Re-colonisation de l’Amérique du Sud

Les États-Unis lorgnent l’Amazonie et la Patagonie

Par

André Maltais

Le 24 mars, invitée par David Greenlee, ambassadeur américain en
Bolivie, la sous-secrétaire américaine aux Affaires contre les narcotiques,
Deborah McCarthy, déclarait que les Etats-Unis ne toléreront plus la moindre
plantation légale de coca dans la région du Chapare parce que « à cause de
nos succès en Colombie, les narcotrafiquants de là-bas viendront ici
cultiver la drogue ».

Cette nouvelle ingérence torpillait la fragile table de dialogue
entamée entre le président Gonzalo Sanchez de Lozada et le mouvement des
Cocaleros (paysans cultivateurs de coca) représenté surtout par Evo Morales,
chef du Mouvement vers le socialisme (MAS), seconde force politique du pays.

Cela va probablement relancer le cycle des violences qui ont fait plus
de 50 morts depuis janvier 2003. D’autant plus qu’un mystérieux groupe «
maoïste » (l’État-major du peuple) poussait récemment certains éléments des
Cocaleros à attaquer des locaux d’un programme gouvernemental favorisant des
cultures de substitution et que, à leur tour, les paysans participant à ce
programme annonçaient qu’ils prendront les armes pour répondre aux «
pressions coercitives » des Cocaleros.

Lettre ahurissante

Accusé de tirer bien des ficelles, l’ambassadeur Greenlee,
ex-conseiller politique du Southcom, espère qu’une nouvelle explosion de
violence créera un chaos propice à l’intervention des troupes américaines
surtout que les actes de rébellion et d’insubordination se sont récemment
multipliés dans l’armée et la police locales.

Cela explique sans doute pourquoi, au beau milieu d’une réunion de la
table de dialogue, le vice-président bolivien Carlos Mesa a lu une lettre
ahurissante dans laquelle le même ambassadeur prévenait que des éléments du
MAS préparaient un coup d’État pour le 9 avril pendant lequel ils allaient
assassiner leurs propres meneurs Evo Morales et Filemon Escobar !

Pour les analystes boliviens, il s’agit d’une menace de mort à peine
voilée contre les dirigeants du MAS et d’une justification à l’avance d’un
vrai coup d’État visant soit à militariser le régime de Sanchez de Lozada où
à le renverser au profit de Manfred Reyes Villa, ex-capitaine d’armée lié
aux dictatures du début des années 1980.

Villa dirige la « Nouvelle force républicaine » et, selon la presse
alternative bolivienne, fréquente assidument l’ambassade américaine depuis
deux mois.

Bateaux de guerre

L’Équateur est l’autre maillon faible de la région andine. En 1999, au
bord de ne plus pouvoir exporter les deux milliards de dollars annuels dus à
ses créanciers, le pays céda l’aéroport militaire et une partie du port de
la ville de Manta aux forces armées américaines.

Celles-ci veulent maintenant davantage, soit la permission pour les
navires de guerre américains de stationner en permanence dans les eaux
territoriales équatoriennes et d’y agir comme bon leur semble contre quelque
autre navire que ce soit.

Une telle entente mettra pratiquement fin à la neutralité de l’
Équateur face au conflit colombien et contribuerait d’autant à embraser la
région que, le 15 janvier, le président colombien, Alvaro Uribe, demandait
aux États-Unis d’intervenir dans son pays contre les guérillas une fois la
guerre d’Irak terminée.

Ceux-ci ne cessent d’exercer toutes sortes de pressions sur l’Équateur
pour l’impliquer dans le Plan Colombie.

Fermer la frontière

Ainsi, début mars, l’ambassadrice Kristie Kenney déclarait au
quotidien El Universo, de Guayaquil, que l’Équateur doit fermer sa frontière
avec la Colombie. Puis, le 30 mars, James Hill, patron du Southcom, recevait
à Miami les chefs des armées des deux pays pour convaincre l’Équateur.

Les Etats-Unis ont aussi réuni à Bogota en Colombie les ministres de
la Défense et des Relations étrangères des pays voisins de la Colombie pour
les persuader de qualifier de « terroriste » la guérilla des Forces armées
révolutionnaires de Colombie (FARC). Seul le Panama accepta.

Le 23 mars, James Hill visitait des installations militaires
équatoriennes dans l’Amazonie proche de la frontière du Putumayo colombien,
théâtre d’opérations probable d’une éventuelle intervention américaine en
Colombie.

Le but visé est clair: forcer l’Équateur à concentrer des troupes à la
frontière colombienne, puis aider l’armée colombienne à « pousser » les
guérilleros des FARC contre les forces équatoriennes.

Plus près de « Lula »

Mais le gouvernement de Lucio Gutierrez de même que l’armée
(co-responsables du soulèvement de 2001 contre le président néo-libéral
Jamil Mahuad) se sentent plus proches de « Lula » au Brésil que de George W.
Bush, et ils résistent.

Certains hauts dirigeants militaires parlent même d’occuper la base de
Manta aux côtés des Américains pour veiller à protéger la neutralité et la
« sécurité intérieure » du pays.

Cette volonté d’indépendance explique sans doute l’étrange
arrestation, le 10 avril, de neuf « tueurs à gages » alors qu’ils étaient
supposément en mission de 30 jours pour assassiner le président Gutierrez.

Source :

http://www.lautjournal.info/autjourarchives.asp?article=1420&noj=219