Nous rendons hommage aujourd’hui aux liquidateurs de Tchernobyl.

Nous le faisons bien tardivement. La chape de silence qui recouvre Tchernobyl ne se lézarde pas aussi facilement que le sarcophage dont le réacteur en ruine est recouvert.
Nous nous trouvons enfin informés du sacrifice des liquidateurs dont tant sont morts, dont tant souffrent encore, du prix qu’ils ont payé pour que nous puissions, à travers toute l’Europe, continuer à respirer, boire, manger.
L’information nous est parvenue du professeur Nesterenko de Biélorussie par une lettre qu’il nous a adressée le 15 janvier 2005. A l’heure où l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique et l’OMS ne dénombrent toujours que 32 morts et pendant que le Pr Youri Bandajevsky continue de purger ses 8 années de prison pour avoir osé publier l’état de santé désastreux des enfants de Biélorussie et d’Ukraine dû à la pollution radioactive, cette lettre atteste d’une réalité toute autre. Un épisode majeur de l’histoire de l’Europe a été tenu jusqu’ici sous silence. Voici quelques extraits de la lettre du Pr Nesterenko :

(…) Les 28-29 avril 1986, les collaborateurs du département de la physique des réacteurs de l’Institut de l’énergie atomique de l’Académie des sciences de Biélorussie ont fait des calculs qui montrèrent que 1300-1400 kg du mélange uranium+graphite+eau constituaient une masse critique et une explosion atomique d’une puissance de 3 à 5 Mégatonnes pouvait se produire (c’est une puissance 50 à 80 fois supérieure à la puissance de l’explosion d’Hiroshima). Une explosion d’une telle puissance pouvait provoquer des radiolésions massives des habitants dans un espace de 300-320 km de rayon (englobant la ville de Minsk) et toute l’Europe pouvait se trouver victime d’une forte contamination radioactive rendant la vie normale impossible. (…) Il y a une chose que je sais pour sûr : des milliers de wagons de chemin de fer avaient été réunis autour de Minsk, Gomel, Moguilev et les autres villes se trouvant dans un rayon de 300-350 km de la centrale de Tchernobyl pour l’évacuation de la population si une telle nécessité se présentait.
On s’attendait à ce que l’explosion puisse avoir lieu les 8 ou 9 mai 1986. C’est pourquoi toutes les mesures possibles furent prises pour éteindre avant cette date le graphite qui brûlait dans le réacteur. On amena d’urgence à Tchernobyl des dizaines de milliers de mineurs des mines des environs de Moscou et du Donbass pour qu’ils creusent un tunnel sous le réacteur et installent un serpentin de refroidissement pour refroidir la dalle de béton du réacteur et exclure toute possibilité de formation de fentes dans cette plaque. Les mineurs durent travailler dans des conditions infernales (haute température et haut niveau de radiation) pour sauver la plaque de béton de la ruine. Il est impossible de surestimer ce que ces hommes pleins d’abnégation ont fait pour prévenir une éventuelle explosion nucléaire. La plupart de ces jeunes gens sont devenus invalides, nombre d’entre eux sont morts à l’âge de 30-40 ans.
Il est évident que la situation radiologique dans le réacteur était terrifiante.(…) On sait que le 7 mai 1986, l’incendie qui faisait rage dans le bloc 4 de la centrale atomique de Tchernobyl fut éteint. L’exploit des centaines de milliers de jeunes gens – pompiers, soldats, mineurs – « liquidateurs » de ce terrible accident, ne connaît pas son pareil.
Selon l’estimation des physiciens, il y avait dans le réacteur de la centrale de Tchernobyl près de 400 kg de plutonium. On estime que près de 100 kg de plutonium ont été rejetés dans l’environnement au moment de l’incendie (1 microgramme de plutonium est une dose mortelle pour un homme pesant 70 kg ).
Mon opinion est que nous avons frisé à Tchernobyl une explosion nucléaire. Si elle avait eu lieu, l’Europe serait devenue inhabitable.
Une idée dangereusement fausse fait son chemin en Occident : du moment que les réacteurs de la centrale de Tchernobyl sont arrêtés, il paraît qu’il n’y a plus de risque d’explosion atomique. Or tant que le combustible nucléaire se trouve à l’intérieur du réacteur en ruines, il présente un danger non seulement pour l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie mais pour les populations de l’Europe entière.
Les peuples d’Europe devraient selon moi être infiniment reconnaissants aux centaines de milliers de liquidateurs qui au prix de leur vie sauvèrent l’Europe d’un malheur atomique gravissime.
Selon la déclaration faite en 1996 par la direction de l’association « Union de Tchernobyl », plus de 20 000 hommes de 30 à 40 ans qui avaient participé à la liquidation des conséquences de Tchernobyl étaient morts à cette date.(…)
Professeur Nesterenko, membre correspondant de l’Académie des sciences de Biélorussie, docteur ès sciences, liquidateurs des conséquences de l’accident survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986

Il y a eu par le passé d’autres hommes qui ont donné leur vie afin que celle de leurs concitoyens ne soit plus un registre de souffrances, voire d’atrocités. Le combat des liquidateurs de Tchernobyl n’a pas amené ces derniers sur un front face à d’autres combattants à l’uniforme différent. L’ennemi qu’ils ont combattu était invisible, ce ne sont pas ses balles qui les ont transpercé mais ses rayons.
Ils n’ont pas pu donner la mort à cet ennemi, personne ne le peut, sa vie est longue, très longue autant que des milliers de vie d’hommes.
Les liquidateurs ont réussi à contenir la puissance effroyable de cet ennemi dans le réacteur en ruine de Tchernobyl. Qu’ils sachent et leur famille, leurs proches combien nous les remercions, combien nous leur en sommes infiniment reconnaissants.

Réseau « Sortir du nucléaire »
www.sortirdunucleaire.org
Contact : Stéphane Lhomme 06 64 100 333