« dis moi, est-ce que tu m’as demande avant de m’ecrire sur la cheville ? pourquoi tu m’as ecris sur MA cheville ? pourquoi tu ecris sur les corps des femmes ? je me rappelle t’avoir vu m’ecrire dessus mais pas que tu m’aies demande la permission. j’ai pas reagi, parce que j’avais plus grave a penser, mais c’est tres nase d’ecrire sur le coprs des meufs, surtout que je t’ai jamais vu le faire sur le corps d’un mec, tout comme a chaque fois que j’ai vu faire ca, c’etait a chaque fois un mec sur une meuf et que c’est une tradition internationale que de marquer les femelles comme du betail [pour marquer la propriete], donc, ce serait bien que tu cesses de le faire sur les meuf, sauf si ELLE TE LE DEMANDE EN PREMIER (et pas toi) parce que c’est noues entretenir dans la vision qu’on noues inculque (partout, dans la rue, partout, a la tele, dans la maniere dont on noues traite, dans la maniere dont tu m’as traite en m’ecrivant dessus, en me marquant comme si j’etais ta propriete etc) que noues sommes des OBJET A LA DIPOSITION DES MECS. pour info, si j’ai laisse faire, sache que j’ai laisse un mec me violer et me faire une plaie dans le vagin (que j’ai failli en creuver) et que ce n’est que 10 ans apres que je lui ai fait remarque que c’etait un viol et que c’etait pas cool. donc ne t’etonne pas de recevoir ce message : c’est vraiment pour pas garder de rancoeur, pouvoir laisser se faire l’amitie, t’aider a avancer dans la deconstruction de ta malitude, et aussi pour que tu cesses de contribuer, par des trucs que tu fais sans mauvaise intention, a l’asservissement des meuf que tu croises. c’est en fonction de comment on est traite-e qu’on se traite. si tu me traites comme un objet, j’integre sans le vouloir que je suis un objet et je me laisse violer.
donc CESSE D’ECRIRE SUR LES MEUF QUE TU CROISES LEUR CORPS NE T’APPARTIENS PAS => TU N’AS PAS A TE SERVIR OU MEME VOULOIR L’UTILISER POUR TON PETIT PLAISIR [PERSO]
est-ce que tu comprends ce que je veux dire ? stp, discutes-en avec A [qui est un mec averti] par exemple, si tu comprends pas.
a+ chtoun »

(Analyse de chtoun)

Pour moi l’histoire du « groupe social » auquel les gen-te-s sont affilie-e-s malgre ielles est important dans la maniere dont on devrait vivre/interpreter les choses.

Dans ce qui suit, bi trans meuf lesbienne = au sens d’identites propres exprimees par les individues elles-memes.

Pour moi, c’est pas pareil si ca avait ete un-e trans ftm , une lesbienne, une meuf ou une bi qui m’avait ecrit dessus (ca m’est jamais arrivé) meme si je sais tres bien qu’on a aussi des rapports de domination entre « nees femmes », mais pour moi, ca n’a pas la meme signification. Par exemple, une blague sur les non-blanc-he-s par un-e non-blanc-he-s n’a pas la meme signification que la meme blague dite par un-e blanc-he-s.

Entre maitre et esclave, ya une ASYMETRIE FONDAMENTALE de comment un maitre apprend sa place dans le monde par rapport à la place qu’un-e esclave apprend (et meme essaie de desapprendre), à cause d’un hasard de naissance (certains sont toujours mieux lotis que d’autrEs), qui fait que ca passe par la tete des maitres d’écrire sur l’autre sans demander, alors que la reciproque n’est pas verifiee.

C’est toujours le maitre qui marque ses esclaves (meme si des esclave ecrivent sur leur maitre, ca n’a pas de valeur de marquage).

Sinon, dans le mail, je parle que de garcon/fille, mais ca designe surtout la place qu’on a dans les ideologies racisantes, et je pense qu’il est important de tenir compte de cette place dans la comprehension de la maniere dont les gen-te-s « heritent de leur place », traitent et sont traitées et acceptent d’etre traitées. Par contre, au niveau genetique (=le seul truc inné) les « races » n’existent pas, hein, et le genre en fait parti, ce qui n’empêche pas que, par le truchement du traitement social, les « races » emergent en tant qu’ensemble de caracteristiques comportementales de type dominé-e/dominant-e, esclave/maitre.

Faire comme si c’etait pour tout le monde pareil, maitres et esclaves, main dans la main, sautillant dans les champs fleuries de la dynamique sociale en place, pour moi, ce serait masquer une realite qu’on ne veut pas voir parce qu’elle fait trop mal. Or, louper ce cote de la realite, i.e. l’assymetrie fondamentale des rapports entre « race dominante et race dominée » issue de leur HISTOIRE, c’est louper un si ce n’est LE gros morceau du problème.
Aussi, une mal-traitance équivalente d’un-e bi/trans ftm/meuf/lesbienne sur un-e autre meuf/bi/lesbienne/trans ftm, c’est, d’apres moi, plus la reproduction du traitement des dominants sur les dominées. Pour illustration, une des blagues communes a toute l’afrique, c’est la reprise de ce que disent les colon-e-s : quand le travail est « mal fait », on dit « c’est du travail de noir/arabe ». C’est marrant d’ailleurs, en plus, ya l’espece de sac où tu mets tout ce qui est « noir » et un sac où tu mets tout ce qui est « gris »= « arabe »…tu les tries comme des graines les esclaves et ielles se trient aussi comme des graines, comme le maitre les trie. (Rq : les « arabes » vivent en « arabie saoudite », tous comme les « francais » vivent en « france » => le « maghreb » n’est pas « arabe ».)

Bref, en gros, c’est par l’interiorisatoin de l’oppression du maitre sur ses esclaves, ie. le fait de reconnaitre que l’autre est esclave à marquer, qui fait qu’un-e trans ftm/meuf/bi/lesbienne va penser à ecrire sur un-e meuf/lesbienne/trans ftm/bi sans lui demander => un meme comportement de surface cache souvent des realites bien differentes. Et cette différence, cette assymetrie, vient d’une histoire qu’il est, d’après moi, inefficace et injuste d’ignorer dans une demarche de réflexion sur la racisation (=hierarchisation).

En plus, « comme par hasard », il est blanc et moi « ex »colonisée d’afrique, mais ca, ce n’est qu’un clin-d’oeil qui s’ajoute a mon vecu.

Quelques precisions :

Suite a des interactions avec des potes autour d’une premiere version de ce texte, il ressort qu’il y a quelques ambiguites à lever.

1. La forme donne l’impression que c’est a lui que j’en veux affrrreusement, mais c’est pas du tout le cas. En termes de rapport de pouvoir, lui, c’est juste une personne parmi les maitres, et moi, je suis juste une personne parmi les esclaves. Il aurait pu etre toi et j’aurais pu etre toie.

2. Aussi comme pour de nombreux cas de maltraitance (viol inclu), dire « non », se defendre, ca a effectivement de forte chance de cesser le traitement quand le-s agresseur-s est/sont des proche-s ou non… MAIS : (a) on arrive pas toujours a dire non, ou meme a le penser, puisque ce que l’on subit est fait sous des airs de rien, vu que c’est effectivement dans l’ORDRE des choses. Au debut, on s’en veut d’avoir laisse l’autre faire, et puis apres, on se dit que c’est pas juste d’avoir une vie d’esclave et qu’on ne le serait pas s’il n’y avait pas de maitres. (b) c’est usant d’etre sur la defensive tout le temps. T’as pas envie de te preparer a subir des trucs desagreables toute la journee et toute la nuit, quand deja, a ta moindre apparition dans la rue, des inconnus te maltraitent. (c) l’energie et le temps investis dans la defense ne peut plus servir a la construction de soi, qui inclut, en particulier, l’implication de soi dans des projets collectifs (qui sont dans la sphere publique), l’apprentissage de savoir et savoir-faire, vivre des relations socio-affectives qui donnent l’energie de cette construction.

Il vient que c’est peut-etre surtout aux maitres de descendre leur train du trone (dont ils refusent souvent de reconnaître l’existence), en cessant de faire subir des maltraitances aux personnes qui laissent faire parce que laisser-faire ne veut pas dire qu’on interiorise pas l’oppression, rendant ainsi les oppressions toujours plus trash toujours plus acceptables et donc toujours plus probables à subir.

3. Attention : L’OPPRESSION N’A PAS BESOIN D’ETRE INTENTIONNELLE.

Je dirais meme que moins elle est intentionnelle, et plus elle est dangereuse car elle echappe plus au contrôle (conscient) de l’agent (maitre) qui detient le pouvoir de nommer et de donner le sens des actions (dont celle qu’il fait subir), privant, d’autant plus, l’autre (esclave) (i) de la possibilité de transformer son ressenti en sens, donc (ii) de prendre conscience de l’oppression subie, donc (iii) de ne pas se rendre automatiquement responsable de cette oppression, donc (iv) de remettre en question l’ordre en place, donc (v) de chercher pour trouver des moyens de dissoudre cet ordre.

4. Ce texte comme tous les autres « profils genrés » s’adressent a tout le monde, et ne veut pas prendre pour « cible a exclure ou punir » les personnes qui m’ont permise de reflechir et d’ecrire sur ce que j’ai pu vivre grace a notre relation/interaction. D’ailleurs, je leur en suis tres reconnaissante sur ce point. Aussi, les « races », genres inclus, ont, d’apres moi (et bien d’autres), plus de chance de se dissoudre, de ne plus exister du tout, si on prend collectivement conscience, dans notre vie de tous les jours, (i) de là où et la manière dont ces oppressions s’expriment concretement dans l’intime et le prive comme dans le publique, et (ii) que le ressenti des esclaves de « naissance » n’a pas besoin de l’aval de leur maitre pour etre legitime.

Il semble que ce soit dans ce decallage meme entre ressenti d’esclave et de maitre que se trouve une premiere source d’information pour une conscientisation, aux niveaux d’individuel à collectif, de l’assymetrie de pouvoir des rapports inter-individuels racisés.

5. Ma demarche generale dans l’ecriture des profils genrés est de partir d’anecdotes mal vecues au niveau perso, de les sortir dans la sphere du publique, en exprimant mon ressenti dont je suis censee etre honteuse (ex. voir des reactions sur les premiers « profils genrés » sur indymedia paris), en essayant, avec mes outils basiques et dans les limites de ce qu’on peut ecrire/dire quand on est impliqué-e au niveau emotionnel et surtout quand on est ne-e esclave, de construire une analyse faite-maison de portee plus globale, qui veut appeler a l’ouverture de discussion-s/reflexion-s individuelle-s et/ou collective-s, où des personnes s’expriment sur leur propres vecus et ressentis, en contribuant ainsi a l’emergence d’une reflexion collective à plus long terme pour dissoudre les hierarchies qui sous-tendent l’ordre en place.
bz a+ chtoun

P.S Je comprends que des blanc-he-s et/ou hommes aient du mal a partager mon analyse, mais, « [i]l semble [justement] que ce soit dans ce decallage meme entre ressenti d’esclave et de maitre que se trouve une premiere source d’information pour une conscientisation, aux niveaux d’individuel à collectif, de l’assymetrie de pouvoir des rapports inter-individuels racisés. »