Cette critique comparative des ordres religieux globaux s’inscrit dans le prolongement du jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris interdisant dans l’ombre de la Conférence des évêques de France, la libre exploitation d’une représentation de la Cène de Léonard de Vinci pour des motifs publicitaires.
Elle condamne l’alignement de la justice républicaine sur le discours dogmatique de l’Eglise concernant le pur et l’impur, comme elle condamne le discours général de l’Eglise sur l’usage de la « douleur » (ici, associée à la passion ou dernier repas du Christ) par le droit religieux ou canon.
Un discours et un droit discriminants : exclusion de la femme -l’impur- de la passion, alors que la femme, même nue, ce qui n’est pas le cas ici, comme l’union principielle de l’homme (de dos) et de la femme, soient largement présents dans la gnose ésotérique chrétienne et alchimique, non politique et non séculière.

L’Eglise, une fois de plus, comme aux temps des persécutions politiques de Swift, de Rabelais, de Pasolini -et bien que Marithé et François Girbaud, créateurs de mode, se situent à un plan commercial de la « création »- dissimulera, à un autre niveau de compréhension, le contexte populaire (nous pouvons le voir ainsi) de l’accomplissement individuel et la beauté solennelle de la provocation insolente, tout en renouvelant son propos politique sur le comportement sexuel et la parole.
Un retour aux « peurs millénaristes », donc, largement exploitées et mises en scène par le discours religieux sur « le bien et le mal », « le paradis et l’enfer » et à la « messianicité » des ordres religieux et politiques globaux (fusion médiatique planétaire du politique, de l’économique et de la parenté socio-religieuse en une loi unique du comportement, de la pensée et de la parole) en occident comme en orient.
Cette brêve analyse comparée (nous ferons allusion au bouddhisme, à l’hindouisme, à l’islam et au confucianisme d’Etat) fera suite à l’intéressante mise en garde de Jean Dornac sur le « retour de l’ordre religieux » publiée dans Altermonde le 11 mars dernier, peu après la publication du communiqué de la LDH concernant le jugement de la « Cène » par la justice des évêques et de la république.

La doctrine de l’interdit

Evoquer « la » doctrine chrétienne de l’interdit n’est pas chose aisée.Toutefois, un schéma de doctrine morale et politique ultra-sécuritaire de l’ordre religieux chrétien semble se manifester au moyen-âge au carrefour de l’évolution du droit canon et de la volonté ecclésiastique et papale de fondre un modèle stable de parenté, juste pour l’église, son pouvoir économique et la morale, sur la « reproduction de l’espèce, la filiation et la pureté ».
Une recherche occulte engageant les richesses et les pouvoirs du temps, et que l’on retrouvera achevée et manifeste dans de nombreux documents comme les lettres pontificales, les décrétales d’Ugolino (communications des règles et des décisions relevant de la doctrine et du droit ecclésiastique), comte de Segni plus connu sous le nom de Grégoire IX, Pape et « apôtre » d’une authentique théorie politique du pouvoir de la parole, de la pensée et du comportement sexuel en 1234.
Cette théorie pratique de la protection de l’interdit (prohibition de l’inceste dans la généalogie du peuple, corps de l’église) comme toutes les décrétales précédentes (celles du pape Sirice à la fin du IVème siècle, celles de Denys le Petit- collection dionysienne vers 525, celles dites des « fausses décrétales » sans attribution exacte jusqu’à la fin du IXème siècle, celles de Gratien en 1150) en tant que Lois de l’Eglise (réunies par le frère dominicain Raymond de Penafort) seront les clefs de l’organisation sociale, économique et politique au moyen-âge occidental. L’enjeu du pouvoir religieux consiste en la maîtrise des écritures, des codes de filiation, des principes fondamentaux de la reproduction et de la pureté du sang chrétien en Europe. L’église affirme son contrôle absolu sur le vivant, humain et non humain.

Le comput de la filiation (registre des calculs de parenté) transmis à travers les âges peut être considéré comme le corps « légal » de la filiation chrétienne et de l’autorité politique, économique et judiciaire de l’église. Il trouvera son achèvement, en terme de censure des libertés du comportement, de la parole et de la pensée, en la « justice généalogique » réduisant l’autorité naturelle de l’homme aux commandements de l’église, des tribunaux religieux et du pape.

Pourquoi l’église est intervenue dans l’affaire de la « Cène », que veut la république ?

Le juriste traditionnaliste du droit civil romain antique P. Legendre pose la question de l’institution des fils (produire le semblable à partir du semblable) tout en s’opposant à la dualité : « le fils peut-il battre le père ? qu’est-ce qu’un fils ? »
Puis « nous sommes enfants des images fondatrices et c’est en cela que nous sommes fils de, fille de… ou images de Dieu et du monde (Imago Dei et Mundi).
« Autrement dit, écrit Legendre, produire le semblable à partir du semblable dans l’espèce parlante, c’est faire vivre la logique de l’identité en instituant le discours des images… Quel est le fondement des termes l’homme-image de Dieu, si ce n’est, non pas un au-delà du monde de l’homme avec lequel l’homme serait en rapport d’image, mais la parole sacrée de la Genèse, une parole posée comme l’au-delà de la parole pour l’homme ?
« Nous avançons dans un vide sans réalité » (de l’un indicible et dicible, Traité des premiers principes, Damascus). Nous avons donc affaire (au regard du vide sans réalité, postulat) à l’indicible, et cependant en l’occurence parfaitement circonscrit par le théatre divin du texte, livre-sanctuaire de l’inaccessible (métaphore qui nous fait représentable, c’est-à-dire en somme palpable parce que parlable) qui aurait raison de tout et aurait comme tel statut de principe des catégories; en d’autres termes : statut de principe de Raison (définitivement non humaine ou relevant de l’Essence).

« Ainsi considérée, la formule l’homme-image de Dieu signifie simplement que la reproduction du semblable pour l’humanité passe par un discours de la causalité, impliquant non seulement un savoir sur la cause (quel que soit le contenu de ce savoir), mais que ce discsours célèbre le principe d’un tel savoir, de telle sorte que tout sujet, ressortissant légal de ce discours, puisse entrer dans le lien d’image avec le principe fondateur, par le biais précisément de la raison, du principe fondateur.
« Car en définitive, c’est bien de cela qu’il s’agit : la formule l’homme-image de Dieu est fondamentalement une mise en scène du principe de raison dans la culture d’Occident, et par là jette les bases d’un discours normatif des catégories :

1 – fonder en raison la reproduction des fils et en tirer des conclusions juridiquement transmissibles…
2 – mettre en relief le discours des images comme noyau dur du Droit, l’institution du semblable à partir du semblable.

(Ainsi) la loi du vivre (lex vivendi) a été inscrite dans le coeur de l’homme.
Cette métaphore irradie l’ensemble de discours et de règles que nous appelons le Droit, mais aussi elle notifie que cet ensemble relève d’un auteur de la loi du vivre, autrement dit d’un au delà dont procède cette loi, de la Référence qui lui donne statut d’être ce qu’elle est, c’est-à-dire une loi constituant l’homme comme vivant.
« Nous voici non plus en présence d’une causalité matérielle, mais de la légitimité, c’est-à-dire de la marque, en l’homme, d’une paternité de la loi. Il s’agit de causalité généalogique…

Tel est le passage qu’accomplissent les procédures institutionelles en introduisant l’homme à son identité, en lui donnant statut de fils de, fille de, c’est-à-dire en lui donnant statut de semblable dans l’espèce.

« (Maintenant) si le langage est la première institution, eu égard au déterminisme symbolique dont relève la reproduction de l’espèce parlante, cela veut dire que le langage n’est pas seulement le monument social de la langue et du système sémantique, mais le discours instituant le langage comme loi du sujet. Cela n’est pensable qu’en posant, à un niveau qui soit pertinent dans la structure, les catégories fondatrices de la différenciation pour le sujet comme catégories parentales.
« De ce fait, compte tenu que ces catégories échappent par principe à tout arbitraire des familles, les parents concrets se trouvent placés sous statut symbolique, en ce sens qu’ils ne sont pas en position d’inventeurs de la loi généalogique, pas plus qu’ils n’inventent le langage, mais que simplement ils soutiennent en leur personne une fonction d’identification pour le sujet introduit par leurs soins à la parole, autrement dit introduit, par la médiation des fonctions parentales dans le concret des familles, à l’institution du langage, c’est-à-dire à la loi du vivre.

« Ainsi aperçevons-nous les deux niveaux distincts de la construction institutionnelle ou se joue la reproduction humaine, qui sont les deux niveaux solidaires de la filiation :

1 – un niveau que nous pouvons qualifier de théologico-politique, définissant la place où se tient le discours de la Référence comme place inaccessible au sujet – place théatrale où la société se présente comme figure de l’espèce ;
2 – un niveau second du Politique, où se tient le discours familial, en représentation symbolique de Référence fondatrice – place où se joue indéfiniment, d’un module généalogique à l’autre, la partie identificatoire du sujet.

« Selon cette perspective de hiérarchisation fonctionnelle des niveaux dans la structure, dit encore P.Legendre, le Droit peut alors être défini : discours social ayant à charge de verrouiller l’institution du langage. Verrouiller, en un double sens : négatif et positif.

« Négativement : le Droit ferme l’entrée à tout discours qui viendrait délirer sur l’ordre des places dans la structure; le Droit maintenant l’écart entre les niveaux.
« Positivement, le Droit assure la communication entre les niveaux par le commerce des interprétations, notemment par la casuistique… » (Leçons VI « Le pouvoir généalogique des Etats » dans « Les enfants du texte », « études sur la fonction parentale des Etats » et Leçons IV  » Le dossier occidental de la parenté », P. Legendre, Fayard, 1985)

Cette « justice généalogique » sera l’ossature de l’autorité de l’église en Europe occidentale. Sa représentation formelle comme son infini discours, son langage en tant que la Loi du sujet (statut symbolique y compris parental sans aucun pouvoir sur la généalogie, sur le langage, le discours de la Référence est inaccessible au sujet, l’église, place théatrale se présente comme figure de l’espèce), seront, à ce titre, âprement défendus par les magistrats enquêteurs (qui ont accès au discours de la Référence), fransiscains et dominicains, et inspireront tout un chapitre de l’histoire du crime en animant les tribunaux de l’inquisition.
Le Pape Grégoire IX, qui règnera entre 1227 et 1241, et qui obtiendra deux fois l’excommunion de l’empereur Frédéric II, en 1227 et en 1237, leur accordera une absolue liberté inquisitoriale dès 1231.
Il y a réellement lieu de penser ici que les corps de doctrine qui inspirèrent tant Hitler (pureté de l’image, du discours, de la référence au sens traditionnel du terme, du sang et de la race, guerre contre l’impur et le faible) que Grégoire IX au moyen-âge, deviendront, à posteriori, deux sources judiciaires de l’histoire du crime d’Etat et du crime religieux d’Etat.

L’idéologie fondamentale de l’impureté

Nous retrouverons une même recherche, formelle et codifiée, sur « la reproduction de l’espèce, la filiation ou la pureté de la race » au coeur de la dialectique, non moins politique, juridique et policiaire, du bouddhisme d’Etat.
L’objet juridique fondamental à protéger au Tibet après le IXème siècle et jusqu’en 1949, sera bien l’Etat religieux bouddhique, objet des rois religieux, des généalogies politiques préservées et des lignées tantriques familiales (humainement et divinement transmises), les codes bouddhistes tibétains héréditaires des roisTsangs ou des Karmapa, de 1650 ou des Dalaï Lama (qui reconnaissent le talion).
Les pauvres, selon le tableau des correspondances de Rebecca Redwood French (Yale) publié dans sa thèse de IIIème cycle intitulée: « Golden Yoke », ou le « Joug Flambloyant », les commentaires sur le système de servage tibétain du tibétologue chinois Yuan Sha (intro II-1) et sur le système féodal de circulation des propriétés au Tibet de l’anthropologue et tibétologue américain Melvyn C. Goldstein (intro II-2) , montreront les moines « de pure conduite » en haut de la hiérarchie sociale, au dessus des seigneurs propriétaires terriens, et ces derniers, de conditions hautes-moyennes et basses, au dessus des sans-terres et des sans droits.
Les moyens tantriques et policiers appropriés seront une chose, les hommes et l’effroyable pauvreté du peuple, seront une autre chose.
D’un côté : propitiation, offrandes somptuaires, oracles, magie, pratiques divinatoires pour le bon fonctionnement du gouvernement, pour le succès dans la guerre comme dans la paix, un parfait système de représentation: « un système administratif, religieux et politique, extrêmement perméable aux ambitions personnelles et à la vengeance » (Goldstein) …
De l’autre côté : un désert de pierres et de sable, le peuple tibétain sans généalogie, sans terre, sans mérites…des gens juridiquement intouchables et dont la reproduction sera soumise à toutes les formes de répression et de manipulation, base rationnelle du travail obligatoire ou forcé, clef du servage pour dettes (hautement lucratif pour les maîtres du travail: fonctionnaires, moines et seigneurs).
L’Etat bouddhique établira bien, comme en occident au moyen-âge, les limites temporelles et religieuses de l’homme en imposant souverainement les normes de la parole, de la pensée, du mouvement, des activités, dans la vie comme dans la mort jusque dans les enfers ou dans les paradis.
Sa doctrine sera dispensée au Tibet, aux rois et aux ministres, au peuple, par Padmasambhava, en tant qu’une source de toutes les filiations et fondateur de la théocratie au IXème siècle (fusion du politique, de l’économique, de l’administratif, du religieux en une seule loi) . Une théocratie assise sur 900 annnées de rois esclavagistes pré-bouddhiques.
Le bouddhisme de Padmasambhava, appelé aujourd’hui au Sikkim : »bouddhisme de l’immoralité sainte » (guère différente de l’immoralité des philosophes et hommes politiques néocons US comme L. Strauss, école de Chicago, ou Irving Kristol, American Enterprise Institute et PNAC), épargnera toutefois les rois bouddhistes, les princes et les moines, tout en frappant, à l’aide de la doctrine du karma et du concept de la dette, « l’égo » du peuple : « comme la foudre ou l’éclat du diamant (vajra) frappent la pierre (l’égo) ».
L. Strauss dira : « l’homme de pouvoir sait qu’il n’ y a pas de morale à un certain niveau de pouvoir, que seul existe le droit de prendre et de posséder, la force du fort contre celle du faible ».
Le bouddhisme populaire sikkimmais (hors des routes bouddhiques touristiques), et ceci sera dit sans parti pris, sera l’un des rares bouddhisme du mahayana et du vajrayana sur la planète à présenter la doctrine d’un point de vue préventif, sous sa forme criminelle et pénalisante.
L' »immoralité sainte » sera cependant antérieure à Padmasambhava. On observera cet aspect du tantra bouddhique en Inde, au Pakistan, en Iran, en Irak, en Afghanistan, en Ouzbékistan, au Turkménistan, au Kirghizistan, au Tadjikitan… également Chine, au Xinjiang (régions ou l’islam sunnite et le bouddhisme cohabiteront dès le IXème siècle).

Insécurité fondamentale et légétimité des inégalités raciales et sociales

Le discours ultra sécuritaire et le discours sur les origines biologiques des inégalités sociales et raciales de Charles Murray et de Richard Herrnstein du Manhattan Institute de New York seront guères différents de ceux tenus par les haut-fonctionnaires du dharma d’Etat (doctrine, enseignement bouddhique ou hindouiste officiel).
Les enseignements des plus hautes autorités bouddhistes et hindouistes seront bien dispensés « à chacun selon son mérite » (intellectuel et cognitif) selon un strict respect des indices apparents sinon biologiques (expertisables, tradition héréditaire oblige) du mérite social : familiaux, professionnels, patrimoniaux, raciaux.
Les plus riches et les plus purs (ou les plus proches des rois selon les lois de l’ancien régime) seront indéniablement et doctrinalement les plus méritants.
Les plus pauvres seront doctrinalement (selon des catégories juridiques codifiées et écrites) « des hors castes », entendons, selon la terminologie bouddhique japonaise d’authentiques « non-humains » ou « hinin », « impurs » ou « eta », « hommes à quatre pattes » ou « yotsunin ». Les burakumin au Japon (gens des hameaux spéciaux ou ghettos) sont toujours persécutés par la société japonaise, tout comme le furent les « bêtes parlantes » ou « nangzen » en tibétain, jusqu’en 1949.
Ces catégories attestent de la violence des modélisations juridiques et religieuses pré-établies anciennes (consulter, si vous voulez, notre bibliographie judiciaire et ethno-antropologique sommaire : fin de l’Intro III-IV et fin du Ch. II, enseignements tantriques et sources judiciaires de l’histoire du crime religieux, dans « ni bonze ni laïc » sur linked222).

Nous retrouverons la violence des enseignements oraux du maha-vajrayana (hindouiste et bouddhiste car l’un conduira à l’autre) dans le corps même de certains sutras du mahayana comme le célèbre sutra des preceptes du mahayana upasakasila de Dharmaraksa publié aujour’dhui par le très impérialiste et très missionnaire Bukkyo Dendo Kiokaï (bouddhisme amidiste de la voie impériale) du milliardaire Yehan Numata.
Depuis plus de 2000 ans une forme de discrimination (dite positive puisqu’au service de l’éveil) est bien transmise par la tradition bouddhiste du hinayana en Inde, au Japon, en Birmanie, en Thaïlande, au Vietnam, en Chine, au Sri Lanka et la tradition bouddhiste du maha-vajrayana, au Tibet, en Inde, en Chine, au Japon et frappe toujours aux Etats-Unis, en Europe, au Japon, en Inde, la catégorie bouddhiste des exclus, des « candalas » (sanscrit) ou « hors castes » (ceux qui dans les vies passées, selon la doctrine écrite et transmise, auront détruit les lois bouddhistes, les temples et malménés les maîtres), « landless » (sans terre ou sans droit à la terre, au travail, ou ayant droit au travail forcé sans profit), « beggars » (mendiants), « homeless » (sans maison)… équivalents historiques des « asociaux », des « improductifs » ou des « irrécupérables » du IIIème Reich, les « asoziales » et les « volksschadling » selon la terminologie nazie, condamnés à la déportation et à la mort en 1938.

La tradition hindouiste les appellera « dalits » ou « hommes brisés ». Citons parmi les milliers de sous-castes corporatistes indiennes les safai karamacharis (laveurs de latrines à la main), les lohars (forgerons), les sutars (charpentiers), les mangs (intouchables fabricants de vieilles cordes), les chambhars (intouchables cordonniers), les mahars (auxquels appartiendra le juriste Ambedkar, sous-caste des nettoyeurs de rues chargés de retirer les carcasses d’animaux morts, sous-caste des cantonniers, des gardiens de village et des porteurs de messages), les naxalites (intouchables révoltés, armés par le gouvernement fédéral afin d’opérer une vendetta légale contre les brahmanes coupables de meurtres, de mutilations, de viols, de vols, d’incendies volontaires des villages mais acquités par les tribunaux corrompus ou relachés par des policiers complices)…
Au Sri Lanka ils s’appelleront les nahvis, les rodiyas ou les rodi, les « sales », les bannis, accusés par la métaphysique karmique d’avoir commis des crimes odieux dans leurs vies passées et qui seront condamnés au XXIème siècle à la mendicité ou à demander l’aumône, condamnés à n’avoir ni terre ni emploi et à subir des traitements dégradants, citons également les pallas et les nalavas, descendants d’esclaves, les paraiyars ou « ceux qui sont condamnés à des tâches impures »…
Au Pakistan ils s’appelleront « qoum » et seront balayeurs, laveurs, coiffeurs, bouchers, cette fois-ci musulmans sunnites, et dalits hindouistes fabriquants de briques. Ils vivent encore, aujourd’hui, en condition de prisonniers et se doivent au travail forcé tant qu’ils n’ont pas payer leurs dettes et ce malgré l’abolition du régime de travail servile en 1992…
En 2001 et selon Rajendra Kalidas Wimala Goonesekere de la sous-commission des Droits de L’Homme des Nations-Unies, ils (les intouchables, les parias, les endettés) seront 250 millions, soit 1/25ème de l’humanité.

Inégalités socioreligieuses et criminalité

Un fait est cependant certain, si la doctrine bouddhiste ou hindouiste (voir l’organisation nationale-socialiste Hinduvta et son parti BJP en Inde) est modifiée au profit d’une théologie politique et policiaire de l’Etat, ou même non modifiée mais mise en application dans un contexte de délinquance religieuse, politique ou commerciale contre nature : guerres de succession, trafics d’influence, servage pour dettes, manigances, sorcellerie et magie criminelles, mensonges, vols, viols, meurtres, incendies volontaires, etc… elle deviendra un indéniable support de tyrannie domestique et politique globale.
La doctrine, dans les deux cas, avec ou sans modification, appliquée sans discernement ou sans critique dans un contexte contre nature, peut être considérée, pénalement parlant, comme une source judiciaire de l’histoire du crime religieux d’Etat.
Le devoir de critique s’impose. Si les liens entre les inégalités socio-religieuses (bouddhiques ou hindouistes) et le crime (tel qu’il est appréhendé par le dogme) sont doctrinalement, mais aussi historiquement et judiciairement, démontrés, ils sont plus évidents encore quand le concept de karma (la somme des liens, précisément, entre l’inégalité sociale, le délit et le crime, cause de votre misère présente) est rationnellement ou politiquement exploité pour l’organisation territoriale, démographique, sociale ou l’organisation du travail par le pouvoir d’Etat religieux ou non (un roi, un prince, un empereur, croyant ou non, un magistrat, un premier ministre, un ched d’Etat, croyant ou non), ou par un maître assermenté, reconnu ou public, ou par une communauté laïque ou monastique, influente ou historique.

Il y a bien un enjeu religieux, politique, social et économique, du karma. Le lien entre « les inégalités sociales, le délit et le crime » prendra une dimension plus vertigineuse selon qu’il liera (ou non) l’Etat, la communauté, la personne physique au culte de « divinités » (dotées d’une représentation symbolique, d’un temple, et à ce titre personnes morales en droit indien et anglais) associées à une théologie (codifiée) du mahayana et du vajrayana (entendez et selon les enseignements du Collège de France, aussi bien hindouiste que bouddhiste) indienne, tibétaine, manchoue, mongole, chinoise, japonaise.
Citons parmi les divinités du panthéon tantrique hindo-bouddhique « les plus riches » (monétairement parlant, selon l’expression du juge Annoussamy et ayant pleine capacité de recevoir des libéralités), ayant également le droit d’ester en justice (une idole tantrique dotée d’une représentation physique, d’un temple, à le droit de se porter partie plaignante auprès de son gouvernement, Nataraja (forme de Siva) vs. Bumper Development Corporation, Cour Royale de Londres, 1976-1991, Mullick vs. Mullick, 1925) et de posséder des biens, mobiliers et immobiliers : Brahma, Vishnou, Shiva, Indra, Amrita, Mahadeva, Rama, Ganapati, Mourougan, Ammane, Ayanar….

La personnalité juridique des idoles

Nous pouvons dire enfin que l’intensité de la délinquance politique, économique et religieuse de l’Etat théocratique (et souvent sa violence), sera proportionnelle à la personnalité juridique de chacune des divinités.
Là encore nous pouvons dire que la doctrine bouddhiste (ou hindouiste) déviante, en tant qu’une théologie politique au service du commerce, de la police ou de la guerre, est bien une source judiciaire de l’histoire du crime religieux d’Etat. La théocratie bouddhiste ou hindouiste, à l’image de la théocratie chrétienne ou islamiste, quoiqu’en disent moines, lamas, brahmanes, prêtres, bonzes, immams et autres fonctionnaires de Dieu et de Bouddha, n’est pas sans délinquances (lire l’étude des guerres saintes bouddhistes au Japon par le professeur Ichikawa Hakugen dans « Zen en guerre » du bonze Brian Victoria, 2001, et « La personnalité juridique de l’idole hindoue » dans « Le droit indien en marche » par le professeur David Annoussamy, Société de Législation Comparée, Paris, 2001).

Juridiquement, les sujets, dévôts des divinités tantriques, seront, selon le pr. et juge Annoussamy :  » tantôt serviteurs tantôt propriétés de la divinité ». La caste sacerdotale d’Etat (ou historique) s’occupant des modalités d’accès à votre liberté individuelle et de la reception des dons…. autrement dit et selon la formule consacrée : « en dehors du rite, le châtiment » (lire nos références sur le rite confucianiste « Li », le chatiment « Fa » et le gouvernement traditionnel en Chine, « La civilisation Chinoise et son droit », Xiaoping Li, R.I.D.C. 3-1999).

Le Dr.Ambedkar, anthropologue constitutionnaliste, en se détachant de l’islam et de l’hindouisme jugés « injustes et cruels », réformera l’approche du bouddhisme populaire shakyamunien indien des années 1950 (issu, selon l’historienne politique et archéologue progressiste indienne Romila Thapar, des conditions de la république égalitaire et tolérante opposée à la monarchie héréditaire et déjà présente en Inde entre 600 et 321 avant JC, voir linked222 et notre soutien politique à la nouvelle histoire indienne, l’histoire en tant que politique) par la conversion militante progressiste des parias et des intouchables hindouistes. Cette conversion, pour ne pas reproduire le schéma stratégique hindouiste des inégalités karmiques, s’accompagnera dans le contexte socialiste individualiste égalitaire des droits de l’homme, de garanties juridiques désormais constitutionnelles.
Malgré cet élan réformateur qui secouera le continent indien dès 1948, la défaite britannique laissera un héritage conservateur, sinon réactionnaire, dans le système administratif indien. Nous retrouverons les mêmes déviances au sein de l’appareil administratif japonais, telles que critiquées du moins par le juriste japonais Ichiro Kitamura dans son approche des formes juridiques (droit-précepte, hô) et des formes pré-établies (kata) au Japon : le formalisme perfectionniste, le refus de l’initiative, le ritualisme, la fuite devant la liberté et le hiérarchisme matriciel.

Le cas de l’île Maurice, par exemple – population métissée dotée d’une souche hindouiste et indienne majoritaire- est à ce titre intéressant. Les brahmanes accèdent encore en 2005 aux postes clefs de l’administration et les parias sont toujours maintenus à l’écart des groupes humains détenteurs du pouvoir politique et religieux, karma oblige.
Citons encore que deux diplômés mauriciens de même niveau, l’un de souche soudra (paysan, domestique) l’autre de souche brahmane (prêtre, lettré) n’auront pas la même promotion administrative.
Cette forme très parlante d’autisme administratif, économique, politique et religieux, est toujours parfaitement dissimulée sous le discours doctrinal bouddhiste et hindouiste, à priori égalitaire et non-violent, de la vacuité, de l’harmonie, de l’amour et de la compassion au XXIème siècle.
Rappelons enfin qu’il existe aujourd’hui une réforme au sein du bouddhisme japonais populaire « opposée à la dialectique souveraine de l’harmonie et de la vacuité traditionelles » (divorçant d’avec le bouddhisme de la voie impériale ou de la voie des dieux) engagée dès 1975 par le bonze Ichikawa Hakugen au sein même de l’université bouddhiste (« la loi des causes et des effets », ch.2 (1-2) « ni bonze ni laïc », sur linked222).
*Une remarque finale s’impose aux lecteurs qui iront un peu plus loin. Bien que je ne sois plus bouddhiste, je demeure de façon subversive un ardent défenseur de la liberté de conscience, objet de mon intervention élémentaire sur le religieux sans chercher à remettre en question, pour autant, l’objet même de la « foi » qui relève de la compréhension et de la liberté de chacun. Mes remarques, ci-dessus et plus loin, sont écrites selon cet esprit, solidaire dans la lutte pour la liberté, merci.

Rédacteur-en-chef de linked222
e-mai l: linked222@free.fr

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** note bibliographique : lire également sur le sujet de la discrimination des opprimés les très intéressantes études « A critique based on the present state of discrimination against Buraku People », Kenzo Tomanaga, dans le contre-rapport au quatrième rapport périodique du gouvernement japonais (Buraku Liberation and Human Rigths Research Institute, 1998) ; « Annihilation of caste », Dr. Ambedkar, 1987 ; « Dr Ambedkar », leader intouchable et père de la constitution Indienne by Christophe Jaffrelot, Presses de Sciences Po, 2000; Mark Galenter, « Competing equalities – law and the background classes of India », 1984 ; « Broken people : caste violence against India’s « intouchables », Human Right Watch, mars 1999 et M.D. Raghavan : « Handsome Beggars – the Rodyas of Ceylon », 1957.
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16 mars 2005
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illustration originale: Yoshikawa