VIOLENCES SUR CAISSIERES

La démarche qui consiste à écrire cet article n’est pas, pour moi, une plainte que je formulerais dans le but de m’apitoyer sur mon sort. Cet écrit doit servir à tous les consommateurs qui font leurs courses dans les supermarchés, autant dire, à tout le monde. Une espèce de petit manuel du client qui ne serais pas trop con avec le personnel des supermarchés.

En septembre dernier, j’ai dû m’atteler à trouver un emploi étudiant me permettant de payer mon loyer. Quelque chose de stable mais qui ne prend pas trop de temps non plus. Après de multiples recherches, une grande enseigne de supermarché avec un petit oiseau rouge pour logo me contacte. C’est à la mi-septembre que je me retrouve derrière une caisse enregistreuse et devant des tas de clients. Pendant huit heures par semaine, je doit avoir un rôle « d’hôtesse de caisse ». Et on en dira ce qu’on voudra, ce n’est pas la même chose que d’être caissière. Les nouvelles hôtesses suivent une formation de 5 jours. On leur présente « la culture » de l’entreprise, la photo du directeur général sur un fond d’ascension sociale : l’homme n’a démarré de rien et est aujourd’hui à la tête d’un empire car des magasins sont également ouverts outre-Atlantique (signe de réussite, quand même !). A entendre les formateurs (caissières ou personnel du magasin), cet individu est un peu comme nous…

Les formations ne s’arrêtent donc pas à l’apprentissage du fonctionnement des caisses. En poste, nous devons toujours garder à l’esprit le « SBAM+ ». Explication : Sourire, Bonjour, Au revoir, Merci, + la petite formule de politesse : « en vous souhaitant une agréable journée Monsieur », j’en passe et des meilleures. Dans mon langage je traduit ça par : brosser les dans le sens du poil.
Si j’ai utilisé un « s » à violences dans mon titre c’est parce l’entreprise nous berne et qu’une part des clients que j’ai rencontré sont de véritables cons (appelons un chat, un chat).

En ce qui concerne l’entreprise, (je vais faire bref), on pourrait penser que les cadres suivent des formations de manipulation. Ils ont l’art et la manière de faire penser à l’ensemble du personnel qu’il est indispensable à la bonne marche du magasin (et à l’accroissement du chiffre, évidemment). Une formation par mois en moyenne, même pour les contrats de huit heures. Le contenu ? Présentation de tableaux des chiffres mensuels de chaque rayon, comparés aux autres magasins de la même enseigne, sur le territoire national. Du coup, si on est en-dessous d’autres magasins, on définit des objectifs pour qu’à la prochaine réunion, notre chère chef de zone (connasse en chef) nous félicite avec ces mots toujours bien choisis. Il y a également des formations contre le vol qui sont agrémentés par des discours racistes : ayez bien l’œil quand ceux-ci ou ceux-là passent à votre caisse (je n’en dit pas plus, tout le monde aura deviné de quels types de population il s’agit). Pour finir, notons que les contrats étudiants sont là en renforts, pour que les hôtesses à temps plein aient leurs mercredis où ne finissent pas tout le temps à 22h (heure de fermeture du lundi au samedi). Lors de l’embauche, tout le monde est au clair avec le fait que les étudiants restent, pour la plupart, pendant l’année scolaire. On nous fait donc signer un CDD de 3 mois pour commencer. A l’issue de ce contrat, soit on signe un CDI, soit on vire : vont quand même pas payer de prime de précarité et on va quand même pas gueuler parce qu’on ne peut pas toucher les ASSEDIC après : estimons nous heureux d’avoir un travail car ce ne n’est pas le cas de tout le monde.

Passons à la relation client, à la limite pire que les entourloupettes de la direction. Après être passée derrière la caisse, je me rends compte que moi aussi, j’ai due être une cliente chiante voire conne des fois. Le client passe environ 2 à 7 minutes à une caisse alors qu’il m’est arrivé de faire des journées de 7h (avec 3 min de pause par heure travaillée) en étant obligée de téléphoner pour savoir il était possible d’aller aux toilette. A ce rythme là, un petit bonjour-au revoir, c’est pas du luxe. Je comprend tout à fait qu’on peut pas être de bonne humeur tous les jours mais quand t’es caissière, t’as pas le choix, SBAM+ oblige ! Il y a différents trucs qui mettent votre patience à rude épreuve : ceux qui font la gueule, ceux qui ne disent pas bonjour, ceux qui te font chier parce que c’est pas le bon prix (on ne fait pas les étiquetages) ou que le code barre ne passe pas, ceux qui t’appellent par ton prénom (écrit sur ta chemisette dernier cri…) en te draguant devant leur femme blasée et les champions toutes catégories sont ceux qui te font un scandale parce que tu ne leur donne pas de pochon plastic en plus.
C’est un élément très important, le pochon plastic. Pour des raisons environementalo-financières, la direction a décidé que l’on devait limiter la consommation de sacs. Dans ce fameux magasin, ce sont les hôtesses qui ensachent les produits des clients. La direction a donc décidé qu’on ne devait plus ensacher que certains produits (les plus petits et plus légers). Des pancartes étaient affichées partout pour prévenir les clients qui même un an après le début de la campagne d’information, continuait non pas à demander gentiment un sac mais à peter de véritables scandales, tant et si bien qu’une hôtesse a manqué de se prendre une bonne baffe parce qu’elle refusait de donner un sac pour une bouteille de vin… Vous devez vous dire que le prix des sacs que l’on donne n’est pas retiré de notre salaire et qu’on pourrait en donner davantage mais levez la tête quand vous êtes à une caisse, vous pourrez admirer le dernier cri des caméra-boules (360°) permettant de surveiller aussi bien les clients adeptes du libre service que les caissières… D’ailleurs, en ce qui concerne le contrôle des hôtesses, notons que chaque touche de la caisse que vous pressez en enregistrée instantanément au contrôle informatique. Cela permet de tirer des tableaux de moyennes de clients par minutes, d’articles par minutes, d’erreurs de caisse au centime près. Du coup, ces tableaux et l’intervention d’évaluateurs externes (personne qui passe à votre caisse en civil et qui remplit une grille d’évaluation sur la rapidité, l’accueil… à laquelle le ticket de caisse est agrafé, puisque qu’il porte votre prénom et votre numéro d’hôtesse) sont utilisé lors d’entretiens annuels avec la direction. Ces entretiens définissent votre prime de fin d’année. Avec tout ça, ne vous étonnez pas si la caissière que vous avez en face de vous s’énerve parce que vous mettez trop de temps à déposer vos articles sur le tapis ou à trouver votre carte de fidélité du magasin. Cela aura une répercussion sur sa prime annuelle !

Ce métier difficile physiquement et mentalement n’est pas valorisant, ennuyant et bardé de représentations négatives. C’est sûrement pour cela que les hôtesses permanentes (parfois là depuis 15 ans) parlent, en salle de pause, de NOTRE chiffre d’affaire, de NOS rayons… Elles sont également très sensibilisées aux détections de vols, sûrement seul élément valorisant à leurs yeux.

Je vais m’arrêter là parce que je suis intarissable sur le sujet. J’ai interrompu mon contrat il y un mois et je me sens quand même vachement plus détendue. J’ai vu parfois des samedis soirs biens amers quand je rentrais à 23h parce que des clients venaient faire leurs courses de la semaine à 21h50. Tout le stress généré pendant mon temps de travail ne pouvait être évacué sur les clients parce que quoi qu’ils disent, nous avons le devoir de les faire repartir satisfaits, donc de fermer notre gueule devant des gens irrespectueux (je me contiens).

En espérant que ces informations vous permettent de mieux cerner la journée type d’une caissière, et d’agir en conséquence.

Hôtesse de caisse n°582