes les plus fragiles, telles les femmes à la tête de foyer monoparental. Les inégalités salariales et
la pauvreté sont plus élevées que dans l’Europe des Quinze. Près de 20 % des ménages britanniques sont pauvres.

A propos de l’apparent miracle du marché du travail britannique, on pourra rappeler que 2,2 millions de personnes en âge de travailler sont exclues des statistiques du marché du travail pour cause de
longue maladie (soit nettement plus que le 1,4 million de chômeurs comptabilisés selon les normes du Bureau international du travail) et que ce nombre n’a pas baissé sous les mandats de Tony Blair ! Il faut
aussi savoir que sur les 2 millions d’emplois créés au Royaume-Uni depuis 1997, un million l’a été sous forme d’emplois publics ! Drôles de succès pour une politique qui prône le libre jeu du marché pour faire baisser le chômage.

Il est une cause essentielle des bons résultats de l’économie britannique : c’est la politique économique efficace menée par le gouvernement travailliste depuis 1997. Devenue indépendante en 1998, la Banque d’Angleterre l’est moins que la BCE, car son objectif
d’inflation est fixé chaque année par le chancelier de l’Echiquier.
_ Et cet objectif d’inflation est symétrique, car il cherche à éviter l’inflation autant que la déflation.

Par ailleurs, le gouvernement britannique a défini deux règles budgétaires. Selon la règle d’or des finances publiques, le gouvernement n’emprunte sur la durée du cycle économique que pour financer l’investissement public. Ce qui revient à dire que l’investissement public n’est pas sacrifié par la rigueur budgétaire,
et a permis au Royaume-Uni d’accroître fortement ses investissements publics pour rattraper un retard immense creusé sous la période Thatcher. Le gouvernement a également fixé la règle d’investissement
soutenable selon laquelle la dette publique (actuellement de 40 % du PIB contre 65 % en France) doit rester à un niveau stable et prudent, ce qui montre bien la prise en compte de la nécessité d’investir aujourd’hui pour les générations futures.

La règle d’or permet aussi de conduire des politiques budgétaires actives de stabilisation de la croissance au cours du cycle. Ce couplage efficace des politiques monétaire et budgétaire a permis de stabiliser la croissance et l’inflation à des niveaux satisfaisants.
_ A partir de 1999, la remise à niveau des services publics transports, santé, éducation a joué un rôle essentiel dans la croissance et l’emploi au Royaume-Uni. Pendant ce temps-là, les pays d’Europe continentale se liaient les mains en décidant de participer à la monnaie unique.

Trois leçons se dégagent des politiques blairistes. Le faible chômage au Royaume-Uni est en partie un artefact statistique. Ensuite, ces politiques ont été très actives, avec un soutien massif de la dépense publique à la croissance et à l’emploi. La troisième leçon concerne l’Europe : là où Tony Blair et Gordon Brown ont des leçons à donner, c’est dans la manière de conduire les politiques macroéconomiques.

Il serait judicieux que l’on applique dans la zone euro les recettes blairistes, somme toute très keynésiennes et peu originales ! Et que soient réformées les politiques qui dépriment sans raison la croissance dans la zone euro, à commencer par celles qui résultent du
Pacte de stabilité et du statut inadapté de la BCE.